Objet trouvé — 10

Premier jour de vacances: un chapeau neuf sur la tête, les pieds dans l’eau, l’esprit libre. Et cette cannette de Black Label déposée à mes pieds par le fleuve.

Antiquité ou simple vestige d’une récente soirée d’amis sur les rochers?

Combien de temps il faut à une cannette pour perdre sa couleur? Et pour être usée de cette façon par le sable? 

À la recherche d’indices, j’ai utilisé tous les codes que j’ai pu trouver sur la cannette. Sans grand succès. 

J’ai demandé à Google de me présenter des images de l’évolution du marketing des cannettes de Black Label au fil des ans. Conclusion évidente: ce n’est vraisemblablement pas une antiquité. Dommage.

Mais je suis retombé du même coup sur plusieurs vieilles publicités de Black Label — à une époque où j’étais (plus) jeune. Des publicités très fortes, en noir et blanc, avec une touche de rouge sang.

J’ai aussi pu lire un article de La Presse, qui évoque l’audace de la stratégie publicitaire de la Black Label à la fin des années 80:

« La Black a incarné son époque, la fin des années 80, avec une image provocante, androgyne, psychotronique. (…) Pour Luc Dupont, professeur de publicité à l’Université d’Ottawa, le succès de la Black Label réside dans l’une des campagnes publicitaires les plus audacieuses au Québec. (…) C’était très risqué, l’aventure Black Label (…) C’était la première fois qu’une entreprise se payait au complet les bandes de la patinoire lors d’un affrontement Canadien-Nordiques. Dans certains matchs, O’Keefe, qui commercialisait la bière, s’était même payé le luxe de présenter les mises en jeu… en noir et blanc. Clin d’œil au slogan «En noir et black». »

J’ai trouvé cette information fascinante!

J’ai aussitôt voulu (re?)voir ces publicités et cette mise au jeu. J’ai donc fait de nouvelles recherches.

Rien sur Google, je me suis donc tourné vers ChatGPT, qui m’a rapidement confirmé cette anecdote, sans toutefois satisfaire mon désir d’en voir des images.

J’ai demandé des précisions sur la date de la partie au cours de laquelle Black Label avait fait ça. Réponse: le 20 avril 1984, soit le soir de la célèbre Bataille du Vendredi saint. 

J’ai trouvé ça tout simplement incroyable. Quelle belle histoire!

De retour sur Youtube, j’ai pu trouver ds tonnes de vidéos de cette partie. Sauf que…

Sauf qu’il n’y a aucune publicité sur les bandes de la patinoire du Forum pendant cette partie. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.

À la recherche d’une explication, je suis retourné vers ChatGPT, à qui j’ai demandé de faire une recherche approfondie.

Après de longues minutes, sa réponse:

« Il s’agit d’une anecdote répandue, mais non vérifiée par des documents publics. Je n’ai pu trouver aucune preuve fiable (articles de presse, archives vidéo, sources officielles) indiquant que Carling Black Label ait réellement payé pour diffuser la mise au jeu d’un match de hockey en noir et blanc dans un but publicitaire. »

J’ai trouvé ça décevant. J’étais même contrarié. L’histoire était tellement belle… et tellement plausible! 

Il y avait forcément une explication — d’autant que je l’avais lue dans La Presse, alors…

***

Je suis donc retourné sur Youtube à la recherche d’autres images, pour pouvoir continuer à y croire.

C’est à ce moment que je suis tombé sur cette conférence: 

Ma perplexité a subitement changé de sujet. 

Comment donc un professeur de l’Université de Nantes — spécialisé dans les relations internationales européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles, la culture de la guerre et de la paix, et l’histoire de la neutralité dans la longue durée — avait bien pu s’intéresser à la Bataille du Vendredi saint?

J’avais besoin de comprendre, et pour ça, de faire de nouvelles recherches… 

Résultat: Éric Schnakenbourg est né le 27 mars 1970 à Amiens. Son père est historien, professeur émérite d’histoire à l’Université de Picardie. Enfant, il s’est passionné pour le hockey sur glace, à un moment où le club des Gothiques d’Amiens était l’une des meilleures écoles de hockey junior en France. Il a été sélectionné à plusieurs reprises en équipe de France junior à la fin des années 1980. Il a fait carrière comme hockeyeur professionnel avant de devenir professeur d’université. 

Une histoire tellement improbable!

Et pourtant, cette fois, j’ai pu rapidement confirmer tout ça par des sources fiables. 

***

J’en suis venu à croire que le fleuve avait déposé cette vieille cannette à mes pieds en guise prélude à mes vacances, pour me rappeler que les choses les plus improbables sont parfois souvent plus vraies que bien des choses qui peuvent paraître plus plausibles.

J’ai choisi d’y voir une leçon d’optimisme, à une époque où on passe notre temps à craindre le pire comme s’il était inévitable, alors qu’on devrait être guidés par la confiance que le mieux peut encore très bien se concrétiser.

Post scriptum — Coïncidence presqu’invraisemblable, alors que je venais tout juste terminer la rédaction de ce texte, mon fil Instagram m’a suggéré un extrait d’entrevue qui le complète merveilleusement bien. Le voici:

Une réflexion sur “Objet trouvé — 10

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