
J’ai fait pendant des années au moins un aller-retour Québec-Montréal par semaine pour des raisons professionnelles. Mais depuis deux ans, aucun. Ça rendait mon déplacement d’aujourd’hui d’autant plus spécial. Constat: je m’ennuyais du train — même trop lent, même pas assez fréquent.
Il faut dire que l’occasion rendait aussi la chose particulièrement stimulante. J’avais été invité à participer au dévoilement de la chaise des générations qui est destinée à l’Assemblée nationale. Une chaise qui a été réalisée par des jeunes de l’école de la Magdeleine, à Montréal, avec la participation de Marc Séguin, artiste, et la complicité de Frédérique Bérubé, cinéaste (qui a présenté de magnifiques extraits de film). Sans oublier le bienveillant accompagnement de l’inspirante équipe de Mères au front.
Le hall de la Maison du développement durable était plein de femmes et d’hommes de tous les âges, dont il m’a semblé que les yeux brillants témoignaient d’une belle confiance dans l’avenir — si on y travaille bien, solidairement. Il y avait même des représentants des quatre partis politiques présents à l’Assemblée nationale: les députées: Alejandra Zaga Mendez, de Québec Solidaire, Madwa-Nika Cadet, du Parti Libéral du Québec, Agnès Grondin, de la Coalition Avenir Québec, et Méganne Perry Mélançon, pour le Parti Québécois.
On m’avait demandé de raconter l’histoire de la première chaise des générations — celle par laquelle tout à commencé, en 2021, à Québec. Qui aurait pu croire à ce moment que deux ans plus tard, 69 autres municipalités auraient leur chaise des générations, une quarantaine d’autres seraient engagées dans le mouvement, ainsi que plusieurs députés, et bientôt, peut-être, l’Assemblée nationale. C’est vraiment une extraordinaire aventure qui ne fait probablement encore que commencer.
L’histoire de la première chaise, donc…
Il a fallu que je remonte dans mes souvenirs pour trouver ce que je crois être l’origine de cette histoire. Je pense qu’il faut l’associer à une anecdote survenue en 2017.
J’étais devant la télévision, à la maison, à chialer contre l’actualité et sur ce qui se passait à l’Assemblée nationale. Trop de négatif, trop de pessimisme, trop décourageant! À un moment, je me suis exclamé: « Ça n’a pas d’allure! Faut que ça change… S’il le faut, je vais aller manger un sandwich toutes les semaines devant le parlement pour que ça change! ». Ma fille de quinze ans (à ce moment-là) m’a alors regardé dans les yeux et m’a dit: « ok, fais-le si tu es sérieux. ». J’étais pris à mon propre jeu d’éducateur.
Résultat: nous avons été quelques-uns à nous relayer pendant un an, le vendredi midi, le temps de manger un sandwich, à parler de politique positive, de façon de combattre le cynisme et le pessimisme. Constat au bout de tout ça: aucun regret, ça nous a fait du bien, mais notre démarche avait trouvé bien peu d’échos.
Quelques mois plus tard, Greta Thunberg entreprenait la dorénavant célèbre Skolstrejk För Klimat. En s’installant elle aussi, le vendredi, devant le parlement suédois. Puis un peu partout dans le monde. J’ai eu la chance de voir Greta à Stockholm en 2019 — et j’ai été frappé par la force de la parole des enfants, des jeunes; par l’attention qu’elle suscitait, et par le fait qu’il était impossible d’y rester indifférent. On a vu cette force à l’œuvre à Montréal en 2019.
Au même moment, je découvrais les textes d’un philosophe australien, Roman Krznaric, qui portaient sur les dangers du court-termisme. Il insistait sur la nécessité de donner la parole à des représentants des générations à venir pour y échapper. Il nous mettait en garde: il ne faut pas coloniser le futur comme on l’a fait avec les continents, comme si personne n’y résidait. Les enfants vivent dans l’à-venir. Ses textes nous invitent à mener nos vies de manière à être de bons ancêtres. Il donnait des exemples de comment la Finlande avait mis en place un comité de jeunes, Israël un ombudsman des générations à venir, le Pays de Galles un commissaire et comment au Japon on désignait dans certaines consultations des participants avec le mandat de parler au nom des futures générations.
