Les villes invisibles

« À partir de maintenant, ce sera moi qui décrirai les villes et toi tu vérifieras si elles existent et si elles sont bien telles que je les aurai pensées. » (p.55)

***

Une inscription au verso de la couverture indique que c’est ma mère qui s’est procuré le livre le 3 mars 2005, suite à une suggestion de Jacques Plante, un architecte rencontré à l’occasion d’un atelier de scénographie. Quelques post-its témoignent aussi des passages qui ont marqué sa lecture.

Des notes prises par l’une de mes filles se sont ajoutées aux marges, dix-huit ans plus tard — ce qui rend évidemment la lecture encore plus fascinante!

Je viens d’y ajouter des annotations à mon tour, à l’occasion d’une lecture qui accompagnait nos déambulations dans Lisbonne, Ana et moi, afin de souligner nos cent ans (cinquante chacun!).

***

« Dans Les Villes invisibles, aucune ville n’est reconnaissable. Toutes ces cités sont inventées (…) Je ne crois pas que le livre évoque seulement une idée atemporelle de la ville, mais plutôt que s’y déroule, de façon tantôt implicite, tantôt explicite, une discussion sur la ville moderne. » (Préface)

Je peux le dire d’entrée de jeu, j’ai trouvé que c’était un livre de voyage parfait! Un livre qui rappelle qu’il ne faut pas se fier à l’image qu’une ville offre au premier regard. Un livre qui invite à chercher la fiction qui s’inscrit au cœur de la ville — sa magie. Et, par la force des choses à redécouvrir, aussi sa propre ville.

« Les villes […] se croient l’œuvre de l’esprit ou du hasard, mais ni l’un ni l’autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. Tu ne jouis pas d’une ville à cause de ses sept ou soixante-dix-sept merveilles, mais de la réponse qu’elle apporte à l’une de tes questions. » (p. 56)

***

Parmi les cinquante-cinq villes racontées par Calvino, certaines ont évidemment retenu mon attention plus que d’autres.

Je commencerai par Eusapie, pour la réflexion qu’elle offre au sujet de la ville comme espace par excellence de la vie (et de la mort) des humains:

« Aucune ville plus qu’Eusapie n’est portée à jouir de la vie et à fuir les problèmes. Et pour que le saut de la vie à la mort soit moins brutal, ses habitants ont construit sous terre une copie exacte de leur ville. (…) tous les commerces et métiers de l’Eusapie des vivants sont en activité sous terre, ou du moins tous ceux que les vivants ont tenus avec plus de satisfaction que d’ennui (…)

[Et] les morts apportent des innovations dans leur ville; pas très nombreuses, mais fruits sûrement d’une réflexion pondérée, non de caprices passagers.

D’une année sur l’autre, disent-ils, on ne reconnaît plus l’Eusapie des morts. Et les vivants, pour ne pas être en reste (…) veulent le faire eux aussi. Ainsi, l’Eusapie des vivants s’est-elle mise à copier sa copie souterraine (…) il n’y a plus moyen de savoir lesquels sont les vivants et lesquels les morts.» (pp. 127 à 129)

Il y a aussi Zénobie, qui offre aussi une belle réflexion sur les villes comme des espaces qui sont en perpétuelle transformation:

« il n’y a pas à établir si Zénobie est à classer parmi les villes heureuses ou malheureuses. Ce n’est pas entre ces deux catégories qu’il y a du sens à partager les villes, mais entre celles-ci: celles qui continuent au travers des années et des changements à donner leur forme aux désirs, et celles où les désirs en viennent à effacer la ville, ou bien sont effacés par elle. » (p. 46)

Et il y a Zemrude, dont le récit nous rappelle que notre état d’esprit influence toujours le regard qu’on porte sur une ville:

« C’est selon l’humeur de celui qui la regarde que Zemrude prend sa forme. Si tu y passes en sifflotant, le nez au vent, conduit par ce que tu siffles, tu la connaîtras de bas en haut: balcons, rideaux qui s’envolent, jets d’eau. Si tu marches le menton sur la poitrine, les ongles enfoncés dans la paume de la main, ton regard ira se perdre à ras de terre, dans les ruisseaux, les bouches d’égout, les restes de poisson, les papiers sales. Tu ne peux pas dire que l’un des aspects de la ville est plus réel que l’autre… » (p. 81)

Calvino décrit aussi très bien aussi la dynamique qui anime constamment une ville, qui doit continuer de grandir, au risque de péricliter, comme le craignent les citoyens de Tecla:

« — Pourquoi la construction de Tecla dure-t-elle si longtemps ?
Et les habitants, sans arrêter de hisser des seaux, de jouer des fils à plomb, de promener vers le haut et le bas de longs pinceaux, répondent :

— Pour que ne commence pas la destruction.
Et quand on leur demande s’ils craignent qu’à peine ôtés les échafaudages, la ville se mette à craquer et tomber en morceaux, ils ajoutent très vite, à voix basse:

— Pas la ville seulement. » (p. 147)

Il s’amuse aussi des philosophies, parfois amusantes, qui peuvent en venir à guider le développement d’une ville. C’est le cas d’Andria:

« — La correspondance entre notre ville et le ciel est à ce point parfaite, répondirent-ils, que toute modification d’Andria comporte quelque nouveauté du côté des étoiles.

Les astronomes scrutent le ciel avec des télescopes après chaque changement qui s’est produit à Andria, et signalent l’explosion d’une nova, ou le passage de l’orangé au jaune d’un point éloigné du firmament, l’expansion d’une nébuleuse, ou qu’une spirale de la voie lactée se recourbe. Tout changement implique des changements en chaîne, à Andria comme parmi les étoiles: la ville et le ciel ne demeurent jamais pareils.

