L’hôpital de Dungu

J’ai reçu il y a quelques jours des nouvelles d’un ami — un modèle d’aventurier — qui passe quelques mois au Congo avec sa conjointe pour Médecins sans frontière. Stéphan est pilote de brousse, Julie est infirmière.

Leur récit est fascinant sous bien des aspects (la nature, les gens, la culture), mais le passage où Julie raconte son arrivée à l’hôpital de Dungu est particulièrement incroyable:

« L’hôpital… Serrement au cœur en pénétrant dans la cour avec tous ces bâtiments laissés dans un état pitoyable, les latrines à l’extérieur qui empestent et toutes ces familles rassemblées sous les arbres qui cuisinent pour leur malade dans un désordre et une cacophonie inimaginable chez-nous. La matinée débute avec une réunion inter-départementale se donnant un semblant de rapports sur l’état de leurs patients pendant la nuit et se termine par une prière. 

Je suis arrivée en maternité, on m’a présenté à toute l’équipe déjà bien occupée. Ce matin, j’ai assisté à 6 accouchements. Une véritable usine de production ! Plein  de beaux petits bébés noirs sont sortis d’un ventre tout maigre, qui en a logé 4-5 autres déjà, d’une mère qui fait tout le travail seule sans mari pour la supporter, les pieds dans les étriers trop élevés, dans une salle avec un trou béant au plafond d’où on entend les chauve-souris… L’accoucheuse qui l’assiste a souvent un bébé elle-même accroché au dos. Aucun médecin n’est venu faire d’accouchement, tout le processus étant suivi par les infirmières de la maternité, qui le font très bien d’ailleurs.

Quels changements avec chez-nous ou tout est stérilisé, le matériel en abondance, le choix des médicaments (oubliez l’épidurale ou tout autre analgésique même pas d’anesthésie locale pour suturer le périnée déchiré, c’est à frette !), la propreté des chambres, l’intimité… Tout ça n’existe pas ici. Les patientes, une fois qu’elles ont accouché, se retrouvent entassées dans un dortoir à 20 lits, sans division, les fenêtres grandes ouvertes donnant sur la cour extérieure et sa cacophonie habituelle. Le bébé enduit de débris placentaires a été enveloppé dans un pagne sans avoir été nettoyé et remis illico à la maman encore en nage…

L’infirmière de garde de soir- nuit se trouve seule en charge de l’unité de maternité avec une trentaine de patientes et leurs bébés ainsi que toutes les parturientes qui se présentent en travail. L’électricité l’accompagne jusqu’à 2hrs du matin ensuite c’est à la lampe tempête qu’elle exerce son travail.

Comment vous dire toute l’admiration que j’éprouve pour ces femmes….

Leur émancipation se définit comme une certaine indépendance face à l’homme et non une liberté de choix.

Le 8 mars, journée de la FEMME . Elles ont défilé fièrement à Dungu dans une parade haute en couleurs. Elles étaient belles, dignes, souriantes, le port élégant malgré tout le poids du monde qu’elles portent sur leurs épaules. Je suis fière d’être une femme mais surtout je me trouve choyée d’avoir grandi chez-nous. Je remercie toutes les femmes qui avant moi  ont lutté pour que j’aie la chance d’étudier, de travailler, de voter, de diriger ma vie. »

Et Stéphan qui ajoute dans le message dans lequel il me confirme que Julie est d’accord pour que je partage avec vous son récit:

« …même si ce message pouvait paraitre percutant au niveau des conditions existant à l’hôpital, il était édulcoré.  Le récit que Julie m’a fait de retour de sa première journée à l’hôpital m’a complétement bouleversé, horrifié, révulsé… pourquoi tant de souffrances humaines???

L’Afrique est incroyable pour ça, elle est tellement contrastée.  L’horreur y cotoit la beauté, sans arrêt, on y passe de l’émerveillement et la joie au dégoût et à la tristesse. »

Je reprends tout ça ici parce qu’il me semble que c’est important d’avoir ce genre de choses en tête pour mettre en perspective ce que certains médias et quelques politiciens aiment à nous présenter comme des catastrophes, des scandales ou comme des choses inacceptables pour le Québec (qui mériterait toujours plus et mieux, comme si tout nous était dû).

Merci à Stéphan et Julie de consacrer quelques mois de leur vie pour plonger dans cette réalité et nous en rapporter un témoignage. Grâce à vous, il sera peut-être un peu plus facile de prendre un peu de hauteur sur notre assourdissant quotidien.

Merci aussi, évidemment, pour le soutien et l’aide que vous apportez à ces être humains avec qui nous partageons tellement inéquitablement une même petite planète.

7 réflexions sur “L’hôpital de Dungu

  1. Il est difficile, en effet, de croire que nous habitons la même planète. Comment sommes-nous arrivés là? Mais où est le salut si l’intelligence ne suffit pas à nous distinguer des fauves?

  2. Pour aider l’Afrique et les pays en développement il faudra réaliser que nous ne manquons de rien, ici. La croissance à tout prix, a un prix. Julie nous le fait voir.

  3. Nous trouvons Julie et Stéphan bien aventureux et généreux de donner une année de leur jeunesse…pour un partage équitable.
    P.S. Petites rectifications : Stéphan est pilote de brousse à Dungu, Congo, pour Terre sans Frontières (T S F) , autre organisme de coopération internationale. Julie s’est impliquée sur place pour travailler à l’hôpital , au dispensaire, etc…Toutefois, elle avait donné son nom à Médecins sans Frontières, mais n’en fait pas encore partie.

  4. Étant donné qu’une maman a déjà écrit, je veux aussi le faire.
    Je suis la maman de Julie. Quelle fille, que ma fille!
    Toute petite déjà, elle voulait être missionnaire. Elle se voyait, en Afrique, entourée de ce peuple africain, et les aidant. Un rêve qu’elle réalise, cette année, avec Stéphan.
    Bien souvent, elle se sent démunie face à toute cette misère, et elle veut leur montrer plein de choses. C’est très bien, car toute petite graine que l’on sème finit par germer et porter fruit.
    Puis-je vous dire à quel point je suis fière de ma fille, même si je trouve cet éloignement d’un an, très difficile???

  5. ce témoignage de Stephan et Julie est une histoire horrible.Malheureusement c’est le vecu quotidien de peuple Africain.
    En tant que ressortissant de ce pays,Je suis reconnaissant envers vous pour votre courage.
    Vous méritez toute mon admiration pour votre assistance auprès de ces démunies.

  6. Dans un contexte d’immigration, je m’intéresse actuellement à la Francophonie et m’instruisant sur l’Afrique, je me suis rappelé avoir lu ici quelque chose à son sujet. J’ai relu. Ça ajoute du vécu aux cartes géographiques et aux tableaux de statistiques que j’ai consultés ailleurs.

    Est-ce que Julie et Stéphan sont toujours au Congo ?

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