De quoi ce moment est-il l’occasion?

À la recherche d’un fil conducteur pour mon année 2024 (au lieu d’une simple résolution — merci Ana pour la suggestion!), j’ai lu aujourd’hui Avoir le temps, essai de chronosophie, de Pascal Chabot (présentation vidéo ici).

L’auteur fait dans ce livre un survol de quatre grands rapports au temps: le Destin, le Progrès, l’Hypertemps et le Délai — avant d’en proposer une cinquième, qu’il propose comme une forme de synthèse: l’Occasion.

Le Destin nous place dans un rapport de fatalité essentiellement déterminé par le passé.
Le Progrès nous place dans un rapport ouvert avec le futur en faisant une plus grande place à liberté.
L’Hypertemps se manifeste comme une présentification de l’histoire marquée par l’omniprésence du temps à travers les écrans, les horaires et le phénomène du crédit (en mobilisant aujourd’hui les ressources du futur).
Et le Délai, dont l’essence est d’analyser sous l’angle « du temps qui reste », à la manière d’un un compte à rebours qui nous approche d’une fatalité.

Ce quatrième rapport au temps, de plus en plus présent dans l’inconscient collectif, notamment dans le contexte des changements climatiques, pose particulièrement problème à Pascal Chabot:

« La récente prise de conscience du Délai fait naître des sentiments inédits. (…) J’aimerais par exemple nommer afuturalgie la douleur de se sentir privé de futur. Le Délai (…) a un retentissement émotionnel et affectif profond, qui peut s’accompagner d’angoisse ou de découragement. (…)

« Quel retournement curieux, que de voir des adolescents qui n’ont même pas eu le temps d’éprouver quelque nostalgie, faire déjà profession de foi afuturalgique! Avoir le sentiment de n’avoir pas de futur quand on n’a pourtant que cela, voilà la grande perversité de l’époque, qui doit nous rendre très prudents et même sceptiques dans la manière d’user de cette catégorie.

« Le plus élémentaire des devoirs envers la jeunesse est de ne pas lui livrer un manque d’avenir, ni concrètement – ce qui signifie qu’il faut agir –, ni intellectuellement, ce qui nous oblige à déboucher l’horizon, à investiguer pour savoir si d’autres schèmes temporels peuvent naître, car le Délai ne peut être le dernier mot.

« La responsabilité morale des intellectuels est ici engagée. Il y a comme un crime contre la jeunesse que de lui répéter qu’elle est la génération des tard-venus, des héritiers du monde de l’abondance qui n’en profiteront pas, ou encore des avant-derniers. »

***

Pascal Chabot rappelle d’ailleurs tout au long du livre, de diverses façons que « des rapports divers à la liberté, à l’égalité et à la qualité sont en jeu derrière [ces différents rapports au temps], et [qu’il] est important de savoir choisir et favoriser. »

Dans le dernier chapitre, il porte notre attention sur le fait que le Destin, l’Hypertemps et le Délai sont en fait trois images de la fatalité, à la différence du Progrès, qui n’y participe pas. Et tout en reconnaissant que le Progrès n’est pas non plus une panacée, « ayant été la matrice d’une lecture triomphale de l’Histoire dont on a souligné la violence », il plaide « qu’il est essentiel de souligner que les qualités humanistes qu’il porte sont précieuses et doivent être cultivées. »

La question, « cruciale pour qui n’accepte pas la fatalité », devient alors de trouver « Comment réactiver le Progrès en le réorientant ? Comment sauver le Progrès de ses errements sans le sacrifier sur l’autel des culpabilités passées ? ». Ou, dit autrement « comment faire progresser notre conception du progrès ? »

Et c’est là qu’intervient à son avis le rôle de la philosophie — de la chronosophie — dont le mode de pensée doit être l’Occasion:

« L’Occasion est le moment opportun, que les Grecs appelaient kaïros. Ils avaient compris que si l’Occasion est un schème temporel, car rien ne concerne autant la chronosophie que de savoir comment agir et à quel moment, elle n’est en rien comparable au passé, au présent ou au futur. L’Occasion est comme une sortie du temps. C’est pour cela qu’elle est le temps philosophique par excellence : elle suppose le surplomb que la philosophie peut lui donner. (…)

« L’Occasion, c’est le temps philosophique de la résolution. La prise de conscience d’une fenêtre d’opportunité, qui signifie qu’il faut agir. »

***

La lecture de Avoir le temps m’a donné envie de prendre un engagement envers moi-même.

Celui de me demander, aussi souvent que possible, de quoi le moment présent pourrait être l’occasion? — comme une façon d’éviter que le rythme du quotidien détermine à lui seul mon emploi du temps.

Conclusion de tout ça: le fil conducteur de mon année 2024 sera le désir de cultiver une conscience de l’Occasion.

___

Photo: un ex-libris fabriqué pour moi par Capucine Baz-Laberge

Laisser un commentaire