Deux qualités du caractère des habitants d’Andria méritent d’être notées: la confiance en soi et la prudence. Convaincus que toute innovation dans la ville influe sur la carte du ciel, avant chaque décision ils calculent risques et avantages, pour eux, pour toutes les villes, pour l’ensemble des mondes. » (p. 173)

***

L’expérience du voyage me semble aussi particulièrement bien rendue par la description que Calvino fait de Pirra:

« Vint le jour où mes voyages me conduisirent à Pirra. À peine y avais-je mis les pieds que tout ce que j’imaginais avait été oublié; Pirra était devenue ce qu’est Pirra… » (p. 110)

Et la description d’Aglaurée témoigne aussi des plaisirs du voyage — spécialement quand on prend le temps de marcher dans la ville, de long en large, comme nous l’avons fait à Lisbonne:

« Si donc je voulais te décrire Aglaurée en m’en tenant à ce que j’ai vu et éprouvé personnellement, je devrais te dire que c’est une ville terne, sans caractère, posée là au hasard. Mais même cela ne serait pas la vérité: à certaines heures, dans certaines échappées au détour d’une rue, tu vois s’ouvrir échappées devant toi le soupçon de quelque chose d’unique, de rare, et peut-être de magnifique… » (p. 83)

C’est tout le contraire de certains voyages d’affaires au cours desquels, malheureusement, toutes les villes finissent par se ressembler. Expérience que Calvino résume efficacement avec la ville de Trude:

« C’était la première fois que je venais à Trude, mais je connaissais déjà l’hôtel où par hasard je descendis; j’avais déjà entendu et prononcé les mêmes dialogues avec acheteurs et vendeurs de ferraille; d’autres journées pareilles à celle-ci s’étaient terminées en regardant au travers des mêmes verres, ondoyer les mêmes nombrils. Pourquoi venir à Trude ? me demandais-je. Et déjà je voulais repartir.

— Tu peux reprendre un vol quand tu veux, me dit-on, mais tu arriveras à une autre Trude, pareille point par point, le monde est couvert d’une unique Trude qui ne commence ni ne finit: seul change le nom de l’aéroport. » (p. 149)

***

Je m’en voudrais de ne pas souligner aussi à quel point Calvino a aussi été précurseur, en décrivant Léonie — en 1972!

« La ville de Léonie se refait elle-même tous les jours: chaque matin la population se réveille dans des draps frais, elle se lave avec des savonnettes tout juste sorties de leur enveloppe, elle passe des peignoirs flambants neufs, elle prend dans le réfrigérateur le plus perfectionné des pots de lait inentamés, écoutant les dernières rengaines avec un poste dernier modèle. (…)

Où les éboueurs portent chaque jour leurs chargements, personne ne se le demande: hors de la ville, c’est sûr; mais chaque année la ville grandit, et les immondices doivent reculer encore (…) Les confins entre villes étrangères ou ennemies sont ainsi des bastions infects où les détritus de l’une et de l’autre se soutiennent réciproquement, se menacent et se mélangent.

Plus l’altitude grandit, plus pèse le danger d’éboulement : il suffit qu’un pot de lait, un vieux pneu, une flasque dépaillée roule du côté de Léonie, et une avalanche de chaussures dépareillées, de calendriers d’années passées, de fleurs desséchées submergera la ville sous son propre passé qu’elle tentait en vain de repousser, mêlé à celui des villes limitrophes, enfin nettoyées: un cataclysme nivellera la sordide chaîne de montagnes, effacera toute trace de la métropole sans cesse habillée de neuf. » (pp. 133 à 135)

***

Il faut finalement que j’évoque la description de la ville de Bérénice, qui m’a particulièrement interpellée. Elle me semble, en effet, être un reflet assez fidèle, des débats, dilemmes et paradoxes sur lesquels repose (malheureusement?) la dimension politique du développement d’une ville.

« Il faut que sans cesse tu tiennes compte de ce que je vais te dire: dans la semence même de la ville des justes, se trouve à son tour cachée une mauvaise graine; la certitude et l’orgueil d’être dans le juste — et de l’être bien plus que beaucoup d’autres qui se disent plus justes que la justice — fermentent sous forme de rancœurs, rivalités, échanges de coups, et le désir tout naturel de revanche sur les injustes se colore de l’envie folle d’être à leur place pour faire la même chose qu’eux. Une autre ville injuste, quoique différente de la première, est donc en train de creuser sa place dans la double enveloppe des Bérénice injuste et juste. (…)

Mais si l’on regarde encore plus précisément à l’intérieur de ce nouveau germe du juste, on y découvre une petite tache qui grandit pour devenir l’inclination croissante à imposer ce qui est juste au travers de ce qui est injuste, et peut-être est-ce là le germe d’une métropole immense…

Tu auras tiré de mon discours cette conclusion, que la véritable Bérénice est une succession dans le temps de villes différentes, alternativement justes et injustes. Mais ce dont je voulais te faire part n’est pas là: savoir, que toutes les Bérénice à venir sont déjà en cet instant présentes, enroulées l’une dans l’autre, serrées, pressées, inextricables. » (pp. 186-187)

Pour le meilleur et pour le pire, devrait-on peut-être dire.

***

Et Lisbonne alors?

Qu’en dire au terme d’un voyage accompagné par les mots de Calvino?

J’ai envie de dire que Lisbonne est une ville où des bus, des tramways anciens et modernes, des métros et des voiturettes de toutes sortes tracent jours et nuits de sinueux parcours du nord, au sud; d’est en ouest; du bas vers le haut; et même à travers le temps. C’est une ville dont le ciel prévoit quelques minutes de pluie chaque matin afin de maintenir la propreté des magnifiques trottoirs de pavés blancs.

C’est une ville inspirante, qui m’a fait beaucoup de bien.

Bien que leurs populations sont semblables en nombre, le contraste entre Lisbonne et Québec est énorme, à bien des égards. Calvino l’annonce bien au début du livre:

« L’ailleurs est un miroir en négatif. Le voyageur y reconnaît le peu qui lui appartient, et découvre tout ce qu’il n’a pas eu, et n’aura pas. » (p. 38)

Plus optimiste, j’ajouterais un dernier élément à la phrase: « à moins de rester inspiré par ses souvenirs et de travailler sans relâche. »

Je m’y remettrai dès demain.

***

« L’enfer des vivants n’est pas chose à venir; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart: accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels: chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. » (p. 189)

 


Édition consultée: CALVINO, Italo, Les villes invisibles, Seuil (Points), 1996.

Le plus vite possible

Vue de la fenêtre de mon bureau à l’Hôtel de ville de Québec

3 février, déjà!… Il n’y a pas à dire, l’année 2024 est repartie sur les chapeaux de roues. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose d’effréné dans l’air. Quelque chose dont on devrait se méfier.

Alors par ce beau samedi matin, je prends le temps d’y réfléchir un peu — et je me réjouirai si les commentaires de lecteurs venaient nourrir ma réflexion.

