Entre l’ombre et la lumière

Je participais hier au colloque de l’AEESPUL qui se déroule sous le thème « Regards sur le Québec de demain ».

La table ronde à laquelle j’avais le plaisir de prendre part avait pour titre « Les acteurs de l’ombre ». Elle regroupait Martin Koskinen, directeur de cabinet du Premier ministre, Julie White, avocate, ancienne directrice de cabinet du ministre Gaétan Barrette, maintenant directrice chez TACT, et moi, à titre de directeur de cabinet du maire de Québec (représenté sur l’image par une vieille photo de 2014!).

Ça a vraiment été un très bel échange de plus de 90 minutes, avec des étudiantes et des étudiants très attentifs. Ça finissait bien la semaine — en marge du rythme un peu fou des autres jours.

Ça a été une belle occasion aussi pour faire une réflexion sur plusieurs aspects du rôle de directeur cabinet, et aux différentes façons de l’exercer. À trois, on pouvait témoigner d’une belle variété d’expériences.

Les réponses à la question « comment a été votre premier journée comme directeur / directrice de cabinet? » en a rapidement donné un bel aperçu. Pour Martin c’était au terme d’une longue période avec M. Legault. Pour Julie, une arrivée dans un cabinet pré-existant, pour moi, une invraisemblable journée avec tout à inventer.

Au sujet de la réalité des femmes dans le milieu politique — Julie a pu témoigner des défis variés, certains évidents, d’autres moins, par-delà les clichés. Martin a témoigné de l’impact de la parité dans les débats et arbitrages même (surtout?) au plus haut niveau. J’ai évoqué de mon côté des efforts à faire pour repenser certains mécanismes de la démocratie si on veut faciliter la participation de tout le monde. Quand on fait les consultations publiques toujours au mêmes heures, avec les mêmes contraintes, il ne faut pas s’étonner d’y voir toujours le même monde. Une plus grande diversité dans les moyens favorise aussi la diversité dans les participants. Ce n’est qu’un exemple. Il faut travailler aussi sur le fonctionnement des conseils municipaux et vraisemblablement de l’Assemblée nationale. Julie a eu raison de terminer ce segment en disant que malgré les défis, c’est un univers extraordinaire que les femmes doivent continuer d’investir avec vigueur. Les choses s’améliorent, il faut continuer.

Sur les aptitudes nécessaires pour un directeur ou une directrice de cabinet — Martin a spontanément évoqué la capacité d’offrir des conseils, avec humilité, pour que les personnes que nous servons puissent prendre la décision la mieux éclairée possible. Julie a insisté sur l’importance de la confiance: savoir faire confiance, et obtenir la confiance. J’ai ajouté le besoin d’avoir une lecture stratégique du temps et du rythme, parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps, on ne peut pas toujours avoir la pédale au fond… il faut savoir doser, ralentir parfois certaines choses, pour faire du temps pour autre chose qui doit être accéléré, puis réajuster.

Martin s’est fait questionner sur une phrase de sa description sur Twitter: « Autodidacte assumé ». Ça a donné lieu à un bel échange sur l’importance des profils « généralistes ». J’ai dit que j’aimais beaucoup le paradoxe autodidacte assumé, parce qu’il suggère une humilité devant les experts, mais une confiance dans son jugement. On était tous les trois d’accord pour dire que les questions naïves ont souvent un rôle essentiel pour identifier des propositions politiques nouvelles.

En réponse à une question évoquant le fait que les directeurs et directrices de cabinet étaient souvent perçues comme des personnes cérébrales, les éminences grises d’un cabinet, Julie a spontanément souligné que ce n’était pas suffisant. Elle a souligné l’importance de la sensibilité et de la créativité. Ça me semble très juste. La capacité de sentir les choses et d’identifier la tendance un peu avant tout le monde, est effectivement cruciale. On ne peut pas réussir à chaque fois… mais quand on y arrive, c’est précieux.