Je trouvais tout ça très inspirant, mais je n’avais pas de contexte pour mettre ça en œuvre.
Ça allait changer subitement en novembre 2021, quand Bruno Marchand, fraîchement élu maire de Québec, m’a demandé de devenir son directeur de cabinet — ce que j’ai évidemment accepté avec enthousiasme.
Aussitôt happés par le rythme des événements — un quotidien où tout se présente comme une urgence et où tout sollicite également l’attention… nous avons rapidement compris qu’un de nos plus grands défis serait de cultiver la capacité de prendre du recul, de mettre les choses en perspectives et de prendre des décisions à long terme.
Sans un truc, un ancrage, un symbole fort pour nous rappeler pourquoi on faisait de la politique — nos convictions, nos idéaux, le bien commun — et le courage nécessaire pour prendre les décisions en conséquence… on risquait de céder à la politique au quotidien et à la tentation de faire des choix en fonction de la prochaine élection.
C’est à ce moment que les écrits de Krznaric me sont revenus à l’esprit et, avec eux, l’idée d’inviter les futures générations dans un de nos lieux de décisions. Et c’est ainsi que l’idée est née d’ajouter une chaise dans la salle du comité exécutif, pour représenter leur présence et nous rappeler l’importance de penser à eux au cours de nos délibérations. L’idée de la chaise a probablement aussi été inspirée par le travail d’artiste de ma mère, au sein duquel la chaise joue un rôle symbolique très important.
On ne savait toutefois pas à ce moment la forme que cette chaise allait prendre. Nous avons proposé à un groupe d’élèves de l’École Sacré-Cœur, et à leur éducatrice, Noémie Ouellette, de fabriquer la chaise.
Et ils ont produit une merveille à partir d’une chaise d’occasion, qu’ils ont peinte de couleurs vives, à laquelle ils ont ajouté des branches tombées après un épisode de verglas et de feuilles découpées dans une affiche électorale. Du beau, du sens et de l’imagination. Beaucoup d’imagination — en plein ce dont nous avons besoin pour faire face aux très grands défis qui nous attendent dans les prochaines années — en particulier dans le contexte des changements climatiques.
Les élu.e.s et les membres du cabinet ont spontanément adopté cette chaise, qui a trouvé sa place au centre de la salle où nous faisons la plupart de nos délibérations. C’est un symbole qui nous aide à faire une forme de politique inspirante, qui a la capacité de réunir et de mobiliser.
La chaise est tous les jours près de nous et il arrive même qu’on s’y réfère explicitement quand vient le temps de faire les arbitrages qui sont nécessaires pour prendre plusieurs décisions. La présence de la chaise nous aide parfois à faire preuve de courage en faisant pencher la balance du côté de l’avenir, malgré les inconvénients à court terme.
La chaise a peu à peu fait parler d’elle dans les mois qui ont suivi, notamment dans Le Soleil, jusqu’à ce que Nathalie Ainsley communique avec moi pour me dire que Mères au front avait envie de soutenir l’idée et de favoriser sa diffusion partout au Québec. Ce à quoi nous avons évidemment décidé de prêter notre concours avec enthousiasme.
Et c’est là que s’arrête l’histoire que j’avais la mission de raconter aujourd’hui. La suite de l’histoire continue à s’écrire tous les jours, avec des élèves de partout au Québec et avec le soutien de Mères au front (il faut voir la page de leur site web qui est consacrée à la chaise!). Je trouve que c’est à la fois émouvant et une grande source d’optimisme.
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Il va sans dire que je trouverais extraordinaire que la chaise présentée avec forte conviction aujourd’hui par les jeunes de l’école de la Magdeleine trouve sa place à l’Assemblée nationale. J’y crois. La présence des représentantes des partis me donne confiance qu’elle trouvera son chemin jusque là.