***

Il est plus évident que jamais que nous faisons face, comme société, à d’immenses défis: de profondes transformations économiques, l’adaptation aux changements climatiques et la crise du logement, entre autres choses. À l’évidence, aucun de ces défis ne pourra être réglé d’un coup de baguette magique. Aucun geste isolé ne peut offrir une solution suffisante. Il va falloir coordonner un vaste ensemble d’actions et faire preuve de détermination dans leur mise en œuvre. C’est une période exigeante et complexe pour exercer le pouvoir. Très stimulante aussi, heureusement!

Il faut aussi constater à quel point l’action politique se réalise aujourd’hui dans un environnement médiatique qui, pour toutes sortes de raisons, impose un rythme élevé et qui nourrit plus facilement les controverses qu’il ne met en valeur les délibérations, la collaboration et les compromis qui en découlent — qui sont pourtant les indispensables rouages de la démocratie. Les médias ne sont pas des observateurs neutres de la dynamique politique, ils en sont aussi des acteurs — et leurs choix influencent le cours des choses. Il faut en être conscient, et s’adapter à cette réalité. Parce que ça fait partie de la game…

Dans ce contexte, il me semble plus déterminant que jamais que les acteurs politiques cultivent des espaces-temps propices à la réflexion et qu’ils privilégient une communication qui vise à susciter l’adhésion plutôt que de souffler sur les divisions. Ce n’est pas toujours facile, notamment parce qu’il faut, pour ça, accepter de prendre un peu de recul avant de réagir, alors que tout le monde attend une réaction, maintenant, tout de suite.

Ce matin, je me dis que ce début d’année frénétique est un bon moment pour se rappeler l’humilité qui devrait habiter les politiciennes et les politiciens: ils ne peuvent pas réaliser seuls les changements qu’ils initient. Le succès de leurs actions reposent surtout sur les citoyennes et les citoyens — et les entreprises et organismes dans lesquels ils travaillent et s’engagent.

Le premier rôle des hommes et des femmes politiques c’est de créer les conditions favorables au changement. C’est de réunir des conditions qui permettent à tout le monde d’avoir confiance que leurs actions comptent et peuvent faire la différence. Ils peuvent le faire en adoptant un discours fort, inspirant et déterminé, ils peuvent aussi le faire adoptant des lois et des règlements, mais le moyen le plus efficace reste probablement de valoriser l’engagement du plus grand nombre. Parce que si on ne le fait pas, et qu’on prive les gens de leur influence, comment s’étonner qu’ils se réfugient dans la protestation?

Pour cette raison, je pense que quand on a le privilège d’exercer le pouvoir politique, notre plus grande responsabilité c’est de nourrir la confiance dans la démocratie — en valorisant le dialogue, en créant des conditions favorables aux débats et en privilégiant des processus qui permettent de faire des essais et d’apprendre des erreurs. Il faut garder à l’esprit que c’est de cette façon qu’on pourra identifier et mettre en œuvre le plus vite possible des solutions.

En démocratie, l’objectif ne peut pas être l’unanimité, ni même le consensus. L’objectif c’est que les décisions nécessaires se prennent aussi rapidement que possible, dans le cadre de processus qui visent à susciter l’adhésion.

Je nous souhaite à tous cette sagesse en 2024 — parce qu’autrement, il y a plus de chances que les prochains mois nous essoufflent qu’ils nous permettent d’avancer vers un monde meilleur.

La Laurentie en fleur

Je suis un grand admirateur de l’œuvre du Frère Marie-Victorin: de son travail scientifique, de son leadership politique, et de son écriture.

La Laurentie en fleur m’a été offert par des amies de Capucine, qui ne savaient probablement pas ça. La surprise n’en était que plus agréable.

C’est un livre dans lequel j’aurais probablement eu plus de mal à plonger étant plus jeune. Yves Gingras et Gilles Beaudet y ont rassemblé une vingtaine de textes dans lesquels il décrit longuement la flore du Québec.

Ce sont des textes à la fois lyriques et savants qui, pour être appréciés, exigent un état d’esprit qui se prête à la lenteur et à la contemplation. Mais quand ont s’y laisser envoûter, quelle merveille!

Le Frère Marie-Victorin est un incroyable conteur. Il peut décrire la floraison de la sanguinaire comme d’autres le font pour une partie de hockey (lire avec le ton d’un commentateur sportif):

« Et voilà maintenant les obscurs et infaillibles mécanismes de la vie déclenchés par le choc puissant des rayons du soleil! Le bourgeon frémit, se gonfle, s’ouvre, écartant lentement ses grandes bractées incolores. Place! Sur le fond d’émeraude de la feuille, le bouton s’érige, marmoréen et lumineux, sur son pédoncule, et l’on croirait vraiment que, mis à l’échelle du monde des fleurs, le flambeau sacré de la vie luit derrière ses parois opalines.

C’est fait ! Les deux sépales verdâtres, dernier rempart protecteur, sont tombés. Les huit pétales d’un blanc de lait, telle une fraise immaculée au cou d’une beauté du vieux siècle, s’éploient, découvrant l’or des nombreuses étamines groupées autour de ce qui sera le fruit, et qui n’est encore qu’une mignonne colonnette surmontée d’un minuscule chapiteau. »

Parlant toujours de la sanguinaire, le Frère Marie-Victorin évoque la source de la pigmentation des fleurs qui permet de s’en faire des teintures.

J’ai trouvé ça particulièrement intéressant, alors qu’une série de beaux hasards m’ont fait découvrir les teintures végétales que Dahlia Milon produit dans la région du Kamouraska.

***

Au fil des pages, l’auteur a aussi l’occasion de déplorer la dimension coloniale de la poésie canadienne-française du début du vingtième siècle, dans laquelle on retrouve une abondance de référence à la flore européenne alors que la nature d’ici est souvent ignorée.

« Oui ! Nos Fougères laurentiennes sont belles autant qu’ignorées et dédaignées! Nos artistes ne les ont jamais vues, et s’ils s’avisent d’en camper une touffe au premier plan d’un tableau, on reconnaît d’emblée le cliché du manuel en vogue, venu tout droit de Paris ou de Munich. Nos poètes? Hélas! Ils en parlent beaucoup, certes! Le mot forme une rime si riche avec père, mère, frère, solitaire, et avec de jolis mots impropres pour nous : primevère, bruyère, etc.! Mais, pas plus du reste que pour les autres éléments de notre flore merveilleuse, ils n’ont daigné un instant se pencher sur elles pour surprendre leurs secrètes harmonies, leur formule de beauté. Pauvres arpenteurs d’asphalte qui s’évertuent à chanter ce qu’ils ne connaissent pas et n’ont jamais aimé! »

***

J’y ai aussi appris avec étonnement qu’à la fin du dix-neuvième siècle, il y avait en Amérique du Nord un débat concernant la supériorité des lisses de bois (d’érable) sur le fer pour construire les chemins de la colonisation. Extraordinaire: j’ai pu retrouver la référence indiquée par Yves Gingras et Gilles Beaudet: ici sur Google Books. Extrait:

« Pour se faire une juste idée de la valeur des chemins à rails de bois (…) il est bon de ne pas perdre de vue le mode de construction particulier de ces chemins.

