Voyage dans le temps

J’ai une fascination pour les cartes postales. Je ne peux pas résister à fouiller dans une pile de vieilles cartes postales chez un antiquaire.

Je cherche les cartes déjà utilisées, parce qu’elles peuvent être, chaque fois, le point de départ d’une enquête; me faire découvrir des choses et imaginer des histoires — plus ou moins vraies (plutôt vraies, mais avec les bouts manquants parfois inventés… est-ce que ça les rend moins vraies? Ça se discute…). C’est un jeu.

Et hier, je me suis trouvé un extraordinaire partenaire de jeu! Et j’ai nommé: ChatGPT.

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En passant à Saint-Jean-Port-Joli en direction du chalet, on s’est arrêtés au Moule à sucre, qui venait de réouvrir pour la saison. Au deuxième étage, il y a un petit bureau d’écolier antique et, dans les tiroirs, de vieilles cartes postales. C’est là que j’avais trouvé, il y a deux ans, les correspondances adressées au Père Bellier.

J’ai trouvé cette fois une carte particulièrement intrigante: 

Signataire: François Paradis

Destinataire: Hector Paradis

Adresse: Saint-Guillaume d’Upton, P. Que

Texte: Holiday Good and Best wishes to you for the new year 1912 From your brother [ ] never forget you

Aussi: un texte que je ne reconnaissais pas de prime abord, mais que j’ai finalement pu déchiffrer comme étant Woonsocket, R. I. (Rhode Island).

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J’ai demandé à ChatGPT de me trouver de l’information sur un Hector Paradis qui aurait vécu à Saint-Guillaume d’Upton autour de 1912, de me retrouver des indices de sa fratrie et de sa descendance.

J’ai obtenu une foule de renseignements.

J’étais absolument épaté: dates de naissances et de décès, mariages, noms des uns et des autres, etc. J’ai même demandé des recherches approfondies sur un François Paradis installé à Woonsocket à la même époque. Là encore, j’ai obtenu beaucoup de précisions.

Tout ça dans le cadre d’un dialogue très naturel, où on s’est tutoyé, comme si je parlais vraiment à un ami.

Toute les réponses étaient complétées par des sources officielles, que j’ai pu consulter par moi-même, pour vérifier chacune des informations. Tout semblait vrai.  

Sauf que j’avais parfois l’impression que quelque chose clochait… J’avais une sorte d’intuition que certaines choses restaient invraisemblables. Mais quoi?

J’ai dû prendre les grands moyens. J’ai une grande feuille et je me suis fait des schémas, j’ai esquissé un arbre généalogique et établi une ligne du temps — ce qui m’a permis de constater qu’il y avait effectivement quelques liens qui ne fonctionnaient pas. Deux François Paradis étaient pris pour le même et leurs relations se confondaient dans le récit.

Mais il fallait vraiment être attentif, voire méfiant, pour sentir le besoin d’enquêter. 

J’ai évidemment confronté ChatGPT à ses incohérences. Il n’a pas nié. Il m’a même candidement admis faire de son mieux, mais qu’il n’était pas infaillible: 

« Ma puissance a ses limites : sans preuves documentées, les liens que j’établis restent spéculatifs. L’assemblage peut séduire l’imaginaire, mais déformer la réalité. Il faut donc accueillir mes récits comme des scénarios probables, et non pas comme des vérités établies. L’intuition n’est pas l’archive. »

C’est bien dit, non?

Faute avouée à moitié pardonnée?

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Il n’en reste pas moins que le dialogue que j’ai eu pendant quelques heures avec ChatGPT hier après-midi était absolument extraordinaire. Et loin d’être inintéressant.

Il m’a permis d’en apprendre beaucoup sur l’émigration des Canadiens français en Nouvelle-Angleterre, au début du siècle. Je me suis attaché à des personnages fascinant, dont les parcours, plausibles, ont même pu m’inspirer. 

Voici l’histoire de François Paradis reconstituée, de son mieux, par ChatGPT (au terme de beaucoup plus longs échanges):

François Paradis, né en 1882 à Saint-Liboire. Il est le frère d’Hector, et de neuf autres enfants, dans une famille de cultivateurs. Autour de 1910, François a émigré aux États-Unis, comme tant d’autres Canadiens français. Il s’établit alors à Woonsocket, Rhode Island, où des cousins l’avaient précédé. Il a probablement été employé dans les filatures. C’est à ce moment qu’il aurait envoyé la carte à son frère, qui venait de s’établir à Saint-Guillaume d’Upton.

François aurait fondé une famille, probablement de trois enfants, dont une prénommée Sylina (Célina?). Dans les années 1930, il revint au Québec, s’installant dans la région de Drummondville, où il termina paisiblement sa vie.

Sylina serait décédée à Woonsocket, mais sa descendance serait allée s’établir dans la région d’Ottawa.

Son arrière-petite-fille, Michelle, enseignerait le yoga à Squamish, en Colombie-Britannique.

Je trouve vraiment fascinant que ChatGPT ait pu me raconter tout ça avec conviction, presque sans hésitation, jusqu’à ce que je le confronte à certaines incohérences et qu’il m’avoue candidement ses limites.

Et même si je sais que Michelle n’est finalement pas la descendante du François Paradis qui a envoyé cette carte postale en 1912, comme j’ai son adresse, j’ai quand même envie de lui envoyer la carte postale.

Comme un bout d’histoire qui aurait remonté le temps jusqu’à elle grâce à l’improbable collaboration d’une intelligence artificielle un peu prétentieuse et d’un patenteux d’histoire qui, heureusement, ne se prend pas trop au sérieux. 

Qu’est-ce que vous en pensez?

2 réflexions sur “Voyage dans le temps

  1. cher Clément merci du partage . Intéressant cette quête 💙, Julie

  2. On n’est qu’au début de l’aventure IA. Moi, ça me laisse très songeur. Je suis loin d’être certain qu’il s’agit d’un progrès pour l’humanité. Je crains fort que dans 20 ans, on en soit rendu à HA au lieu de IA.

    Humanité Artificielle.

    Où va se situer l’authenticité? Dans la littérature, la poésie, la peinture, la créativité en général, que ce soit l’ingénierie ou la politique. Alouette…

    On en jasera autour d’un verre…

    Même dans ton blogue, maintenant, il y a une trace d’IA… qui fait chier.

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