Je fais une revue de la presse dès mon réveil. C’est devenu une habitude. Il y a des matins satisfaisants et d’autres, comme ce matin, où je reste sur ma faim. Alors, pour surmonter ma déception, j’ai décidé d’aller jeter un œil sur l’édition du Soleil du 24 décembre 1925. Et j’ai été comblé.
Parmi les découvertes: plusieurs publicités amusantes (dont une pour le Ketchup Heinz), un exploit en voiture (pour l’époque) et un texte sur les sports d’hiver qui se termine par une invitation à fêter la période hivernale (qui m’apparaît préfigurer le Carnaval, et qui fait un bel écho au succès du Marché de Noël). J’ai mis une transcription du texte ci-dessous.
Mais j’y ai surtout découvert un texte qui fait un fascinant clin d’œil à notre époque — à un moment il y a beaucoup de monde pour déplorer l’animosité, l’intolérance, voire la violence dans l’espace public. On le déplorait aussi il y a un siècle! Le remède proposé : la littérature.
Je vous invite à lire texte, que j’ai aussi retranscrit ci-dessous. Il est signé par un auteur et journaliste français, Miguel Zamacoïs, dit Le Gaulois. À titre de correspondant? Ou peut-être a-t-il été simplement repris de la presse française? (je n’en ai toutefois pas trouvé d’autres références).
En prime, le texte me fait cadeau d’une extraordinaire coïncidence — comme je les aime!
Pour étayer son propos, Zamacoïs fait référence à un court roman de Jules Verne, que j’ai lu et commenté en 2024: Une fantaisie du docteur Ox.
Il s’agit d’une histoire, écrite en 1872, dont l’intrigue tourne, croyez-le ou non, autour de l’installation des tuyaux de gaz pour assurer l’éclairage de la petite ville de Quiquendone — événement que Nazaire Levasseur racontait pour Québec, à la même époque, dans ses Réminiscences, auxquelles je faisais référence hier!
Qui aurait crû qu’en quelques jours je passerais de Benoît Melançon à Hector Fabre, puis à Nazaire LeVasseur (en passant par Irma) et finalement à Jules Verne (en passant par Miguel Zamacoïs)? J’ai déjà hâte à demain!
D’ici-là, voici le texte complet de Miguel Zamacoïs.

RÉCONCILIATION PAR LA LITTÉRATURE
On frémit en songeant aux sujets innombrable de tristesse qu’aurait le Christ s’il revenait sur la terre…
Son premier découragement lui viendrait sans doute de la faillite de la belle et attendrissante adjuration: « Aimez-vous les uns les autres. »
Sans posséder le moindre titre à la sainteté, le premier venu peut, avec une once seulement d’esprit d’observation, et pour peu qu’il ne soit pas cloué au coin de sa cheminée par la goutte, s’offrir gratuitement cette déception et ce découragement.
Quand on circule dans la grand’ville, quand on pratique de temps en temps le taxi, quand selon le jargon distingué de l’Administration, on se fait « transporter en commun », quand on prend des trains, quand on circule dans les foules, quand on a affaire à des tiers, vendeurs, serveurs, employés de tous genres, comment n’être pas frappé par le caractère hostile, pour ne pas dire mauvais, ou pire, des rapports qu’ont entre eux les citoyens d’une même nation, et ne pas constater que cette hostilité s’exaspère selon une progression constante ?
Il est flagrant que se manifestent de plus en plus entre les citoyens une intolérance, une animosité promptement violente, qui rendent la vie publique de plus en plus désagréable. En tenant compte des exceptions qui confirment les règles, on ne rencontre partout que gens qui vous en veulent jusqu’à la fureur de les dépasser derrière le guichet, de les frôler sur un trottoir, de prétendre monter comme eux dans les trains encombrés, de ne pas vous dépouiller à fond pour leur offrir des pourboires d’Américains. Tous ces gens-là vous « cherchent », vous parlent rudement, vous bousculent, vous invectivent et vous méprisent… Charmante soirée ! Délicieux paradis terrestre ! Exquise fraternité à couteaux tirés !
À quoi attribuer cet état d’esprit ? Le devons-nous à la guerre ? Par comparaison avec les horribles brutalités du temps de cauchemar, l’hostilité d’intensité relativement moyenne qui sévit à présent fait-elle aux yeux d’un chacun figure de douceur ? Les bousculades apparaissent-elles comme des caresses, et l’insolence comme de l’aménité ? Et quand on songe aux prétentions de nos débiteurs à livres et à dollars, l’âpreté pourboiresque du temps présent apparaît-elle comme un désintéressement à tirer les larmes des yeux ?
Ou bien, comme dans Le Docteur Ox de Jules Verne, sommes-nous les intoxiqués d’une atmosphère saturée de gaz énervants par les subtilités chimiques du progrès et du confort moderne ? Y a-t-il dans l’air, du fait des usines multipliées, des effluves électriques qui exaspèrent notre système nerveux ?
Autre hypothèse : seraient-ce pas plutôt les difficultés accumulées de la vie, l’insécurité, l’inquiétude, la hausse de tout, le franc excepté, qui engendrent cette mauvaise humeur généralisée ? Et serait-ce par la raréfaction du foin dans les râteliers qui mettraient les chevaux (dans lesquels une rosse sommeille toujours) à se mordre les uns les autres, et à ruer à tout venant ?
Faut-il incriminer l’empoisonnement politique ? La navrante « lutte des classes », le bolchevisme latent, attisés soigneusement par les pêcheurs en sociologie trouble, jetant ceux qui ne possèdent pas contre ceux qui possèdent, ceux qui possèdent moins contre ceux qui possèdent plus, ceux qui voudraient prendre contre ceux qui voudraient garder — tout cela indépendamment de la rage des méchants et des violents de nature, des imbéciles, des insatisfaits et des envieux incurables ?
***
J’en étais là de mes réflexions ultrapessimistes et misanthropiques, et je songeais à acquérir une matraque protectrice et à percer ma porte d’un judas-meurtrière, lorsque la lecture d’un journal alluma tout à coup dans mon âme découragée une petite lueur d’optimisme. Elles sont rares en ce moment, dans les journaux, les lueurs d’optimisme, et l’on y trouve beaucoup plus de raisons de s’aller jeter dans la proche rivière ou de se faire naturaliser sujet d’une île déserte, que d’occasions d’inventer le sourire perpétuel ; mais, comme a dit, ou à peu près, Rostand, c’est surtout dans la nuit que les veilleuses prennent toute leur valeur. Dans l’espèce, les deux microscopiques prétextes à espérer, c’étaient deux innocentes toutes petites nouvelles puériles en littéraires : on annonçait qu’un groupe venait de fonder une association des « Amis de Rollinat »; et, quelques lignes plus loin, qu’un autre groupement s’était constitué sous l’égide de ce vocable : « Les Amis d’Oscar Wilde ».
Réjouissantes, réconfortantes nouvelles ! Que d’amis ! Que d’amitiés réunies en faisceaux ! Que d’affection et que de fraternité récupérées !
Ces associations tendres, ces bouquets de sympathies humaines, professionnelles et intellectuelles, s’ajoutant à pas mal d’autres amis de Zola, de Balzac, des Goncourt, de Dumas, de Maupassant, des jeunes, etc. cela représentait, comme le brave chien de Chantecler, une somme énorme de bonté, de sociabilité, de dévouements réciproques, surgissant fort à propos du cœur de tant de Philintes pour atténuer la désolation d’Alceste.
La création à l’infini d’« Amis de quelqu’un » est le seul espoir de cœurs sensibles sortant — et pour cause — de la grande accolade universelle. Peut-être que lorsque les trente et quelques millions de Français dressés les uns contre les autres seront répartis en groupements d’amis ayant chacun son idole et son culte, un nouvel état d’esprit amical sera-t-il ipso facto créé. Car les amis des amis étant proverbialement amis, les amis des amis de Mallarmé, de Marcel Proust, de Montesquieu et, plus tard, de Mme de Noailles, Colette, Delarue-Mardrus, de MM. Pierre Benoit, Henri Béraud, Roland Dorgelès, Jean Cocteau, de tant d’autres, deviendront obligatoirement — avec un jeu de patience — les amis des amis des amis, ce qui fait qu’à la fin chaque individu, de par les lois géométriques, se trouvera être le fameux « ami de tout le monde » dont Sosie demeure le type définitif.
Ce sera la grande réconciliation nationale — en attendant qu’elle devienne internationale avec la fondation des « Amis de Bernard Shaw », des « Amis de d’Annunzio », etc., grâce au rapprochement des sphères aristocratiques et des couches modestes par la sympathie des « Amis de Bergson », pour les « Amis de Xavier de Montépin » ou pour les « Amis de Ponson du Terrail » et réciproquement…
Mais pourvu que l’intransigeance des clans, le snobisme des chapelles et l’exclusivisme des cénacles, n’aillent pas faire rater l’affaire !
Miguel ZAMACOÏS
(Le Gaulois)