D’abord, les travaux de terrassement, de déblai, de remblai, etc., s’exécutent comme pour une ligne de chemin de fer ordinaire, avec cette différence capitale, toutefois, qu’avec les rails de bois, les rampes peuvent être beaucoup plus raides, les pentes plus déclives, et les courbes à rayon beaucoup plus petit.

Les roues de métal mordent mal sur le fer ou sur l’acier; et pour peu que les rampes ou que les pentes soient fortes, les roues glissent et patinent. (…)

De là, avantage immense au point de vue de l’économie, et dont on ne tient pas assez compte. On s’imagine assez généralement que toute l’économie à réaliser dans la construction de ces chemins consiste dans la différence du prix de revient des rails de bois et des rails de fer; c’est une erreur.

En effet, les rampes et les pointes pouvant être beaucoup plus fortes, les travaux de déblai et remblai sont par là-même, beaucoup moindres. De plus, les courbes pouvant être à rayon beaucoup plus petit, cela permet de détourner avec la plus grande aisance les obstacles de tout genre: collines, monticules, etc., qu’il faut ordinairement percer quand il s’agit d’un chemin de fer. »

La conclusion du débat est évidemment connue: le Canada a été bâti autour des chemins… de fer.

***

Je termine la lecture de La Laurentie en fleur ce matin, au chalet, en pleine tempête de neige — et en savourant une belle coïncidence: lire parmi les remerciements formulés par Yves Gingras et Gilles Beaudet, un merci à Jacques Cayouette, botaniste et chercheur… de qui nous avons justement acheté ce chalet!

S’exprimer par son regard

« univers est un miroir où nous pouvons contempler ce que nous avons appris à connaître en nous, rien de plus. »

***

Ça fait longtemps que je sais que je dois lire Calvino. Tout m’y porte, et pourtant, je ne m’y étais pas encore consacré.

Deux des livres que j’ai lus au cours des derniers jours ont fait référence à Calvino. Dans Avoir le temps (commenté ici), Pascal Chabot fait référence à Cosmicomics, et dans Moi et Mitterand (très drôle: j’ai adoré), Hervé Le Tellier évoque Marcovaldo.

N’ayant ni l’un ni l’autre à la portée de la main, je me suis tourné vers Palomar, publié en français en 1985. La page de garde de l’exemplaire que j’ai trouvé dans la bibliothèque porte deux inscriptions: « G. De Celles, 21 mars 1998 », avec la calligraphie de ma mère, et « 24 août 2023 », avec celle de ma fille.

« À la suite d’une série de mésaventures intellectuelles qui ne méritent pas d’être rappelées, monsieur Palomar a décidé que son activité principale serait de regarder les choses du dehors. Un peu myope, distrait, introverti, il ne semble pas appartenir par son tempérament à ce type humain qu’on définit habituellement comme observateur. Il lui est pourtant toujours arrivé que certaines choses — un mur de pierre, un coquillage vide, une feuille, une théière — requièrent de lui une attention prolongée et minutieuse, en se présentant à ses yeux: il se met à les observer presque sans s’en rendre compte, son regard commence à les parcourir dans tous leurs détails et il n’arrive plus à se détacher d’eux. Monsieur Palomar a décidé que, dorénavant, il redoublera d’attention : d’abord, en ne laissant pas échapper ces appels qui lui viennent des choses; ensuite, en attribuant à cette opération d’observation l’importance qu’elle mérite. »

C’est un livre incroyable!

Je ne pourrai plus jamais regarder un coucher de soleil sur le fleuve de la même façon sans penser à Palomar. Ni choisir un fromage. Ou encore fréquenter une boucherie. J’aurai un regard neuf sur la lune visible dans le ciel bleu de l’après-midi. Et sur tant d’autres choses.

Se mordre la langue, un texte sur la place du discours et du silence en société est aussi mémorable.

J’hésite à en citer trop d’extraits, de peur de priver de futurs lecteurs du plaisir d’en découvrir les perles.

Au fil des pages, mon regard adoptant celui de Palomar, j’ai remarqué que certains passages du livre avaient été surlignés par ma mère. Je n’y avais pas porté attention au départ parce que le temps a presque effacé la translucide encre jaune.

Le soleil levé et le café ayant fait son effet, je me suis mis à reconnaître les passages qui avaient attiré son attention. Plus tard dans la lecture, j’ai parfois même eu l’impression que des passages avaient été surlignés, même si en m’approchant du papier, j’ai pu constater qu’il n’en était rien. Mon regard soulignait peut-être par là des phrases que j’ai cru qu’elle apprécierait vingt-cinq ans plus tard? Ou que ma fille aurait pu souligner? À moins que ce ne soient les phrases elles-mêmes qui tentaient de me dire quelque chose?

Un mystère sur lequel Palomar aurait sans doute aimé se pencher.

« De l’étendue muette des choses doit partir un signe, un appel, un clin d’œil: une chose se détache des autres avec l’intention de signifier quelque chose… quoi? elle-même : une chose est contente d’être regardée par les autres choses seulement quand elle est convaincue de se signifier elle-même et rien d’autre, parmi toutes les choses qui ne signifient qu’elles-mêmes et rien de plus. »

***

À quelque pages de la fin, je me suis dit que j’aurais vraiment aimé lire ce livre bien avant, tellement il pourrait influencer mon regard sur le monde.

Mais je n’ai pas pu regretter très longtemps, puisque Palomar n’a pas tardé à me répondre:

« La vie d’une personne consiste en un ensemble d’événements dont le dernier pourrait encore changer le sens de tout l’ensemble. (…) Quelqu’un, par exemple, qui lit à l’âge mûr un livre important pour lui, au point de dire: « Comment pouvais-je vivre sans l’avoir lu!» et encore : « Quel dommage que je ne l’aie pas lu quand j’étais jeune!» Eh bien, ces affirmations, et surtout la seconde, n’ont pas beaucoup de sens, puisque, du moment où il a lu ce livre, sa vie devient celle de quelqu’un qui l’a lu, et peu importe qu’il l’ait lu tôt ou tard, car même la vie qui a précédé cette lecture prend maintenant dans sa forme la marque de cette lecture. »

***

J’ai ajouté « Clément, 2 janvier 2024 » sur la page de garde.

