Société GRICS et logiciel libre

Étonné.
Ambivalent.
Confiant.
Vigilant.

Eh oui… tout cela à la lecture de d’un simple communiqué de la Société GRICS. Un simple petit communiqué… mais quel communiqué! Particulièrement quand on lit entre les lignes… et qu’on complète par la lecture de cette autre brochure (format pdf).

Étonné parce que, franchement, c’est tout un revirement! La société GRICS a toujours développé des produits à partir d’un modèle d’affaire où le « secret commercial » joue un rôle important. La très large adoption de ses produits dans le réseau scolaire lui confère une position de quasi-monopole dans plusieurs secteurs. Dans ce contexte, et comme bien d’autres entreprises dans une position semblable, la société GRICS a longtemps résisté à l’idée que les logiciels libres étaient de quelque intérêt pour le milieu scolaire. Les stratégies ont été variées: ignorance, médisance, intérêt distant… et voilà que la société semble vouloir sauter dans l’aventure. Certains y verront une capitulation de la part de la GRICS, la chute du dernier bastion de résistance, une simple stratégie de diversion ou de l’opportunisme politique… je préfère pour ma part y voir un humble coup de réalisme… et à ce moment-ci, cela m’étonne autant que cela me réjouit.

Ambivalent parce que je n’arrive pas à me faire une idée très claire de si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle qu’une entreprise qui a un tel catalogue de produits puisse se donner le rôle d’évaluation des logiciels libres et du potentiel d’économie qu’il peut représenter pour ses membres. Ça me semble placer bien des gens en situation d’être à la fois juges et partie. Cela m’embête d’autant plus quand les documents présentés précisent, d’entrée de jeu, « qu’il y a un potentiel d’économies important pour les commissions scolaires, surtout au niveau des postes clients […] qui sont surtout utilisés pour l’accès à Internet ou les logiciels de type « Outils » » (entendre ici, la suite Microsoft Office, etc.) en ajoutant « qu’en ce qui concerne les logiciels pour les postes de type serveurs, ils présentent à notre avis un potentiel d’économies nettement moindre. » (or, c’est essentiellement les types de produits qu’offre la Société GRICS). Je ne sais pas sur quelle analyse repose ces deux hypothèses, et je n’ai pas de raison d’en douter, mais il me semble qu’il faudrait les approfondir et les préciser, notamment à l’analyse de projets comme MILLE, qui représente sans aucun doute un des espaces d’expérimentation institutionnelle parmi les plus avancés en ce qui concerne le logiciel libre pour l’éducation primaire et secondaire (et auquel la Société GRICS est d’ailleurs associée).

Confiant parce que si la Société GRICS s’engage avec sincérité dans cette démarche (plutôt qu’avec résignation) c’est un énorme changement qui se prépare. Et je veux y croire. Si la Société GRICS s’engage dans une voie où elle aura éventuellement pour principal mandat d’assurer la cohérence des données administratives du réseau scolaire (par l’adoption de normes et et des standards ouverts, par exemple) et d’outiller les écoles dans le choix des logiciels (libres ou commerciaux) qui leur permettront de « manipuler » le plus efficacement ces données… nous ferons collectivement un pas de géant. Cela contribuera notamment à favoriser dans les commissions scolaires et les écoles de partout au Québec le développement d’une « culture de l’innovation », et d’une « culture de réseau » sur lesquelles nous pourrons compter dans bien d’autres domaines (et au plan pédagogique, en particulier). Je n’ai pas le goût d’entretenir des doutes sur les intentions de la GRICS lorsqu’elle publie un communiqué et un document comme ceux-ci. Mais je sais bien l’ampleur des changements culturels que la voie décrite implique dans l’organisation et l’effrayant travail de révision des modèles d’affaires qui l’accompagne. S’ils le mesurent aussi, s’ils y sont prêts, et s’ils sont aussi déterminés que je le souhaite, je suis confiant.

Vigilant, finalement, parce que ma confiance m’y oblige. Une ouverture comme celle que fait la GRICS dans ce dossier c’est une chose précieuse, très précieuse. Et j’estime que la communauté que nous formons a sa part de responsabilité dans le « guidage » des efforts de la GRICS dans cette période de changement. Il faudra être exigeant avec elle. Exigeant, mais aussi aidant. Il faudra suggérer plutôt que juger. Proposer plutôt que dénoncer. Le logiciel libre, en éducation encore plus qu’ailleurs, c’est bien sûr une question d’économies, mais aussi (surtout?) une question d’ouverture, de transparence et… de liberté! C’est là qu’il faudra être particulièrement vigilant parce que ce ne sont pas particulièrement des qualités dont a su faire spontanément preuve la Société GRICS par le passé.

