Il s’appelait Godefroi Flegmon.
Ses amis l’avaient mis au défi. Il avait accepté. Il devrait noter pendant trente jours ses observations sur l’actualité, telle qu’elle lui était relayée par les médias. Pour quoi faire? Pour rien. Rien de prévu en tout cas.
Il devait commencer ce soir.
* * *
Extraits du journal de Godefroi Flegmon
1er avril 2012
« Ils se sont succédé à l’écran toute la soirée pour marteler ce qu’ils présentaient comme une évidence.
Une fatalité, ou presque: nous n’avons plus les moyens de se payer tous ces services publics.
— Vous les avez pourtant déjà défendus, monsieur le chroniqueur…
— Oui, mais les choses ont bien changées depuis…
Bien sûr… il fallait y penser!
La solution serait donc de moduler le prix des services en fonction des revenus de ceux qui utilisent les services. Que les plus riches paient plus cher, ce serait plus juste, a-t-il dit d’un air généreux.
Bullshit!
— Comment peut-on accepter que les riches d’Outremont (comme moi, insiste le chroniqueur) ne paient que 7$ par jours pour faire garder leur enfant alors qu’ils ont les moyens de faire des voyages deux fois par année? Il me semble qu’ils devraient payer plus cher. Ce serait plus juste…
C’est peut-être parce qu’on ne veut pas que ceux qui paient plus cher exigent des services différents des autres? ou que ceux qui ne bénéficient pas des services parce qu’ils n’ont pas d’enfants ou qu’ils ne sont pas malades ne demandent pas d’être exemptés des coûts du système de garderie, du système scolaire ou du système de santé?
Ce qui est équitable, ce n’est pas toujours ce qui apparaît plus juste au premier regard. Ce qui est équitable, ce qui est vraiment juste, c’est que tous les citoyens soient également considérés quand il est question de services publics, et, ce quel que soit leur revenu.
Un système universel — comme les garderies, les écoles et la santé — c’est quelque chose qu’on juge absolument essentiel au bon développement de la société — quelque chose qui doit rester hors de la logique de marché. C’est quelque chose qui doit être financé par les impôts — et surtout pas dans une logique d’utilisateurs payeurs. C’est quelque chose pour lequel chacun doit payer par l’entremise de l’impôt sur le revenu, et, cela, indifféremment de l’usage qu’il fait des services publics.
Mais j’ai comme l’impression que c’est de plus en plus tabou de parler de l’impôt — et de la solidarité.
Y’a peut-être des gens qui ont intérêt à ce qu’on en parle pas trop…
…des gens qui sont même prêts à payer spontanément 20$ de plus par jour pour envoyer leurs enfants à la garderie plutôt que de nous voir parler du rôle fondamental de l’imposition pour assurer la distribution de la richesse. Peut-être parce qu’ils savent que ça leur coûterait pas mal plus que 20$ par jours si on analysait tout ça plus en profondeur et qu’on se mettait à (re)parler de solidarité entre les classes sociales et entre les générations.
Je dis ça de même…
Ce serait peut-être bien qu’on fasse une petite place à un économiste-pédagogue quelque part entre toutes ces images de manifestations étudiantes pour nous aider tous à comprendre ça… pour sortir du spectaculaire et entrer un peu plus dans le véritable débat politique.
Qui sait? Peut-être demain soir… »
Merci Clément!
Cher Godefroi,
Puisque Clément rend public ton journal, je me permets d’ajouter mon grain de sel. Ou de sable, selon l’interprétation que tu en feras.
« Ce qui est équitable, ce qui est vraiment juste, c’est que tous les citoyens soient également considérés quand il est question de services publics, et, ce quel que soit leur revenu. », affirmes-tu.
Quel que soit leur revenu? L’équité et la justice devraient aussi et même d’abord s’appliquer au revenu. Tant que tous n’auront pas droit à un revenu décent, ‘équité’ et ‘justice’ ne seront que des mots.