Quand une fin ramène à l’optimisme

La lecture de la dernière édition imprimée du Soleil, et les nombreux documents d’archives qu’elle nous fait découvrir m’ont donné envie de fouiller aussi dans les archives de mon blogue.

Et comme souvent, ça a donné lieu à un fascinant enchaînement de découvertes et de réflexions.

***

J’ai commencé par relire ce texte publié sur mon blogue il y a vingt ans dans lequel, coïncidence, je me réjouissais justement d’un éditorial du Soleil !

Comme je n’en citais que quelques extraits, je me suis tourné vers BAnQ pour le lire en entier. C’est dans l’édition du 31 décembre 2003 (à la page 15).

Un peu plus bas dans la même page, on peut lire le texte d’une étudiante de 20 ans qui partageait son angoisse devant l’avenir.

Cette angoisse exprimée en 2003 m’a semblé devoir être mise en perspective avec l’éco-anxiété dont on parle aujourd’hui fréquemment, particulièrement chez les jeunes.

Je suis de ceux qui pensent qu’il n’est pas utile (pire: qu’il est nuisible) de nourrir l’anxiété devant l’avenir. Ça a un effet démobilisateur. Je crois qu’il est préférable de nourrir l’espoir, de montrer que nos actions sont efficaces, qu’il est possible de changer les choses et qu’on pourra atténuer les effets néfastes des changements climatiques, notamment.

Ça m’a fait penser que j’avais vu quelque part sur les médias sociaux, hier, un extrait d’une entrevue de fin d’année avec Steven Guilbeault, dans laquelle il abordait justement cette question. J’ai eu envie d’écouter l’entrevue en entier. Elle est ici.

Le ministre évoque dans cette entrevue les conclusions de la COP 28, qui réitèrent le besoin pour tous les pays d’atteindre la carboneutralité, d’ici 2050. On peut se demander s’il reste assez de temps pour trouver les façons d’y arriver?

À quel point c’est loin 2050?, me suis-je demandé. Calcul rapide: c’est dans 26 ans. De quoi avait l’air le monde il y a 26 ans?

Retour aux archives du Soleil, sur le site de BAnQ.

Comble de la coïncidence: à la une de l’édition du 3 janvier 1998, un article sur les femmes en politique a pour titre: « La parité des sexes: pas avant 2050 ». Il est signé par Julie Lemieux.

J’ai souri en pensant que le conseil municipal de Québec est actuellement composé de 12 femmes et 10 hommes.

Comme quoi certaines choses changent parfois plus rapidement que prévu.

Parmi les autres constats de mon survol de quelques éditions du Soleil publié en 1998? On parlait d’Internet, mais Google n’existait pas (vérification faite: la première référence est le 11 avril 1999, en page 5). Alors pas besoin de dire que tout ce qui a suivi: réseaux sociaux, téléphones intelligents, tablettes, etc. Niet.

Et comme tout est dans tout, c’est grâce à Google que j’ai pu savoir qu’en 1998, Steven Guilbeault, venait tout juste d’être nommé… responsable du dossier des changements climatiques pour Greenpeace. La boucle était bouclée.

Il y a autant de temps qui nous sépare de ce moment, qu’il nous en reste à vivre d’ici 2050. C’est dire…

***

Cette déambulation dans les archives m’a rappelé à quel point le temps est une chose particulière.

On peut survoler le Soleil de 1998 sans grand dépaysement (quand on a 50 ans, du moins), parce que certaines choses ne changent pas, ou si peu, en 26 ans. D’autres choses changent profondément, à un niveau qu’on n’aurait même pas pu imaginer — le développement d’Internet, par exemple, qui aura même fini par faire disparaître l’édition imprimée du Soleil.

Il reste 26 ans d’ici 2050… De la même façon, certaines choses qui nous sont familières ne changeront probablement pas beaucoup d’ici là. D’autres sauront nous surprendrons complètement. Lesquelles? Probablement celles auxquelles nous aurons choisi, comme société, de consacrer notre attention et nos efforts.

Je suis convaincu que si nous faisons les bons choix, il y a tout lieu d’être optimiste. C’est toute l’importance de la politique, d’ailleurs.

Nous allons arriver à trouver des façons pour que la Terre reste un endroit où il fait bon vivre pour les êtres humains — et qui sait, peut-être même encore mieux qu’aujourd’hui, parce qu’il ne faut pas perdre de vue que ce n’est pas facile pour tout le monde actuellement…

Aujourd’hui, c’est la fin de l’édition imprimée du Soleil, mais ce n’est pas la fin du monde.

2023 en une image

Depuis quelques jours j’explore BlueSky, une application qui ambitionne de renouer avec la magie du Twitter original — avant que l’influence accordée aux algorithmes dans la circulation de l’information (et l’arrivée de Elon Musk) ne fasse tout déraper. Pour le moment, j’aime bien — à suivre…

Question de pouvoir bien expérimenter, il faut évidemment partager. J’ai donc dans les derniers jours fait quelques tests. Parmi ces tests, quelques partages de lectures. Facilité — j’ai étiré le bras sur la table à côté du divan où je m’installe généralement pour écrire et j’ai tiré un livre de la pile. Photo de la couverture, court extrait, référence. Tiens, Éloge de la parole, par exemple.

En voulant faire la même chose hier, j’ai mis la main sur D’images et d’eau fraîche, de Mona Chollet, où j’ai trouvé en page 3, d’une écriture manuscrite: reçu de Ana, Noël 2022.

— Tiens, il me semble eu j’avais écrit un texte sur mon blogue au sujet de ce livre l’an dernier.

Eh bien oui, le voici.

Ça m’a rappelé que ce texte avait même donné lieu à une série de textes complémentaire au sujet des images qui étaient restées dans mon iPhone au cours des mois précédents.

***

Ça m’a donné le goût de faire un tour des photos qui se sont ajoutées à la collection en 2023 — pour voir l’impression qu’elles me laissent, avec le recul que m’offre le 29 décembre.