Je serai donc vigilant parce que je veux y croire et que, malgré une certaine ambivalence, l’étonnement que m’a procuré la lecture de ce communiqué de presse m’enchante. Tout simplement.

8 réflexions sur “Société GRICS et logiciel libre

  1. Bof ! La GRICS n’a tout simplement plus le choix. Elle essaie maintenant d’en mettre plein la vue à ses boss (les DG) pour les calmer un peu. Car, voyez-vous, on questionnait beaucoup leurs produits lorsqu’ils étaient seuls sur le marché. Mais maintenant, comme il y a compétition (voir le point 7 de leur brochure), et que cette « compétition » commence vraiment à leur faire mal (après tout, ils n’ont certainement pas vendu autant de « portail » qu’ils le souhaitaient, leur portfolio électronique « pogne pas pantoute », y’a des bulletins informatisés qui remplacent avantageusement leur bulletin GPI, etc…) ils se doivent de calmer un peu leurs patrons. Alors ils leur disent « Nous sommes là, et ne vous en faites pas, on évalue tout ça et on va vous dire ce qu’il vous faut accepter ou pas… Comptez sur nous, nous sommes experts en la matière. » Y’a pas grand changement dans cette attitude.
    Et ils ne parlent encore presqu’exclusiment que de sous : le logiciel libre, c’est ma conviction profonde, n’est pas du tout une question d’argent. C’est une question de philosophie, d’attitude face à la connaissance, face au partage, face à l’humanité.
    J’admire, cher Clément, votre optimisme modéré. Pour moi, GRICS ou pas, le changement vers une pensée LL est amorcé et est probablement irréversible.

  2. « …GRICS ou pas, le changement vers une pensée LL est amorcé et est probablement irréversible. »

    Je suis absolument d’accord avec cela. Le reste est une question de temps, de rythme et d’attitude dans laquelle les changements s’opéreront: abdication, résignation, détermination, enthousiasme.

    J’admire aussi sans réserve votre engagement dans ce changement.

  3. Le sceptique en moi note d’abord que pour une bonne part du marché qu’elle occupe déjà, la GRICS en donnant certaines opinions est à la fois juge et partie.

    Mais je lis plus en profondeur avant de commenter plus à fond.

  4. Un beau texte de Clément, tout en nuance, comme d’habitude. J’aime bien cette attitude de ne pas condamner d’emblée.

    Le moins qu’on puisse dire c’est que ce communiqué surprend. Je savais que la Société s’intéressait au Libre (sinon comment expliquer son adhésion à MILLE), mais je ne croyais pas y voir des retombées aussi rapides.

  5. Merci Clément pour ce billet…

    Je n’ai pas lu le communiqué et je ne suis pas sûr que je le lirai. Car ma courte expérience dans le domaine de l’éducation et du logiciel libre m’ont appris que:
    1) L’auteur d’un document un a but.
    2) Le lecteur du document a une intension de lecture.
    3) L’action suivant un document est plus importante que le document comme tel.
    4) La communauté du logiciel libre implique beaucoup de règles qui sont, à mon avis, assez difficiles à appliquer par des gens/organismes (profs, élèves, CS, entreprises, société…). On ne peut pas s’approprier la philosophie derrière le libre en une ou deux lectures, on doit la vivre pour mieux la comprendre.

    Donc, pour ma part, j’attends des actions colorées de la philosophie du libre avant de me prononcer sur la suite des événements.

    Mais une chose est sûr, le libre a «avancé, avance et avancera» dans milieu de l’éducation.

  6. Voilà un billet de grande qualité. Voici des commentaires qui sont dans la même ligne.

    Je suis surpris de cette nouvelle. Je suis rassuré de vos réactions qui, je l’admets, me paraissent à la fois diverses et convergeantes. Nous ne serons jamais trop à surveiller la suite des événements, à les commenter et à agir dans nos réseaux pour que les outils restent accessibles et se développent selon des normes et des usages à réinventer.

    Les enjeux sont immenses. Ne devrions-nous pas acheminer ce billet à certaines autorités décisionnelles histoire de leur demander de se compromettre un peu à la suite de ces réactions « toutes chaudes » ?

  7. Je souscris à la prudence.
    Je crois que MILLE avait porté ombrage à ce quasi-monopole..

    Que l’on sache que la GRICS n’a pas apporté beaucoup à MILLE. Elle n’y a adhéré que du bout des doigts. D’ailleur dans leur document on y sens bien l’intention de refaire la preuve de concept, refaire un autre MILLE. Ils pourront faire valoir que désormais ce sont eux qui sont les mieux placés pour coordonner les efforts dans le libre… Les budgets afférents aussi…

    A lire leur document, mon impression est qu’ils n’ont pas compris. Encore quelques années peut-être…

    Car, la cathédrale restera une cathédrale, le bazar n’est pas pour demain.

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