La Laurentie en fleur

Je suis un grand admirateur de l’œuvre du Frère Marie-Victorin: de son travail scientifique, de son leadership politique, et de son écriture.

La Laurentie en fleur m’a été offert par des amies de Capucine, qui ne savaient probablement pas ça. La surprise n’en était que plus agréable.

C’est un livre dans lequel j’aurais probablement eu plus de mal à plonger étant plus jeune. Yves Gingras et Gilles Beaudet y ont rassemblé une vingtaine de textes dans lesquels il décrit longuement la flore du Québec.

Ce sont des textes à la fois lyriques et savants qui, pour être appréciés, exigent un état d’esprit qui se prête à la lenteur et à la contemplation. Mais quand ont s’y laisser envoûter, quelle merveille!

Le Frère Marie-Victorin est un incroyable conteur. Il peut décrire la floraison de la sanguinaire comme d’autres le font pour une partie de hockey (lire avec le ton d’un commentateur sportif):

« Et voilà maintenant les obscurs et infaillibles mécanismes de la vie déclenchés par le choc puissant des rayons du soleil! Le bourgeon frémit, se gonfle, s’ouvre, écartant lentement ses grandes bractées incolores. Place! Sur le fond d’émeraude de la feuille, le bouton s’érige, marmoréen et lumineux, sur son pédoncule, et l’on croirait vraiment que, mis à l’échelle du monde des fleurs, le flambeau sacré de la vie luit derrière ses parois opalines.

C’est fait ! Les deux sépales verdâtres, dernier rempart protecteur, sont tombés. Les huit pétales d’un blanc de lait, telle une fraise immaculée au cou d’une beauté du vieux siècle, s’éploient, découvrant l’or des nombreuses étamines groupées autour de ce qui sera le fruit, et qui n’est encore qu’une mignonne colonnette surmontée d’un minuscule chapiteau. »

Parlant toujours de la sanguinaire, le Frère Marie-Victorin évoque la source de la pigmentation des fleurs qui permet de s’en faire des teintures.

J’ai trouvé ça particulièrement intéressant, alors qu’une série de beaux hasards m’ont fait découvrir les teintures végétales que Dahlia Milon produit dans la région du Kamouraska.

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Au fil des pages, l’auteur a aussi l’occasion de déplorer la dimension coloniale de la poésie canadienne-française du début du vingtième siècle, dans laquelle on retrouve une abondance de référence à la flore européenne alors que la nature d’ici est souvent ignorée.

« Oui ! Nos Fougères laurentiennes sont belles autant qu’ignorées et dédaignées! Nos artistes ne les ont jamais vues, et s’ils s’avisent d’en camper une touffe au premier plan d’un tableau, on reconnaît d’emblée le cliché du manuel en vogue, venu tout droit de Paris ou de Munich. Nos poètes? Hélas! Ils en parlent beaucoup, certes! Le mot forme une rime si riche avec père, mère, frère, solitaire, et avec de jolis mots impropres pour nous : primevère, bruyère, etc.! Mais, pas plus du reste que pour les autres éléments de notre flore merveilleuse, ils n’ont daigné un instant se pencher sur elles pour surprendre leurs secrètes harmonies, leur formule de beauté. Pauvres arpenteurs d’asphalte qui s’évertuent à chanter ce qu’ils ne connaissent pas et n’ont jamais aimé! »

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J’y ai aussi appris avec étonnement qu’à la fin du dix-neuvième siècle, il y avait en Amérique du Nord un débat concernant la supériorité des lisses de bois (d’érable) sur le fer pour construire les chemins de la colonisation. Extraordinaire: j’ai pu retrouver la référence indiquée par Yves Gingras et Gilles Beaudet: ici sur Google Books. Extrait:

« Pour se faire une juste idée de la valeur des chemins à rails de bois (…) il est bon de ne pas perdre de vue le mode de construction particulier de ces chemins.

D’abord, les travaux de terrassement, de déblai, de remblai, etc., s’exécutent comme pour une ligne de chemin de fer ordinaire, avec cette différence capitale, toutefois, qu’avec les rails de bois, les rampes peuvent être beaucoup plus raides, les pentes plus déclives, et les courbes à rayon beaucoup plus petit.

Les roues de métal mordent mal sur le fer ou sur l’acier; et pour peu que les rampes ou que les pentes soient fortes, les roues glissent et patinent. (…)

De là, avantage immense au point de vue de l’économie, et dont on ne tient pas assez compte. On s’imagine assez généralement que toute l’économie à réaliser dans la construction de ces chemins consiste dans la différence du prix de revient des rails de bois et des rails de fer; c’est une erreur.

En effet, les rampes et les pointes pouvant être beaucoup plus fortes, les travaux de déblai et remblai sont par là-même, beaucoup moindres. De plus, les courbes pouvant être à rayon beaucoup plus petit, cela permet de détourner avec la plus grande aisance les obstacles de tout genre: collines, monticules, etc., qu’il faut ordinairement percer quand il s’agit d’un chemin de fer. »

La conclusion du débat est évidemment connue: le Canada a été bâti autour des chemins… de fer.

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Je termine la lecture de La Laurentie en fleur ce matin, au chalet, en pleine tempête de neige — et en savourant une belle coïncidence: lire parmi les remerciements formulés par Yves Gingras et Gilles Beaudet, un merci à Jacques Cayouette, botaniste et chercheur… de qui nous avons justement acheté ce chalet!

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