Immigration et statistiques

C’est un coup de gueule de Taïeb Moalla, sur Facebook, qui m’a amené à lire ce texte de Geneviève Lajoie, dans le Journal de Québec du 14 mars:

Immigrants de 1re et de 2e génération: plus d’un élève sur trois au Québec issu de l’immigration

Extraits:

« Près de 420 000 enfants et adolescents qui fréquentent les écoles primaires et secondaires, sur un total de 1,2 million, sont issus de l’immigration, selon un portrait inédit du ministère de l’Éducation. »

« Pour Québec, un enfant est considéré comme immigrant s’il est né à l’étranger ou si un des deux parents n’est pas né au pays. »

Boum! — Ça veut dire que de ce point de vue, mes enfants sont considérés comme immigrants — parce que leur mère est née en Uruguay et moi au Québec. Alors qu’ils sont tous les trois nés à Québec.

Issus de l’immigration, je veux bien, mais immigrants, ça n’a aucun sens. 

Et même cette nuance apportée, je dis: danger. Qu’est-ce qu’on essaie de dire en utilisant ce genre de statistiques?

Je donne la parole au ministre:

« Soyons clairs, on ne blâme pas du tout les enfants immigrants et leurs parents, mais il faut que les Québécois voient l’impact que les politiques du gouvernement fédéral ont sur nos écoles. On a de plus en plus d’enseignants et de personnel à l’école, mais ça va être difficile d’en venir à bout si le nombre d’élèves immigrants continue d’augmenter comme ça.»

J’accepte l’idée qu’il y a un défi important dans l’intégration rapide d’un grand nombre d’immigrants (au sens réel du terme) dans une société. Je peux aussi accepter l’idée que le Québec est vraisemblablement confronté à ce défi actuellement. Mais il ne faut pas exagérer non plus: il y a bien des enfants nouvellement arrivés au Québec qui posent moins de défis que des enfants nés ici. 

Quoi qu’il en soit, mettre les enfants « issus de l’immigration » (dits « de deuxième génération ») — dans cette analyse, me semble extrêmement dangereux. 

Ça suggère que, quoi qu’ils fassent, ils ne sont pas considérés comme Québécois. Et que leurs enfants pourraient ne pas l’être non plus. Même si ce n’est peut-être pas l’intention, ça envoie un message d’exclusion.

Ça revient en quelques sorte à dire à des personnes immigrantes (au véritable sens du terme), qui se sont installées au Québec (parfois très jeunes) que leurs enfants font porter un poids additionnel aux écoles et aux services publics des « autres Québécois »? Et là, je décroche. Je pense que j’ai même la responsabilité de le dénoncer. 

Ce n’est pas le gouvernement actuel qui a inventé l’idée d’immigrant de deuxième génération. Le ministère de l’Éducation publie des rapports basés sur cette idée depuis de nombreuses années. Mais je pense qu’il est grand temps de s’en défaire.

C’est une idée qui avait peut-être un sens dans un Québec « pur laine » (si une telle chose a déjà existé), dans les années 70, mais ça nous nuit terriblement aujourd’hui. Ça sert à masquer une réalité sociale que certains aimeraient mieux ne pas voir, alors qu’on doit apprendre à l’identifier comme une force. À s’en faire une force.

Un enfant issu de l’immigration, dits, de deuxième génération, ce n’est certainement pas un fardeau dans une classe. Au contraire, c’est un atout. C’est un interprète. C’est une fenêtre sur le monde. C’est quelqu’un qui peut aider à l’intégration des nouveaux arrivants. C’est un catalyseur de l’intégration à la société québécoise.

Si le Québec avait vraiment confiance en lui, s’il était déterminé à protéger son poids démographique dans la fédération canadienne… il ferait tout en son possible pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants à la culture québécoise. Et les enfants et les adultes « issus de l’immigration » feraient partie de ses meilleurs alliés pour arriver à cette fin. De mon point de vue, il ne font pas partie des problèmes, ils font partie de la solution. 

Sans compter que « l’immigrant de deuxième génération » est, dans notre contexte, un concept dont l’utilité va inévitablement tomber en désuétude… parce qu’il ne voudra plus rien dire… parce que, forcément, il génère sa propre croissance…

Parce qu’une adulte née à l’étranger (appelons-la Ana), qui est arrivée au Québec à un an, qui fonde une famille avec un homme, né à Rimouski (appelons-le Clément) et qui ont trois enfants… génèrent pour le ministère de l’Éducation trois « immigrants ». Alors que tout ce beau monde, parents et enfants, ont été scolarisés au Québec et qu’ils sont indiscutablement québécois — de coeur, d’abord et avant tout (parce que c’est le plus important), et bien sûr au sens de la Loi. 

Avec l’immigration que nous avons connue dans les dernières années au Québec (dont une partie répond à des besoins fondamentaux du Québec, rappelons-le, dont le développement ne peut pas se poursuivre sans immigration,  indépendamment des critiques qu’on peut faire au gouvernement fédéral)… le nombre « d’immigrants de deuxième génération » ne pourra que continuer à augmenter, et rapidement.

Il n’y aura pas de surprise. C’est écrit ans le ciel: la statistique va continuer d’augmenter. On le sait. La question est donc de savoir ce qu’on va faire dire à ces statistiques? Et là, je dis: danger!

Je crois qu’on devrait tout simplement abandonner ce concept qui est, au mieux, devenu un handicap pour bien identifier les efforts qu’on doit faire pour bien accueillir les véritables immigrants. Et qui, au pire, offre de faux arguments à ceux qui souhaitent que le Québec se replie sur lui-même.

Je suis très fier que mes enfants soient issus de l’immigration — je pense que leur vision du monde s’en trouve élargie. Et je suis convaincu que c’est une richesse dont ils feront profiter la société québécoise. 

Je leur dédie ce texte.

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