Comment organiser le fonctionnement d’un cabinet? Quel équilibre trouver entre la centralisation et la distribution des responsabilités? D’où vient l’autorité du chef de cabinet? Nous nous entendions pas mal tous pour dire qu’il faut de l’agilité. J’ai évoqué le besoin d’accepter se remettre en question, de s’interroger sur le fonctionnement d’autres cabinets, de ceux qui nous ont précédés. Être leader, c’est aussi être capable de faire preuve d’humilité. Ne pas juger les autres, s’en inspirer plutôt.

Comment on fait pour garder une objectivité dans les conseils qu’on prodigue sans tomber dans la partisanerie? Nous étions pas mal d’accord pour dire qu’il ne faut pas voir la partisanerie comme quelque chose de négatif. J’ai soumis à la réflexion qu’un parti politique, c’est aussi un groupe de personnes qui se rassemblent parce qu’elles adhèrent à une certaine vision du monde, et sur la façon de faire de la politique. Et que quand on a ça en tête, intégrer une dimension partisane dans l’analyse des situations, c’est aussi se référer à cette vision du monde et de l’action politique. Je pense que n’est pas contradictoire avec l’objectivité, ça peut même être une forme de cohérence.

Qu’est-ce qui nous amène à accepter des boulots aussi exigeants? — Unanimement: la volonté de réaliser des projets, de changer quelque chose dans la société. Mon résumé: le désir et le plaisir de rendre possibles des choses improbables.

C’est d’ailleurs un critère de priorisation pour moi, au quotidien: les changements qui arriveraient de toute façon, qu’on soit là ou pas, quels qu’aient été les résultats de la dernière élection, ne devraient pas trop nous occuper… C’est ce qui n’arriverait pas, ou qu’on croit nécessaire de faire arriver plus vite, qui doit mobiliser nos ressources. Je pense que c’est nécessaire d’être conscient de ça si on veut faire avancer les questions les plus essentielles.

***

Merci à mes deux copanélistes: nos échanges ont été vraiment très agréables.

Et surtout, un très grand merci aux étudiantes et aux étudiants pour nous avoir offert cette belle occasion de réflexion et de partage. J’espère que vous avez apprécié le résultat autant que moi (et Julie, et Martin, je pense!).

Soyez certaines et certains que le monde politique vous attend avec impatience!

Conclusion

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

Dernier jour des vacances, déjà! — Mais que ça a fait du bien!

Par-delà les rencontres, toujours très agréables, les obligations et les imprévus, il y a eu de belles heures de popote, de jeux, quelques films (ce n’est pas là qu’on a eu le plus de flair!). De belles heures de lecture et d’écriture aussi.

J’ai commencé les vacances avec D’images et d’eau fraîche, de Mona Chollet, qui m’a donné l’idée d’écrire une série de textes sur les photos qui se trouvent dans mon iPhone.

J’ai poursuivi avec plusieurs récits de Sylvain Tesson, dont j’avais beaucoup apprécié Dans les forêts de Sibérie, il y a quelques années. J’ai d’abord lu S’abandonner à vivre — de courtes nouvelles — puis Blanc, puis Sur les chemins noirs et finalement La panthère des neiges — trois récits d’aventures.

Dans Les forêts de Sibérie, l’auteur a choisi de s’encabaner.

Dans Blanc et dans Sur les chemins noirs, l’auteur part à l’aventure, en skis dans les Alpes, dans un cas, et à pieds à travers la France rurale, dans l’autre.

Dans La panthère des neiges, que j’ai terminé hier soir (et que j’ai préféré à tous les autres!), l’auteur tente d’observer un animal. Dans ce cas, l’aventure ne consiste pas à atteindre une destination, mais plutôt à réussir à être à la bonne place au bon moment.

C’est le roman de l’affût, « ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable».

C’est en lisant ça que toutes sortes d’associations imprévues sont apparues entre mes lectures et mes activités d’écriture des derniers jours.

Sinuosités, écrit le 3 janvier, est évidemment dans l’esprit de Blanc et Sur les chemins noirs.

