J’ai toujours aimé les coïncidences. Je les interprète comme un signe d’éveil.
Percevoir une coïncidence, c’est établir subitement un lien entre deux choses qui coexistent évidemment indépendamment de l’attention qu’on y porte, mais qui se révèlent, grâce à la vigilance intellectuelle de quelqu’un. C’est le regard qui transforme la coexistence en coïncidence. Une coïncidence c’est la pointe de l’iceberg de tous ce qui nous lie en permanence les uns aux autres — jusqu’à l’invraisemblable, parfois.
Un peu plus tôt cette semaine, juste avant de monter dans l’avion à destination de Paris, j’ai téléchargé sur mon iPhone le plus récent album de Coeur de Pirate: Trauma. Je l’écoute plusieurs fois pendant le vol. J’aime beaucoup. Arrivé à Charles-de-Gaulle, les bagages se font attendre au carrousel. Je remets mes écouteurs. Play. La voix de Coeur de Pirate m’accompagne pendant l’attente. J’aperçois finalement ma valise, au loin sur la courroie, précédée d’une valise de guitare. Au moment où celle-ci passe devant moi je peux lire une inscription, bien en vue: Fragile — Coeur de Pirate — Tournée européenne. En me retournant, je vous effectivement que ses musiciens sont là, juste un peu plus loin. Et la voix de Coeur de Pirate dans mes oreilles. Eh ben…
Dans le RER qui m’amène à Paris, je jette un oeil rapide sur Facebook. Marie-Andrée Lamontage mentionne le plus récent livre de Carl Leblanc, Fruits, publié par les Éditions XYZ. Un recueil de textes qui s’articule autour d’une série de coïncidences tirées de la vie de l’auteur. « Dans certains cas les faits sont particulièrement troublantes et forcent la réflexion », précise-t-elle comme une invitation à la lecture. Décidément… coïncidence parmi les coïncidences…
Arrivé à l’hôtel, je me suis donc évidemment dirigé sur leslibraires.ca et j’ai acheté Fruits — avant de prendre une douche et repartir aussitôt pour une première réunion.
Je n’ai commencé la lecture que le lendemain matin. Dans l’ascenseur, en quittant l’hôtel, à partir de mon iPhone.
Le premier texte raconte l’histoire d’un homme qui, entrant dans un ascenseur, met des écouteurs et démarre la musique en mode aléatoire, à partir d’une bibliothèque musicale de plus de 12000 pièces.
« Une fois dans la rue, je presse sur play. L’onguent musical se dépose sur la plaie du jour. Oui, ça va déjà mieux. (…) Les premières mesures de guitare promettent une mélodie agréable. Les premières paroles: «S’il fallait qu’un de ces quatre, mon âme se disperse…» Le Québécois Daniel Bélanger. Ça fera l’affaire. Je veux bien qu’on me parle de l’âme, cette belle chose surannée. Je veux bien, pendant trois minutes, croire qu’elle existe, et que peut-être même un mécréant comme moi, qui sait, en ai une. La chanson prend son envol. Je traverse l’avenue du Mont-Royal. Je me bats avec le cordon des écouteurs. Sur le trottoir, je heurte un homme. Il se retourne vers moi: Daniel Bélanger! Est-ce bien lui? Oui. Je m’excuse. Mon rire peut être confondu avec l’ébahissement du groupie. Je reste là, un peu sonné. Il poursuit sa route. Je cherche un témoin. Dans la surprise, je ne songe même pas à interpeller le chanteur, qui pourrait apprécier la coïncidence autant que moi et qui pourrait plus tard l’attester. Statufié sur le trottoir, tel un accidenté de la probabilité »
Deux histoires qui s’entremêlent. Deux histoires de iPhone, d’ascenseur, de musique, et de rencontres improbables avec leurs créateurs — tout cela à travers un voyage et une suggestion de lecture glanée au hasard d’un rapide passage sur Facebook. Décidément… coïncidences dans les coïncidences.
« Je reprends ma route et me dis, avec la ferveur minutieuse du secrétaire : il faudrait bien, un jour, rédiger les procès-verbaux de ces «réunions insensées». »
Et c’est autour de cette idée qu’a pris forme le livre de Carl Leblanc. Ce court texte est guidé par la même idée. Je le dépose ici en me disant qu’il sera peut-être un jour, à son tour, l’objet d’une autre coïncidence.
« Parmi les coïncidences, il y a une échelle de l’improbabilité au sommet de laquelle, même les esprits les plus transcendantalifuges sont ébranlés. Il faut alors garder la tête froide devant la convergence des improbables et le complot des variables. Car il arrive que les choses semblent vraiment se mettre en place, venir vers vous poussées par une immense main et vous vous écriez: «Mais enfin, ce n’est pas possible!» Et pourtant oui, c’est là, c’est arrivé. »
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P.S. je n’ai pas encore terminé la lecture de l’ensemble des textes, mais je souligne au passage le texte Quatre temps, dont les réflexions (qu’une coïncidence sert de prétexte à partager) m’ont semblé particulièrement pertinentes dans le contexte de tous les débats qui ont cours actuellement autour des idées de valeurs, de multiculturalisme, et de nation.
«Percevoir une coïncidence, c’est établir subitement un lien entre deux choses qui coexistent évidemment indépendamment de l’attention qu’on y porte, mais qui se révèlent, grâce à la vigilance intellectuelle de quelqu’un. C’est le regard qui transforme la coexistence en coïncidence.»
C’est le principe derrière ma modeste http://confluencedestweets.tumblr.com/.
Ô joie des coïncidences.
Beau billet, Clément! Fruits a été ma dernière lecture de 2013. Ça a très bien fini l’année! Carl Leblanc a une démarche artistique et intellectuelle très intéressante. Il faut voir son documentaire sur James Richard Cross (L’otage) puis lire l’essai qu’il a ensuite publié sur le même sujet (Le personnage secondaire). http://martinepage.com/blog/2007/01/03/de-decembre-a-octobre/
Eh ben… tu ajoutes une coïncidence à toutes les autres Martine… parce que la réflexion que tu évoques dans ton texte de 2007 trouve de nombreux échos dans le petit livre que j’ai terminé hier soir (lu en parallèle avec Fruits): L’apiculture selon Samuel Beckett, de Martin Page (lu en version Points, acheté à Paris, peut-être pas disponible encore au Québec, mais disponible aux Éditions de l’Olivier).
Dans ce court texte, l’auteur nous convie à une réflexion sur le dialogue entre l’histoire (petit h) et l’Histoire (grand H), à travers le récit (essentiellement fictif) de la vie d’une personne (petit p), que tout destine à devenir un Personnage (grand P).
« Dans ce roman, l’imagination est une arme qui mène à la lucidité. Martin Page s’interroge sur la figure de l’écrivain, son image, son héritage ». (quatrième de couverture)
« J’ai kidnappé Samuel Beckett pour me l’approprier, en faire un être familier à mes yeux. La piraterie est un acte de liberté et d’amour. Les morts, on les sort de terre, on entre en conversation avec eux. » (postface)
Je pense que tu aimerais beaucoup.
Ces coïncidences sont pour moi l’indicateur que nous sommes « sur sa voie ». Ce dernier texte me confirme que tu es béni de ce côté… Comme d’habitude ! ;-)