Quelques réflexions post-mortem

Bien des choses se sont dites sur la fermeture de Pssst! depuis quelques jours. Du dithyrambe le plus invraisemblable à la calomnie la plus désolante. Entre les deux, heureusement, beaucoup d’opinions intéressantes et nuancées.

À défaut de rédiger un texte faisant un bilan complet de l’aventure pssst! voici en vrac, quelques réflexions provoquées par la lecture de la centaine de commentaires que j’ai pu survoler depuis mon retour de vacances-loin-du-Web.


Communauté et auditoire

Commentant la fermeture de pssst, de nombreuses personnes déplorent la disparition d’une communauté. Peut-être pour quelques-uns, mais pour d’autres, leurs propos démontrent bien que c’est d’abord et avant tout la perte d’un auditoire qui les chagrine. Or, je pense qu’il est important de ne pas confondre dans la suite de la discussion l’idée de communauté, donc de partage et d’interdépendance, avec celle d’auditoire, qui est beaucoup plus « à-sens-unique ».

Au risque de susciter la polémique, je me permets de faire l’hypothèse que ceux et celles qui souffriront le plus de la fermeture de pssst! sont ceux qui parasitaient l’auditoire de pssst! sans véritable engagement communautaire. Des gens qui écrivaient pour le plaisir d’être lu et de provoquer la réaction plutôt qu’avec l’objectif de faire avancer une réflexion collective comme c’était plus manifestement le cas dans les débuts de pssst! Attention: je ne dis pas qu’une attitude est meilleure que l’autre. Je réitère seulement que le projet visait davantage l’élaboration d’une culture de réseau (par définition collective) que l’animation de forums de discussions, aussi intéressants puissent-ils avoir été par moments.

Quant aux gens qui formaient autour de pssst! une communauté interprétative, au même sens qu’un auditoire télé, et qui vont s’ennuyer du site (je les sais nombreux!) je ne peux pour le moment que leur souhaiter d’identifier rapidement des publications alternatives ou, qui sait, d’autres lieux d’échanges qui pourront prendre la relève de pssst!

Anonymat vs pseudonyme

L’usage des pseudonymes en vigueur sur pssst! a également donné lieu à de très nombreuses discussions au cours des derniers mois. Les derniers jours ne font pas exception.

De nécessaire au départ, l’anonymat était rapidement devenu accessoire, faisant place à un usage de pseudonyme par des gens qui ne cachait par pour autant leur identité et qui, de ce fait, assumaient pleinement la teneur de leurs propos. Une recherche dans les archives de pssst! ainsi que sur Google permet d’ailleurs d’identifier rapidement la majorité de ceux et celles qui disposaient du privilège d’écrire en page d’accueil (les contributeurs). Dans ce contexte, le pseudonyme agissait de plus en plus comme un écran, une distance critique permettant de lire les propos de chacun pour ce qu’ils sont en se laissant influencer « un peu moins que d’habitude » par l’identité de celui ou celle qui les formule. Ça me semble être un bon usage du pseudonyme dans une publication dynamique telle que pssst! l’a été.

Malheureusement, comme dans un grand nombre d’espaces publics de discussion, un nombre croissant de personnes s’est arrogé le droit d’utiliser un pseudonyme pour tenir des propos qu’ils n’auraient sans doute pas tenus à visage découvert… transformant du coup les forums de pssst! en simples exutoires. Une fois de plus, je ne dis pas que de tels espaces ne sont pas nécessaires, je dis seulement que ce n’était pas ce à quoi nous avions le goût de contribuer.

Notons toutefois que tout a un coût et que les gens qui ont misé sur l’anonymat jusqu’au bout se retrouvent bien nus après la fermeture de pssst! Plus d’identité qui vaut, encore moins de notoriété. Pouf! envolées. Tout est à recommencer ailleurs. Alors que ceux qui ont choisi d’assumer leurs propos et de faire connaître leur véritable identité s’en tireront bien mieux, la valeur de leurs opinions ou leur expertise leurs étant reconnues à juste titre par la communauté.

La responsabilité de l’éditeur

C’est trivial, pourtant, il est souvent nécessaire de le rappeler: Internet n’est pas un espace sans foi ni loi. Un site Web est une publication, dont un éditeur a inévitablement l’ultime responsabilité. Heureusement d’ailleurs. Nous avions beau indiquer au bas des pages de pssst! que les contributeurs étaient les seuls responsables de leur commentaires, nous savions bien qu’en cas de litiges, nous devrions rendre des comptes (ce que nous avons d’ailleurs dû faire à quelques occasions).

Or, plusieurs des personnes qui dénoncent la décision de fermer pssst! semblent faire abstraction de cette incontournable réalité. Facile de dire: « vous auriez dû laisser fonctionner le site »… quand ce sont les autres qui assument la responsabilité de ce qui s’y écrit! Que ceux et celles qui désirent assurer la surveillance et assumer les risques associés à cette responsabilité remettent le site en place… ce sera tout à leur honneur. Pour nous, l’heure était venu de consacrer nos énergies à d’autres défis.

Nous sommes fiers d’avoir assumé nos responsabilités légales de façon honorable jusqu’à la fin et d’avoir permis la suite de l’aventure en rendant le code du site disponible. Les archives restent disponibles, mais ont été « fermées » simplement parce qu’elles constituent l’intégralité des textes dont nous nous reconnaissions indirectement responsables.