L’OUVERTURE DE LA SAISON DES SPORTS D’HIVER AUJOURD’HUI
La saison des sports d’hiver s’ouvre officiellement aujourd’hui à Québec. Au cours des trois mois prochains, l’Association des Sports d’Hiver de Québec et les associations qui lui sont affiliées organiseront une série de concours de tous genres ayant pour but de développer les sports à Québec et d’amener ici des touristes.
Le programme détaillé de chacune des associations locales sera publié ces jours-ci. Outre les joutes régulières, le hockey met à l’affiche des parties d’exhibition dont avec l’une des meilleures équipes américaines, celle de l’université de Princeton, le 2 janvier.
Parmi les principales organisations qui travaillent de concert avec l’Association des Sports d’Hiver de Québec pour assurer le succès de la saison qui commence, il faut mentionner la section locale de la Quebec Amateur Hockey Association et une dizaine de ligues senior, intermédiaire, junior et juvénile, l’Union Canadienne des Raqueteurs et les six clubs de l’Union de Québec et Lévis; l’International Dog Sied Derby; les clubs de curling Québec (1819) et le comité Victoria (1890), Jacques-Cartier (1925) et la comité du Bonspiel, le clubs de ski Québec, Loyola, Orléans et Académie Commerciale Le directeur des sports d’hiver au Château-Frontenac, M. Bert Aslin, s’occupera d’organiser différents concours de ski, à Sandy Bank: des courses en ski en ville et à la campagne et des excursions à travers le district de Québec.
Le premier de ces concours de ski aura lieu le 30 décembre à Sandy Bank, où les porte-couleurs de Yale, Colgate, Montréal, Ottawa, McGill, Loyola et Laval exécuteront des sauta pour le trophée du Château-Frontenac.
Un concours de « bob-sleigh » aura lieu le premier janvier, sur les Champs de Bataille. Le 3, on donnera un « ski-joering » en ville et le 6, les amateurs de sports d’hiver se rendront en excursion sur la Côte de Beaupré.
Les marchands et les autres citoyens de la ville sont invités à décorer leurs édifices pour donner à la ville un air de fête qu’elle devra conserver durant tout l’hiver.


Continuons la ronde. Zanacoïs a été chanté par Fernandel sur un sujet particulièrement sensible au Québec, l’accent : https://oreilletendue.com/2024/12/27/chantons-la-langue-avec-fernandel/.