Mais ce sont certains passages de La panthère des neiges qui m’ont particulièrement interpelés:

À la page 123:

« Je me jurais, une fois rentré en France, de continuer à pratiquer l’affût. Nul besoin de se trouver à 5 000 mètres dans l’Himalaya. La grandeur de cet exercice partout praticable était de toujours procurer ce qu’on exigeait de lui. À la fenêtre de sa chambre, sur la terrasse d’un restaurant, dans une forêt ou sur le bord de l’eau, en société ou seul sur un banc, il suffisait d’écarquiller les yeux et d’attendre que quelque chose surgisse. On ne l’aurait jamais noté si l’on ne s’était pas maintenu aux aguets. Et si rien n’arrivait, la qualité du temps passé s’était trouvée accrue par l’attention portée. »

Ça décrit bien le point de départ de l’exercice de relecture de mes photographies — et plus encore, l’esprit du texte Ma fenêtre, écrit le 27 décembre, et de la suggestion de lecture complémentaire, que m’a faite Luc Jodoin: Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, auquel j’ai fait référence dans En temps réel, le lendemain.

À la page 70:

« Avec Munier, je commençais à saisir que la contemplation des bêtes vous projette devant votre reflet inversé. Les animaux incarnent la volupté, la liberté, l’autonomie : ce à quoi nous avons renoncé. »

Comment ne pas y voir un lien avec le texte Miroir animal, écrit le 4 janvier?

À la page 38:

« Si quelque chose advient ce sera la récompense. Si rien n’arrive, on lèvera le camp, décidé à reprendre l’affût, le lendemain. Alors, si la bête se montre, ce sera la fête. Et l’on accueillera ce compagnon dont la présence était sûre, mais la visite incertaine. L’affût est une foi modeste. »

Et à la page 181:

« Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c’était que nous n’avions pas su regarder. »

Quelques phrases que je reçois comme un rappel de l’importance d’avoir continuellement une attention active à ce qui se passe autour de soi — de ne jamais se laisser absorber par le quotidien — pour être en mesure de déceler l’improbable, et les curiosités, comme celles auxquelles j’ai fait référence le 1er janvier.

***

C’est avec ce texte que je conclus la série Les images qui restent… et, du même coup, les vacances de fin d’année!

Demain, les contraintes de la vie quotidienne vont rapidement reprendre leurs droits… mais je vais tenter de rester à l’affût, tous les jours.

Ce sera ma résolution pour 2023.

Pauses

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

J’ai ressenti un grand bien-être en retrouvant aussi plusieurs photos qui témoignent de courts moments d’écriture. Des moments assez spéciaux pour que je sente spontanément qu’il fallait en conserver une trace — pour m’en rappeler… et m’inciter à les multiplier.

Ce sont généralement des moments où j’aurais dû être en train de faire autre chose… mais que j’ai décidé de réclamer au quotidien. Des moments à contre-temps, pour casser le rythme.

Arrêt pour un café à la boulangerie en fin d’avant-midi le samedi — moment qui est progressivement devenu un rituel.

Très rare arrêt pour un drink dans un resto du Vieux-Port, question de faire le point au terme d’une journée particulièrement exigeante.

Pause dans le divan de la maison, dos à la fenêtre et au soleil de fin d’après-midi.

Samedi après-midi lecture et écriture d’un bilan de la semaine, dans le vieux fauteuil du chalet.

Rare dîner seul dans la cour d’un café près de l’Hôtel de ville, parce que si je ne le fais pas un vendredi au milieu de l’été, quand est-ce que je le ferai?

Court moment de recueillement avant d’ouvrir le cahier de note #1, à ma première journée dans le bureau du directeur de cabinet.

J’espère pouvoir multiplier ces courts moments d’écriture dans la prochaine année.

Miroir animal

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

Quels liens entre les animaux qui se trouvent dans les photos de mon iPhone? Je pense que le plus probable, c’est la lenteur.

Les taquins me diront que c’est parce que ce sont les seuls que j’arrive à saisir.

Je pense que c’est plutôt parce qu’ils se trouvaient à réfléter mon état d’esprit au moment où nos routes se sont croisées. On s’est reconnus.