Choix éditoriaux, censure et privilège de publier

Il est important de rappeler qu’à ses départs, tous ne pouvaient pas écrire sur pssst! Seules quelques personnes s’en étaient vu accorder le privilège, par invitation. Puis, ce cercle de privilégiés (par définition) s’est élargi à la fois par cooptation et par sollicitation, quelques audacieux nous ayant formulé une demande en ce sens. Dans presque tous les cas, il était demandé aux aspirants contributeurs de nous faire parvenir trois exemples de textes qu’ils souhaitaient partager avec la communauté afin que nous puissions juger (d’une subjectivité très bien assumée!) de l’intérêt que représentait vraiment leur participation.

Rapidement nous nous sommes fait traiter d’élitistes, de ne pas reconnaître la liberté d’expression, voire d’agir en censeurs. Vraiment n’importe quoI! Nous étions simplement les éditeurs d’un site par lequel nous souhaitions (ouvertement) donner la parole à des gens susceptibles de faire avancer la réflexion collective sur un sujet bien précis.

Néanmoins, nous avons choisi d’ouvrir des espaces de discussions distincts pour M. et Mme Tout-le-monde… sous forme de commentaires, en complément des textes soumis par les contributeurs en page d’accueil. C’était un changement radical dans l’écosystème, qui a fini de le transformer avec l’apparition des contributions « hors-sujet du vendredi » par lesquelles les « commentateurs » sont arrivés à se frayer en quelque sorte un chemin vers la page d’accueil, obtenant ainsi en quelque sorte un statut de quasi-contributeur. Et ç’a été la fin. Simplement parce qu’il n’était plus nécessaire d’avoir fait ses preuves pour pouvoir soumettre des éléments à l’attention des psssteur… n’importe qui pouvait le faire dans un grand «melting pot» de prétendue liberté d’expression. Tout n’a quand même pas été noir dans l’aventure des forums puisqu’ils ont quand même permis aux lecteurs de découvrir plusieurs intervenants de tout premier ordre.

Toutefois, ce qui a fait le succès de pssst! à ses débuts (et qui était à la source du soi-disant effet pssst!) c’est que n’importe qui ne pouvait pas s’exprimer sur pssst! Si pour les démagogues toutes les opinions se valent, pour un éditeur, tous les points de vus et tous les auteurs ne sont pas équivalents. C’est d’ailleurs vrai pour l’éditeur du Journal de Montréal comme pour celui du Devoir, qui ne choisissent simplement pas de mettre en valeur les mêmes points de vues, ce qui est non seulement correct mais tout à fait souhaitable.

Et cela n’a que bien peu à voir avec la liberté d’expression. Il faut être démagogue pour assimiler à de la censure la ligne éditoriale d’une publication (exception faite de quelques contextes très particuliers).

4 réflexions sur “Quelques réflexions post-mortem

  1. Merci pour ces éclaircissements Clément.
    J’en profite aussi pour vous remercier, Luis, Carl et toi, pour cette initiative extraordinaire ainsi que Daniel pour la programmation. Quelle belle aventure!

    Je vais quand même me permettre de revenir sur un point que tu mentionnes comme étant l’un des éléments qui a pu dénaturer Pssst! : Les hors sujets du vendredi. Comme tu peux t’en douter, je me suis sentie un peu interpelée par cette exemple que tu as choisi pour illustrer l’importance des « Choix éditoriaux, censure et privilège de publier ».

    Je comprends que cette contribution pouvait être différente de l’esprit de Pssst!, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec ton interprétation.

    D’abord, les commentaires des non-contributeurs n’étaient pas sur la page d’accueil. Je sais ce que tu veux dire quand tu ajoutes « en quelque sorte », mais la nuance est quand même importante.

    De plus, le sujet de cette contribution hétoroclite était bien annoncé et les personnes pouvaient facilement la contourner si cela ne les intéressait pas afin de se concentrer sur les autres contributions. Bref, il était aussi facile pour les lecteurs d’accéder à ce « melting pot » que de l’éviter. Toutefois, je comprends la préoccupation des responsables du site, notamment à propos de la question légale dont tu as parlé. Après tout, même les journaux exercent un certain contrôle sur ce qui est publié dans la section « Opinions des lecteurs ».

    À mon avis, le « malaise » venait aussi de la popularité de cette contribution et du nombre décroissant (quoique c’était périodique) d’autres types de contributions. C’est comme si l’intérêt du site et celui des lecteurs pouvaient être dilués par cette contribution hors sujet.

    C’est bien dommage que ça se soit passé ainsi. Je le regrette. Et je vais, comme tu le suggères, me mettre à la recherche d’autres sites collectifs intéressants tout en faisant continuellement la tournée de mes carnets préférés. Cela dit, votre décision va sûrement inciter plusieurs ex-psssteurs comme moi à démarrer leur propre carnet.

    Merci encore de nous avoir offert Pssst! et au plaisir de découvrir vos prochains défis!

  2. Pssst…

    Je lisais ceci et puis cela par la suite et je me suis rappelé le test des trois passoires. Cette leçon vient du philosophe Socrate : « Quelqu’un vint un jour trouver le grand philosophe et lui dit: «Sais-tu ce que je viens d’apprendre sur ton ami ? – U…

  3. À propos de la dépréciation des pseudonymes, ça me rappelle une citation de Warren Buffett: « C’est seulement quand la marée baisse qu’on reconnaît ceux qui se baignaient tout nus »…

  4. En passant, après avoir écouté l’entrevue avec Bruno G., je pense qu’on peut s’attendre à ce que l’émergence des carnets personnels ait un effet semblable d’érosion sur les autres carnets collectifs (d’ici et d’ailleurs).

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