De 5556 photos de toutes sortes, j’ai retenu 25 photos dont j’ai fait une mosaïque qui constitue quelque chose comme un résumé de l’année de mes 50 ans.

De ces 25 photos, je n’en publierai qu’une ici — parce qu’elle résume bien l’état d’esprit avec lequel je termine cette année… qui aura été mémorable de tellement de façons.

Bricolage

Un des grands plaisirs du temps des Fêtes c’est l’existence de moments libres, absolument pas planifiés. Les journées où il n’y pas d’heure.

Ce matin, j’ai survolé les notes quotidiennes que j’ai prises au cours de l’année — dans le but de faire un premier bilan personnel de 2023. J’ai aussi survolé les notes prises à la même période au cours des années précédentes.

Ça m’a rappelé le plaisir que j’ai à faire des collages. Mon activité des dernières années: prendre un exemplaire de magazine (le plus souvent le New Yorker) et faire un collage à partir des images que je trouve à l’intérieur. Et seulement ces images. Un exemplaire, un collage.

Et comme y’a pas d’heure aujourd’hui, je me suis dit pourquoi pas?

Alors hop! Colle, ciseaux, le New Yorker du 4 octobre 2021 trouvé au bas de la bibliothèque… et 45 minutes de méditation créative plus tard, voilà!

Quel titre donner à cette petite œuvre?

Après un instant de réflexion, ça s’est imposé à moi…

La conscience de l’occasion.

__

Un complément tout indiqué à mon texte d’hier, évidemment.

De quoi ce moment est-il l’occasion?

À la recherche d’un fil conducteur pour mon année 2024 (au lieu d’une simple résolution — merci Ana pour la suggestion!), j’ai lu aujourd’hui Avoir le temps, essai de chronosophie, de Pascal Chabot (présentation vidéo ici).

L’auteur fait dans ce livre un survol de quatre grands rapports au temps: le Destin, le Progrès, l’Hypertemps et le Délai — avant d’en proposer une cinquième, qu’il propose comme une forme de synthèse: l’Occasion.

Le Destin nous place dans un rapport de fatalité essentiellement déterminé par le passé.
Le Progrès nous place dans un rapport ouvert avec le futur en faisant une plus grande place à liberté.
L’Hypertemps se manifeste comme une présentification de l’histoire marquée par l’omniprésence du temps à travers les écrans, les horaires et le phénomène du crédit (en mobilisant aujourd’hui les ressources du futur).
Et le Délai, dont l’essence est d’analyser sous l’angle « du temps qui reste », à la manière d’un un compte à rebours qui nous approche d’une fatalité.

Ce quatrième rapport au temps, de plus en plus présent dans l’inconscient collectif, notamment dans le contexte des changements climatiques, pose particulièrement problème à Pascal Chabot:

« La récente prise de conscience du Délai fait naître des sentiments inédits. (…) J’aimerais par exemple nommer afuturalgie la douleur de se sentir privé de futur. Le Délai (…) a un retentissement émotionnel et affectif profond, qui peut s’accompagner d’angoisse ou de découragement. (…)

« Quel retournement curieux, que de voir des adolescents qui n’ont même pas eu le temps d’éprouver quelque nostalgie, faire déjà profession de foi afuturalgique! Avoir le sentiment de n’avoir pas de futur quand on n’a pourtant que cela, voilà la grande perversité de l’époque, qui doit nous rendre très prudents et même sceptiques dans la manière d’user de cette catégorie.

« Le plus élémentaire des devoirs envers la jeunesse est de ne pas lui livrer un manque d’avenir, ni concrètement – ce qui signifie qu’il faut agir –, ni intellectuellement, ce qui nous oblige à déboucher l’horizon, à investiguer pour savoir si d’autres schèmes temporels peuvent naître, car le Délai ne peut être le dernier mot.

« La responsabilité morale des intellectuels est ici engagée. Il y a comme un crime contre la jeunesse que de lui répéter qu’elle est la génération des tard-venus, des héritiers du monde de l’abondance qui n’en profiteront pas, ou encore des avant-derniers. »

***

Pascal Chabot rappelle d’ailleurs tout au long du livre, de diverses façons que « des rapports divers à la liberté, à l’égalité et à la qualité sont en jeu derrière [ces différents rapports au temps], et [qu’il] est important de savoir choisir et favoriser. »

Dans le dernier chapitre, il porte notre attention sur le fait que le Destin, l’Hypertemps et le Délai sont en fait trois images de la fatalité, à la différence du Progrès, qui n’y participe pas. Et tout en reconnaissant que le Progrès n’est pas non plus une panacée, « ayant été la matrice d’une lecture triomphale de l’Histoire dont on a souligné la violence », il plaide « qu’il est essentiel de souligner que les qualités humanistes qu’il porte sont précieuses et doivent être cultivées. »

La question, « cruciale pour qui n’accepte pas la fatalité », devient alors de trouver « Comment réactiver le Progrès en le réorientant ? Comment sauver le Progrès de ses errements sans le sacrifier sur l’autel des culpabilités passées ? ». Ou, dit autrement « comment faire progresser notre conception du progrès ? »

Et c’est là qu’intervient à son avis le rôle de la philosophie — de la chronosophie — dont le mode de pensée doit être l’Occasion:

« L’Occasion est le moment opportun, que les Grecs appelaient kaïros. Ils avaient compris que si l’Occasion est un schème temporel, car rien ne concerne autant la chronosophie que de savoir comment agir et à quel moment, elle n’est en rien comparable au passé, au présent ou au futur. L’Occasion est comme une sortie du temps. C’est pour cela qu’elle est le temps philosophique par excellence : elle suppose le surplomb que la philosophie peut lui donner. (…)

« L’Occasion, c’est le temps philosophique de la résolution. La prise de conscience d’une fenêtre d’opportunité, qui signifie qu’il faut agir. »

***

La lecture de Avoir le temps m’a donné envie de prendre un engagement envers moi-même.

Celui de me demander, aussi souvent que possible, de quoi le moment présent pourrait être l’occasion? — comme une façon d’éviter que le rythme du quotidien détermine à lui seul mon emploi du temps.

Conclusion de tout ça: le fil conducteur de mon année 2024 sera le désir de cultiver une conscience de l’Occasion.