Est-ce que j’ai vu ces animaux lents parce que j’étais calme? Ou c’est leur lenteur qui a nourri mon calme? J’ose croire que c’est un peu des deux.

Il reste que ce n’est probablement pas un hasard si ces cinq photos ont été prises la fin de semaine.

Est-ce que j’aurais vu l’escargot sur ma route un jour de semaine?

Est-ce que j’aurais pris le temps de m’asseoir pour inviter le canard à s’approcher?

Est-ce que que je me serais interrogé sur la capacité des chats à apprécier un coucher de soleil?

Exception, peut-être, cet écureuil qui a l’air de me dire: « ne te trompe pas, c’est moi qui t’ai vu en premier! »

Pour voir un animal lent il faut être calme.

***

L’escargot est naturellement héroïque: l’escargot ne recule jamais.

— Alexandre Vialatte

Sinuosités

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

J’ai aussi retrouvé dans mon iPhone de nombreuses photos de chemins sinueux. Des voies ferrées, des chemins sur pilotis, des sentiers, des trottoirs, des côtes — autant en nature qu’en ville.

Certaines photos ont été prises au moment où je parcourais ces chemins. Je sais où ils mènent, j’ai le souvenir de ma destination. D’autres sont restés inaccessibles, mystérieux — ils restent des invitations.

Les chemins que je préfère sont ceux qui nous font oublier ce qui explique leurs méandres. Ceux dont les obstacles disparaissent dans l’élégance de leurs courbes.

Je pense que je prends spontanément des photos de ce type de chemins parce que leur beauté me rappelle à quel point il est important de savoir apprécier les détours que la vie nous impose parfois.

Associations

Cozic, Boule E (2007), photographiée au MNBAQ le 3 janvier 2020

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

J’aime beaucoup les coïncidences — je les perçois comme des signes d’éveil; comme un signal de la qualité de la conscience que j’accorde à mon environnement.

Les associations d’images, ne sont pas vraiment des coïncidences, mais elles témoignent aussi d’une forme d’éveil, d’une attention continue, qui permet de faire des liens entre les choses par-delà l’instant.

J’ai donc, sans surprise, trouvé dans mon iPhone plusieurs paires de photos prises à des moments différents, simplement parce que la deuxième me faisait penser à une photo que j’avais déjà prise (que j’ai chaque fois dû retrouver: « à quoi ça me fait penser donc? recherche… recherche… ah, oui, celle-là!»).

Ce sont des photos de nature très variées. Trois exemples (les images correspondantes sont au bas du texte):

Première paire: Une photo prise lors d’une balade matinale sur le chantier de la troisième phase de la Promenade Samuel-de-Champlain: un trottoir en attente de son béton. C’était le 23 juillet, à 6h56. En après-midi, le même jour, j’ai reçu l’infolettre du New Yorker — qui contenait une illustration semblable. J’en ai conservé une copie d’écran.

Deuxième paire: En consultant Google Maps, le 16 mai 2022, la forme d’une sortie d’autoroute a attiré mon attention… elle me rappelle quelque chose… l’œuvre de Riopelle, évidemment! Google, recherche… «oui, celle-là!». Copie d’écran. Une association additionnelle dans ce cas: au centre de la sortie d’autoroute, le toponyme: Étang des Bernaches.

Troisième paire: Une oeuvre de Jean-Paul Jérôme vue à Baie-Saint-Paul le 19 août 2020, et une autre de Cozic, vue au MNBAQ le 2 janvier 2020. Carrée, sphérique: qu’importe! La parenté me semble évidente!

Dans ce cas, il s’ajoute même une coïncidence quand je relis la notice associée à l’œuvre, puisqu’elle fait référence à l’œuvre de Perec, vers laquelle Luc Jodoin me dirigeait à la lecture du premier texte de cette série consacrée aux images.

En fouillant dans les autres photos prises à Baie Saint-Paul, j’ai même pu trouver deux oeuvres de Jean-Paul Jérôme qui sont encore plus directement associées à celle de Cozic — mais pour lesquelles la parenté ne m’avait pas sautée aux yeux.

