D’Hector à Nazaire (en passant par Irma)

Le premier texte du recueil des chroniques d’Hector Fabre m’a particulièrement frappé parce que je trouve qu’il jette un regard amusant sur la ville de Québec… surtout 160 ans plus tard! 

J’ai partagé la chronique avec quelques amis et connaissances qui s’intéressent à l’histoire de Québec.

Parmi les réactions que j’ai reçues, j’ai pu apprendre qu’Hector Fabre avait travaillé avec le père d’Irma LeVasseur, le journaliste Nazaire LeVasseur.

Ça a piqué ma curiosité. 

Après quelques recherches, j’ai rapidement compris que Nazaire LeVasseur était tout un personnage! 

Je suis retourné dans les journaux numérisés accessibles sur le site de BAnQ, pour essayer de retrouver certains de ses textes.

Au fil des recherches, je suis tombé sur un courrier du lecteur, publié dans Le Devoir du 29 avril 2004, qui fait référence « à un petit fascicule intitulé Réminiscences d’antan: Québec il y a 70 ans, écrit par Nazaire Levasseur. »  

Mario Ferland écrit dans sa lettre que « dans cet ouvrage publié en 1926, Levasseur fait la « chronique » de la ville de Québec et de ses environs dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle. »

Pas besoin de dire que ça a encore plus piqué ma curiosité!

J’ai pu trouver le texte numérisé des Réminiscences d’antan sur le site de l’Université de Calgary

Et là, émerveillement! L’auteur nous amène avec lui déambuler dans la ville de Québec à la fin du dix-neuvième siècle. On y redécouvre chacun de ses quartiers, ses personnages forts et de savoureuses anecdotes. 

En cours de route, nous découvrons ses réflexions sur l’évolution de la ville: il rappelle l’importance de la création du Parc Victoria… et déplore l’occasion ratée de créer aussi un parc au coeur du quartier Saint-Roch.

On y revit l’apparition de l’éclairage au gaz, autour de 1860, de la véritable magie pour l’époque: « les gens ne pouvaient s’expliquer la disparition ni la provenance soudaine de la lumière. ».

Une innovation qui ne s’est évidemment pas fait sans heurts:

« Pour doter Québec de conduites de gaz et de reverbères, il fallut infliger aux citoyens un éventrement prolongé des rues et des places publiques. »

L’électricité succéda au gaz en 1887, ce qui a permis la mise en fonction du tramway électrique en 1897, « qui remplaça le char urbain à chevaux, dont Québec avait été doté en 1865, au grand dégoût de la gent automédon. »

Alors qu’on se prépare à de grands travaux à Québec, qui auront aussi pour effet « un éventrement prolongé des rues » et de nombreux inconvénients pour les « conducteurs de chars », ça m’a fait sourire. L’histoire se répète…

Nazaire LeVasseur ne limite pas sa balade au coeur de Québec, il s’aventure aussi en périphérie, pour laquelle il a fait preuve d’une étonnante clairvoyance:

« La ville s’est grandement développée du côté de saint-Sauveur, comme du reste, du côté du cap, dans la direction de sainte-Foy ; le village saint-Charles est devenu un quartier élégant sous le nom de Limoilou : le bâtiment se multiplie et gagne, d’un côté, les Laurentides, de l’autre, les paroisses de l’est, et enfin, les maisons gagnent l’ouest. (…) On ne peut s’empêcher d’être émerveillé de ce développement. 

Si l’on a la patience d’attendre, on en verra bien d’autres; on verra l’annexion de Sainte-Foy, de Lorette, de Charlesbourg et du pays, jusqu’à Beauport, au moins, à la vieille capitale, et le Saint-Laurent, verra sur ses rives, l’une des plus belles cités du monde. C’est ainsi que les grandes villes se forment et commandent, au sein de l’humanité.

Que cette annexion se fasse sans difficultés engendrées par l’envie, la jalousie, certaines ambitions et surtout l’ignorance, etc., ça va de soi, c’est entendu. On ne réalise des progrès qu’avec des difficultés, des embarras, des heurts. Il est bien difficile de concilier toutes les opinions; en fait d’opinions, il y a les presbytes et les myopes. Que de cas de myopie chez les hommes! »

Le texte, écrit en 1926, se termine par des paragraphes particulièrement optimistes:

« Québec est appelée à subir un prodigieux développement, en moins d’un siècle, et, dès aujourd’hui, les québecois peuvent se féliciter d’habiter sur le continent, l’une des plus grandes villes futures, des plus intéressantes cités de l’Amérique-du-Nord, cité qui aura sa correspondance à Lévis, en face, cité qui absorbera Beauport, partie de l’Ile-d’Orléans, Charlesbourg, la Jeune et l’Ancienne Lorette, Sainte-Foy, Sillery; tout cela avec le principal port du Saint-Laurent abordable durant dix mois de l’année.

Voilà, mes amis les Québécois, ce qui vous est réservé, et, ce à quoi, vous devez travailler d’épaule à épaule, la main dans la main.

Cette union dans le travail, dans une énergie commune vers un but commun, vous conciliera et fortune et gloire. »

À quelques jours de 2026, nous y sommes presque.

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Addenda

Pour le plaisir de faire un trait d’union avec la série de textes fantaisiste que j’ai publiés depuis le 24 novembre… je me permet d’ajouter un autre passage des Réminiscences:

« A la Chambre-de-Commerce, [de nombreux] gens d’affaires [qui] venaient causer, lire les journaux, parler politique, [sont] aujourd’hui à six pieds sous terre. (…)

Tous, les uns après les autres, après un stage, plus ou moins long, sur notre boule, ont disparu dans l’avalanche quotidienne des trépassés. (…)

Mais, ne broyons pas de noir (…) ça n’atténuerait en rien les conditions de l’homme depuis que le monde existe (…).

Si l’on s’oublie personnellement, on ne peut s’empêcher de tomber émerveillé devant les phénoménales conditions de seulement notre globe, de ses tenants et aboutissants.

La terre nous livrera encore bien des secrets [et] aura, ici et là, de merveilleux épanouissements… »

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