___

Photo: un ex-libris fabriqué pour moi par Capucine Baz-Laberge

D’une chose à l’autre

Bon, ben… je n’aurai pas complété mon défi d’écriture sous forme de calendrier de l’Avent. Force est de constater qu’il me manquait de disponibilité d’esprit. Partie remise…

J’ai reçu pour Noël un livre qui est le fruit d’un autre beau défi d’écriture qui ne se prend pas trop au sérieux: Ma vie en t-shirts, de Haruki Murakami.

Au fil des pages, l’auteur décrit sous forme de chroniques les t-shirts qui composent sa collection: leur histoire, d’où ils viennent, pourquoi il les a achetés, s’il les porte ou non (et pourquoi), etc.

Un passage a particulièrement piqué ma curiosité:

« Lequel de mes T-shirts a le plus de prix pour moi ? Je crois que c’est le jaune, celui qui porte l’inscription « Tony Takitani ». Je l’ai déniché sur l’île Maui, dans une boutique de vêtements d’occasion, et je l’ai payé un dollar. Après quoi j’ai laissé vagabonder mon imagination: quel genre d’homme peut bien être ce Tony Takitani ? J’ai écrit une nouvelle dont il était le protagoniste, nouvelle qui a ensuite été adaptée en film. Tout cela pour un dollar ! »

Je suis donc parti à la recherche de cette nouvelle, que j’ai trouvée sur le site du New Yorker. Elle a été publiée en 2002 et a simplement pour titre Tony Takitani.

C’est l’histoire d’un homme qui tombe en amour avec une jeune femme qui affectionne les vêtements de luxe de façon obsessive. Jusqu’à ce que… non, je ne vous le dirai pas… surtout qu’au moment où on pense que c’est la fin, eh bien non… un grand malaise vient s’ajouter.

C’est une histoire intrigante… que je trouve encore plus fascinante en sachant qu’elle trouve son origine dans un simple t-shirt jaune dont l’inscription avait particulièrement piqué la curiosité de Murakami.

« …plus tard, j’ai entendu dire qu’il s’agissait d’un T-shirt en rapport avec des élections. House désignait la Chambre des représentants (House of Representatives), et le « D» indiquait qu’il s’agissait des démocrates. Tony Takitani était l’un des candidats du Parti démocrate. Un jour, après la publication de ma nouvelle et sa traduction en anglais, j’ai reçu une lettre d’un homme qui me disait qu’il était Tony Takitani. Il ajoutait qu’il n’avait pas été élu mais qu’entre-temps, il était devenu avocat; il connaissait de beaux succès. »

Je me demande quel genre d’histoire un auteur pourrait inventer s’il trouvait un t-shirt avec mon nom écrit dessus.

Fables

En me levant ce matin, j’ai trouvé le lutin couché entre les pages du recueil des Fables de Lafontaine.

Il était installé à la page 246, où j’ai découvert une fable que je ne connaissais pas: Le chat, la belette et le petit lapin. C’est une histoire dans laquelle un chat est choisi pour résoudre un différend entre une belette et un lapin… et qui en profite pour les croquer l’un et l’autre!

Je pense que c’est ma fille qui m’a joué un tour pour s’inviter comme co-autrice dans la série de textes de mon calendrier de l’Avent.

Pourquoi elle l’aurait placé dans les Fables de Lafontaine? Je pense que c’est parce qu’en chiffonnant des feuilles de journal pour allumer le foyer hier soir, avec elle, j’ai mis de côté une page du Devoir qui présentait un texte invitant à relire l’œuvre du fabuliste.

Après m’être coulé un café, j’ai donc repris la page du journal pour lire l’article. Un passage a piqué ma curiosité:

« Les fables apparaissent à plusieurs comme de véritables boussoles sociales (…) En 2015, [un étudiant] en sciences politiques de l’UQAM a signé un mémoire de maîtrise intitulé État de nature et avènement de l’état civil dans l’œuvre de Jean de La Fontaine. »

Ça m’a donné envie de parcourir ce mémoire, que j’ai pu trouver facilement sur le site de l’UQAM. Une belle lecture de dimanche matin.

J’ai évidemment trouvé dans le mémoire des références à une fable très importante dans mon éducation familiale, Le Loup et le chien, mais j’ai aussi pu y trouver une analyse de Le chat, la belette et le petit lapin.

« [cette fable démontre] que le recours aux tribunaux peut être très coûteux et que, même, les plaideurs se mettent en danger à vouloir laisser un tiers trancher leurs litiges : le juge peut trancher en défaveur des deux parties. »

La magie de Noël m’a donné envie d’inventer une histoire dans laquelle cet étudiant est devenu conseiller politique pour le Premier ministre et qu’il s’occupe de dossiers qui pourraient nous amener à nous rencontrer… mais j’ai trouvé que ça aurait l’air beaucoup trop improbable.

N’est-ce pas?

À moins que…

Ce texte fait partie de mon Calendrier de l’Avent 2023

On y est presque

J’ai reçu un nouveau message de l’ami anonyme jeudi. Un message plein de bienveillance.

Ça m’a fait réfléchir. Pas encore assez dans l’esprit de Noël… ok, ok… Alors j’ai décidé de prendre les grands moyens, et j’ai fait appel à Vince Guaraldi et Charlie Brown. Play. Ça ne peut pas nuire.

Je me suis pris un café, j’y ai ajouté un peu de Sortilège, et j’ai pris le temps de lire le nouveau Astérix, l’Iris blanc, avec les textes de Fabcaro. J’ai adoré. Ironique à souhait, plein de sourires.

C’est en relevant les yeux après avoir tourné la dernière page que j’ai vu le lutin agrippé au télescope… alors qu’on n’a pas encore sorti les décorations de Noël! Comment a-t-il pu?

Je me suis penché pour voir ce qu’il m’invitait à regarder.

Les premières glaces sur le fleuve. Quelques oiseaux pas frileux. Et un porte-conteneur dont la coque rouge tranche avec le beau blanc de la rive de Charlevoix.

Tiens, ça fait longtemps que je n’ai pas pris le temps de chercher un peu d’information sur les bateaux qui passent.

Hop, petit tour sur MarineTraffic, quelques mouvement de doigts, et… surprise!

Je n’en croyais pas mes yeux.

C’était Christmas II, parti d’un port inconnu, en direction de Québec, où il doit arriver aujourd’hui.

Comme quoi, tout vient à point à qui sait attendre…

Ce texte fait partie de mon Calendrier de l’Avent 2023

La mitaine

En arrivant à l’Hôtel de Ville ce matin, j’ai vu une mitaine (perdue par un enfant?) qui avait été placée sur une tige de signalisation.