***

Je pense que je conserve ces photos un peu comme des trophées de chasse. Comme autant de petites victoires de mon attention dans un monde rempli de sources de distractions.

Curiosités

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

J’aime beaucoup quand l’imprévisible surgit dans le quotidien.

Quand mon attention est attirée par des choses rares, inhabituelles, originales ou improbables.

Parfois c’est arrêté à un feu de circulation que je dois saisir mon iPhone pour prendre une photo…

Comme dans le cas de ces mariées qui traversent la rue, à une période de la pandémie où il n’était probablement pas possible de célébrer des mariages dans une église.

Ou comme dans le cas de ce brigadier scolaire, habillé en Père-Noël pour le dernier jour avant les vacances.

Parfois c’est plutôt en marchant que les curiosités attirent mon attention…

Comme dans le cas de ce petit chien qui garde avec détermination (et jappements!) un spectaculaire véhicule stationné sur la rue Cartier.

Ou celui de ce bonhomme de neige qui attend très patiemment l’autobus sur le Chemin Sainte-Foy, près de chez moi.

Ou encore cet alignement de cinq voitures rouge, toutes différentes, près de chez moi, un soir d’été.

***

Pourquoi prendre ces photos? Bonne question… peut-être pour pouvoir être certain que je n’ai pas juste imaginé ces moments?

Peut-être aussi parce que chacun de ces moments mériterait qu’on leur invente une histoire…

Je devrais peut-être les regrouper dans une collection que j’intitulerais « matériaux d’une fiction ».

Bricolages

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

Parmi les photos des trois dernières années, je retrouve aussi plusieurs traces de séances de bricolage. Elles sont malheureusement plus rares en 2022.

La plupart des bricolages ont terminé leur route dans le bac de recyclage ou à la poubelle.

Ils ont été fait juste pour le plaisir de bricoler — pour penser à autre chose, pour voir les choses autrement, pour activer d’autres régions du cerveau, pour sortir de ma zone de confort. Et pour lâcher mon fou.

Aussitôt complété, direction poubelle pour cet ensemble de rouleaux de papier de toilettes pandémique (18 avril 2020). La photo est tout ce qu’il en reste. Souvenir d’une période très étrange où il valait sans doute mieux en rire…

Quelques autres survivent un peu plus longtemps. Pas nécessairement parce qu’ils sont plus « réussis ». Surtout par toutes sortes de hasards ou grâce à des complicités imprévues.

Le collage « courage » (14 janvier 2021), par exemple, qui s’est trouvé accroché sur le mur du salon, simplement parce que sa route a croisé un vieux cadre vide au bon moment. Plus important que d’autres? Pas du tout — juste un survivant.

Il y a aussi ce sac de papier recouvert de dessins farfelus — peint un après-midi d’été pour me vider l’esprit (12 juillet 2022)… qui s’est mérité une place sur un mur de l’hôtel de ville grâce à la complicité d’une collègue. Je pense que ça lui procure le statut d’oeuvre burlesque à quatre mains — malgré ce qu’indique la notice humoristique! (21 juillet 2022)

Il y a finalement quelques photos des processus de création — de la couleur, des pinceaux, des doigts sales.

Avec le recul, je pense que ces photos ont surtout pour objectif de me rappeler le plaisir et le bien-être que ces moments me procurent.

Mots publics

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

Il y a aussi plusieurs photos de mots dans mon iPhone.

Les mots attirent manifestement mon attention, même (surtout?) quand ils ne me sont pas destinés.

J’aime les mots écrits à des endroits où on ne les imaginait pas. Les mots hors contexte, les mots codés, les mots qui font rêver.

Sur une photo: « Transition », inscrit sur une piste cyclable (1er octobre 2022, 16h38). Transition énergétique? Écologique? Ou juste l’inscription maladroite d’un détour?

Les travaux publics sont parfois source de philosophie.

Sur une autre photo, le mot « arbre » au bout d’un piquet, en bordure d’une rue fraîchement réaménagée (19 juin 2020, 20h57). Simple indication pour les ouvriers? Ou invitation poétique à fermer les yeux pour imaginer le paysage dans quelques années?

« Ceci n’est pas un arbre », aurait probablement répondu Magritte.

Il y a aussi cette photo de l’entrée de la cour de mon école primaire avec une large ligne hachurée, comme au centre d’une patinoire, avec d’un côté le mot « élèves » et de l’autre le mot « parents » — vestige des pires moments de la pandémie (8 novembre 2020, 7h20).

J’ai aussi le mot « tunnel », accompagné d’une flèche, sur un trottoir, au beau milieu de nulle part (23 juillet 2022, 7h48). Pourtant, aucun tunnel perceptible dans les environs. J’ai imaginé que c’était le reflet perdu d’un monde souterrain.

Il y a dans le paysage des mots qui indiquent, des mots qui ordonnent, des mots qui invitent à la rêverie. Il y a aussi parfois des mots qui font sourire.

Comme cet « amour » coloré, une broderie fixée là où on s’y attendait le moins: sur une clôture en bordure d’une voie ferrée (23 juillet 2022, 6h38).

Et si tous ces mots, apparemment dispersés ici et là, formaient des phrases? Quelle histoire se trouveraient-ils à raconter?

Marcher, c’est aussi parfois un peu écrire. Une photo à la fois.

Hommage

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

En parcourant mes photos, je constate mon affection pour toutes sortes de curiosités trouvées dans les lieux publics. Comme ce cadre contenant un noeud papillon.

La photo a été prise le 12 août à 8h30, chez Steve-O-Reno’s, un très charmant café de Halifax.

Sous le noeud papillon, on peut lire « À la mémoire de Ted Worthington »

Sans autre explication.

Le cadrage maladroit de la photo témoigne bien que je l’ai prise à la dérobée, probablement au dessus de l’épaule de quelqu’un, au moment de quitter le café. Pas pour l’esthétique, mais comme une capture, un matériaux (pour en faire quoi? mystère! un texte? peut-être… quatre mois plus tard: le voilà!)

Le nom gravé sur une plaquette métallique m’a rappelé des inscriptions semblables sur les tables d’un café de la rue Cartier. Témoins des passages répétés des mêmes clients, aux mêmes endroits.

Et ce n’est que maintenant que je me demande qui était Ted Worthington.

Google: Ted Worthington

C’est sur son compte Twitter que je suis d’abord dirigé:

@seriauno

Avec un peu plus de recherche, sa notice nécrologique:

Captain C.R. « Ted » WORTHINGTON (1931-2021)

Je fais l’hypothèse que c’est l’amabilité de Ted Worthington qui a incité les propriétaires du café à souligner sa mémoire — bien plus que sa carrière ou d’autres accomplissements.

J’interprète mon réflexe à prendre ce type de photo comme un rappel, toujours utile, que c’est par notre façon d’être que nous marquons le plus durablement les gens autour de nous.

Ma fenêtre

Ce texte fait partie de la série Les images qui restent…

C’est la vue de la fenêtre de mon bureau.

J’y prends une photo presque tous les jours en arrivant à l’Hôtel de Ville. Je le fais depuis un peu plus d’un an — généralement autour de 7h30. Cette photo est une exception, elle a été prise à 19h36, le 28 avril.

C’est la lumière dorée sur la basilique qui a attiré mon attention et invité à prendre la photo.

Chaque journée passée à l’Hôtel de Ville commence par un regard par la fenêtre (et une photo). Elle se termine aussi par un regard à la fenêtre.

Je fais aussi de nombreux appels devant la fenêtre. Je dois y passer plus d’une heure chaque jour, observant les allées et venues sur la place — inventant parfois des personnages, des histoires ou m’imaginant observer la scène par une autre des fenêtres visibles de la Place de l’Hôtel de Ville.

Il y a toujours des choses à observer.