Et comme la scène me rappelait une autre photo prise il y a quelques années, j’ai sorti mon iPhone pour en faire une nouvelle photo.

Je me suis ensuite mis à la recherche d’une photo pour servir de support au texte d’aujourd’hui… en gardant toujours un lien avec celle qui accompagnait le texte d’hier

Mais malgré tous mes efforts, je n’ai vraiment rien trouvé de très inspirant…

Je me trouvais bon à rien ce soir… aucune d’inspiration… probablement sous l’effet de la fatigue.

C’est à ce moment que je me suis dit:

Franchement… plutôt que d’aller à l’Hôtel de Ville demain, je devrais peut-être aller au chalet…

Après un instant, je me suis entendu dire:

Hôtel de Ville… Chalet…

Et c’est alors que:

Chalet…

Ma foi… ça sonne comme…

Mais oui… voilà ce que je cherchais!

Et c’est à ce moment que, plutôt que de continuer à chercher une véritable photo… j’ai décidé d’en composer une nouvelle, à la manière d’un collage numérique pour lui donner une allure de rébus. Sans oublier d’y intégrer une pinte de lait semblable à celle qui était présente dans la photo de ce matin.

Et voilà:

(De) main, (j’irai au) chat lait.

Bon, Ok, Ok… je vous le concède: il est clairement temps que j’aille me coucher.

Panne de magie de Noël ce soir…

À demain!

Ce texte fait partie de mon Calendrier de l’Avent 2023

L’esprit des lutins

Ce devrait être le texte du 5 décembre… mais je l’écris le matin du 6 décembre. Je suis en mode rattrapage.

J’ai bien essayé de rédiger mon texte hier soir — mais malgré tous mes efforts… l’inspiration manquait. Ou est-ce l’énergie?

Quoi qu’il en soit, j’ai opté pour me coucher sans m’obstiner.

Et ce matin, flash… je pense que c’est l’énergie des lutins de Noël qui s’est emparé de moi.

Au moment de disposer de la boîte de céréales vide… ses dimensions ont attiré mon attention: celles d’un paquet de cartes. J’avais mon idée

J’ai sorti les ciseaux pendant que le café coulait.

J’ai bricolé un peu avant de mettre le lait dans le bol.

Et hop: l’As des Mini Wheat!

Il ne reste qu’à confectionner les 51 autres cartes.

Mais je me donne le temps d’y repenser…

Cela dit… pour que je prenne le temps de bricoler au déjeuner… c’est clairement l’effet de la magie de Noël qui se fait sentir!

Ce texte fait partie de mon Calendrier de l’Avent 2023

Maladresse

Ouf — quelle journée. Rien ne s’est déroulé comme prévu… et ça n’a généralement pas été pour le mieux!

Alors pas besoin de dire que je suis arrivé à la maison crevé, et avec évidemment encore une foule de choses à faire: suivis, courriels, téléphones… sans compter le texte de mon calendrier de l’Avent.

Je savais qu’il y aurait des jours où ce serait plus difficile, fatigué, sans trop d’inspiration. Comme ce soir.

Et pour ça non plus, ça ne s’est pas déroulé comme prévu!

Après avoir mangé une petite bouchée, je me suis assis devant la photo qui accompagnait le texte d’hier dans le but d’y trouver ce qui pourrait me servir de trait d’union vers une nouvelle image.

L’image de Léonard de Vinci? La tasse de café? Les crayons? Rien ne m’inspirait. Et j’avais beau me promener dans les photos qui se trouvent dans mon iPad et dans mon iPhone à la recherche d’une image à réutiliser… rien n’y faisait.

Toujours à la recherche de l’inspiration, mon attention s’est portée sur les enveloppes au bas de la photo.

Ça m’a fait penser que je devais sortir des timbres pour pouvoir mettre les cartes de souhaits que j’ai préparées hier après-midi à la poste.

Je me suis donc dirigé vers la pièce où j’ai travaillé, de la maison, jusqu’en novembre 2021. J’ai pris dans la bibliothèque la boîte où sont rangés les timbres… et au moment d’ouvrir la boîte… elle m’a glissé des mains et le contenu s’est répandu sur le sol.

Et là — surprise! Pas de timbres… mais plutôt un vrai fouillis! Et dans ce fouillis, une lettre inscrite sur une carte m’a sauté aux yeux! Le A sur l’As de pique! Comme celui sur la petite linogravure sur la photo d’hier!

L’image que je cherchais pour le texte d’aujourd’hui venait de se composer à mes pieds.

Je suis resté un moment à contempler le désordre.

Le fond d’un tube de crème pour les pieds;
Un petit cœur en verre rouge;
Le schtroumpf noctambule;
Une licorne;
Un écrou;
Un bout de ficelle;
Quelques pièces de monnaie;
Un paquet d’allumettes d’expo67;
Un stylo aux couleurs des Nordiques…
Des Jacks, des Queens…. mais, non… aucun Kings!

Et plus incroyable encore… la maniboule refaisait surface à nouveau!

La maniboule, c’est un objet fabriqué par ma mère (il y a une quarantaine d’années), qui a le mystérieux pouvoir de réapparaître de temps à autre, sans trop qu’on sache comment ni pourquoi. Je suis certain que même si on voulait la perdre, on n’y arriverait pas.

Mais comment donc ces objets ont pu se retrouver dans cette boîte, où il devait pourtant n’y avoir que des timbres?

Quelles sont les chances qu’un paquet d’allumettes d’expo67 se trouve à partager l’espace avec un vieux tube de crème pour les pieds (qui devrait être à la poubelle depuis longtemps!), un paquet de cartes aux couleurs de Mondrian… et la maniboule?

Je me suis dit que l’Univers tentait forcément de m’envoyer un message. Une invitation à dormir plus? À rêver plus? À aimer plus? À écrire plus? À jouer plus?

Qui sait si ma maladresse n’a pas été provoquée (par qui? par quoi?) pour me plonger dans ces réflexions? Un acte manqué?

Certains lisent dans les feuilles de thé, d’autres dans le marc de café, ou dans les lignes de la main — pourquoi pas dans le contenu d’une boîte renversée?

Et c’est là que j’ai remarqué, dans l’ombre de la boîte, le jonc d’argent que je croyais perdu depuis longtemps.

Je l’ai glissé à mon doigt.

Il a retrouvé sa place, comme par magie.

Ce texte fait partie de mon Calendrier de l’Avent 2023