J’ai été particulièrement choyé cet été, parce que la Place a fait l’objet de très grands travaux. La circulation n’a pas toujours été la même, les habitudes des passants se sont modifiées…

Il y a eu des jours où les drapeaux étaient en berne. J’y ai vu des protestations et des réjouissances, des conférences de presse et nombreux élu.e.s se serrer la main. J’ai vu une statue disparaître et j’ai même pu y voir le pape parcourir la rue Buade en fauteuil roulant.

Impossible de ne pas souligner aussi le plaisir d’apercevoir la lumière de mon bureau allumée, à partir de la rue, quand j’arrive à l’Hôtel de Ville à l’aube. Accueil unique et bienveillant dont j’ai le privilège de bénéficier à mon tour.

Les images qui restent

Photo: Autoportrait, le 2 mars 2021

Le temps des Fêtes. Suspendre le temps. Prendre le temps de lire quelques livres.

J’ai commencé par D’images et d’eau fraîche, de Mona Chollet — reçu en cadeau au réveillon.

L’autrice, journaliste et essayiste, nous invite à un parcours de réflexion à travers les collections d’images qu’elle regroupe dans Pinterest. Les images sont parfois reproduites dans le livre, parfois elles sont seulement évoquées.

« Ce que nos collections disent de nous », indique le bandeau. C’est un bon résumé. La lecture m’a fait réfléchir aux images que je conserve dans mon iPhone.

Qu’est-ce qui attire suffisamment mon attention, au jour le jour, pour que je sorte le téléphone de ma poche pour prendre une photo? Qu’est-ce qui est assez important pour que je choisisse de conserver la photo? Quels sont les événements que j’aurais oublié si je n’en avais pas conservé quelques pixels? Y a-t-il des photos dont l’importance est imperceptible aujourd’hui, mais qui pourrait se révéler dans le futur? Qu’est-ce que je pourrais assurément effacer sans conséquence?

Peut-être plus intéressant: est-ce que ce qui attire mon attention évolue avec le temps? En fonction de ce qui m’occupe? Des lieux que je fréquente le plus fréquemment? Qu’est-ce que cela révèle de moi?

J’ai pris une heure ou deux ce matin pour de parcourir les photos conservées dans mon iPhone depuis le mois de mars 2020 — début de la pandémie. Pour remonter plus loin, il faudrait que je fouille dans mes archives.

Qu’est-ce que ces images disent de moi?

C’est la question qui sera au cœur de mon exercice d’écriture des prochains jours (un exercice que j’ai fait quelques fois par le passé, sur d’autres thèmes, souvent à la même période — comme une forme de rétrospective annuelle).

Textes de la série:

27 décembre: Ma fenêtre

28 décembre: Hommage

29 décembre: Mots publics

31 décembre: Bricolages

1er janvier: Curiosités

2 janvier: Associations

3 janvier: Sinuosités

4 janvier: Miroir animal

7 janvier: Pauses

8 janvier: Conclusion

11 septembre + 21

Chaque 11 septembre, je me souviens évidemment de ce matin-là. J’étais à New-York. Je l’ai déjà évoqué, ici et , notamment.

Au réveil ce matin, je me disais que c’est, lentement mais sûrement, le souvenir de cet événement qui me permet d’apprivoiser le vieillissement, et l’impression étrange d’avoir vécu une autre époque. Parce que tout a tellement changé depuis ce temps: politiquement, technologiquement, socialement, etc.

En lisant cet article de The Atlantic, me revient aussi vivement à l’esprit ce sentiment d’invraisemblance — le constat que la vie ne tient qu’à un fil et la nécessité d’accepter la fatalité. La pensée que chaque petite décision et chaque petit geste peut changer en profondeur le cours des choses — malgré nous — et qu’il faut l’accepter, sereinement.

« There are so many points of luck that make you realize how random life is. »

Vingt-et-un an tard — la leçon est toujours aussi claire à mon esprit: il est important de savourer chaque instant qui passe.

Créativité

Hier c’était journée créativité: promenade sur la grève pour récupérer des matériaux, installation sur la table à pique-nique, face au fleuve, puis laisser libre cours à l’imagination.

J’ai fait deux créations au cours de l’après-midi, dont celle-ci: une sorte de mobile composé de bois de grève, de cailloux et de fil d’aluminium.

Les petits cailloux sont placés dans de petits « paniers » de fil d’aluminium. Le plus gros caillou, qui sert de contrepoids — est, lui, très bien attaché.

Il y a des choses interchangeables, d’autres pas.

Il y a un autre caillou, discrètement déposé sur la base du mobile. Si on le soulève… tout bascule parce que la base est instable.

Les choses importantes, indispensables, existentielles.

Et le plus amusant, c’est que je constate ce matin qu’en déposant mes bras sur la table, les petits cailloux se sont aussitôt mis à se balancer discrètement au rythme de mon pouls — avant même de commencer à écrire.

Un bel objet pour méditer en prévision de la rentrée.

Fête nationale

Au paradis, paraît-il, mes amis
C'est pas la place pour les souliers vernis
Dépêchez-vous de salir vos souliers
Si vous voulez être pardonnés...

— Félix Leclerc, Moi mes souliers

Matin de Fête nationale — petite pause dans le rythme effréné des dernières semaines. Temps d’arrêt pour m’interroger: qu’est-ce qu’on a à célèbrer aujourd’hui?

En buvant mon café, j’ai lu des témoignages dans La Presse. J’ai aussi lu la réflexion de Jean-François Lisée dans Le Devoir. J’ai trouvé ça inspirant: mais moi, personnellement, qu’est-ce que j’ai envie de célèbrer aujourd’hui?

Cette année, nos trois enfants sont devenus autonomes. Au sortir de la pandémie, ils ont déployés leurs ailes. Grâce aux choix et au travail des générations précédentes, ils ont la chance d’entreprendre leur vie d’adultes dans une société vigoureuse et bienveillante. J’en suis fier et reconnaissant — c’est le fruit de l’engagement de plusieurs générations de québécoises et de québécois.

Au cours des derniers mois, j’ai eu la chance de voir de très près le fonctionnement de la démocratie québécoise — particulièrement au niveau municipal. C’est une chose extraordinaire, qu’on ne devrait jamais tenir pour acquise. On ne devrait jamais perdre de vue que la démocratie est un système politique qui repose sur un travail colossal de collaboration entre des élus, leurs équipes, des fonctionnaires, des médias, des organisations de toutes sortes… et des citoyens engagés. Ce n’est pas parfait, ça ne le sera jamais, mais quand ça marche, c’est infiniment précieux. Je vois le niveau d’engagement que ça exige des élus (et plus encore des élues!) et je suis fier, ému même, de constater qu’on a une société où ça peut fonctionner. C’est une très grande force collective.

Je constate aussi que la société québécoise est de plus en plus consciente du besoin de s’ouvrir à de nouvelles idées, de nouvelles valeurs, d’être encore plus accueillante. Autrement dit, de la nécessité de sortir de sa zone de confort pour faire face aux défis qu’on a devant nous. Ça donne lieu à des tiraillages, à des débats, à des couacs… mais on a une société qui accepte de se transformer, qui ne se réfugie pas dans son passé. Nous avons, au contraire, plus que jamais l’envie de s’en faire une force, un tremplin. Je pense que nous avons a un rapport plus sain, plus courageux, avec notre passé — et avec notre avenir — que quand j’avais l’âge que nos enfants ont aujourd’hui. Je crois que, globalement, la société québécoise évolue positivement. Ça aussi, ça me rend fier.

Bien sûr, j’aimerais mieux que ceci se passe comme cela. Évidemment que je trouve qu’on devait aller plus vite dans tel domaine. Oui, il y a bien des choses déplorables. Évidemment que tout n’est pas parfait — loin de là! Mais c’est ça une société en mouvement: ça brasse, ça se coltaille, ça erre, ça s’ajuste. C’est même de ça que naît sa force!

Aujourd’hui, j’ai la profonde conviction que la nation québécoise a la capacité de faire face à l’avenir. Et ça, je pense que ça mérite d’être célébré — au moins une fois par année!

Bonne Fête nationale tout le monde!