Il me semble que ce serait un symbole fort pour la démocratie, pour inviter les jeunes à s’y engager et à croire en sa capacité de changer le monde, pour le mieux.
On en aurait bien besoin à un moment où l’anxiété devant l’avenir risque plutôt de provoquer une spirale de désengagement qui compliquerait encore un peu plus les choses.
Je suis convaincu que c’est avec le sourire et les yeux brillants, comme ceux que j’ai vus aujourd’hui, qu’on a les meilleures chances de relever les nombreux défis qu’on a devant nous.
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Avant de reprendre le train vers Québec, j’ai accordé une entrevue à Janic Tremblay, qui devrait faire partie d’un reportage sur les chaises des générations pour l’émission Tout terrain (probablement diffusé la fin de semaine prochaine). Nous avons notamment parlé de caractéristiques communes à plusieurs des chaises réalisées par les jeunes. Nous avons aussi abordé le fait que les chaises n’apportent pas de réponses aux élu.e.s — leur présence ne détermine pas leurs décisions… elles permettent surtout de poser les problèmes un peu différemment, en apportant un peu de perspective — et qu’il est important de garder à l’esprit que « les représentants des générations à venir » ne penseront pas tous de la même façon… pas plus que « les jeunes », « les femmes » ou « les aînés », ne forment aujourd’hui des groupes monolithique. À suivre…
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J’ai envie de conclure en partageant un extrait du message que j’ai partagé avec le caucus et l’équipe du cabinet en quittant Québec ce matin — parce que c’est aussi chacune d’elles et chacun d’eux que je représentais à Montréal:
« C’est un très grand honneur pour moi de vous représenter — de nous représenter, tous et toutes — à cette occasion.
Comme je vous le disais, trop rapidement, la semaine dernière, je vois le mouvement qui naît autour de la chaise comme un reflet de l’influence que notre approche peut avoir par-delà les limites de la ville. Ça témoigne que notre façon de faire de la politique peut inspirer. Si des gens ont envie d’emboîter le pas, c’est parce que vous êtes inspirantes et inspirants à voir aller.
Il faut s’en souvenir quand on a l’impression d’être embourbés dans des dossiers précis, qu’on fait face à des difficultés qui nous résistent. Parce que notre action dépasse ces frustrations. Nos gestes ont souvent une portée beaucoup plus large qu’on le croit au moment de les poser.
Nos sourires sont plus forts que nos grincements de dents. »
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J’ai vraiment passé une très belle journée. Pleine de sens. C’est précieux.
Bravo et merci aux élèves de l’école La Magdeleine, à tous ceux et celles qui les ont accompagnés — et à Mères au front pour tout le travail, partout au Québec!
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Mise à jour:
Le Devoir: Une « chaise » pour représenter les prochaines générations à l’Assemblée nationale
Merci Clément, des suggestions de lecture qui amène à réfléchir, et des propos toujours aussi inspirants. (Mais où trouves-tu le temps pour lire et poser tes réflexions ainsi? Je suis jaloux! :) )
Clément, je t’ai rencontré à l’automne 2016.
Je ne me souviens plus trop tôt de quelle manière j’ai entendu parler de ton initiative de sandwich devant le parlement à Québec, chaque vendredi midi.
Toujours est-il que j’y ai participé plusieurs fois. Et qu’on a pu jaser pas mal pendant ces nombreux rassemblements juste à côté de la fontaine de Tourny. J’ai surtout pu voir à quel point tu es un gars réfléchi qui agit selon ses convictions.
C’est clair que tu n’as pas chômé ces deux dernières années, c’est le moins que l’on puisse dire. Malgré cela, tu as quand même pris un bon 90 minutes pour discuter avec Denis Martel des Engagés publics. Un entretien que j’ai vraiment aimé.
Je dois te dire que j’ai ressenti une pas pire joie quand j’ai reçu un courriel mercredi passé m’avisant que tu avais ajouté avait écrit un nouvel article sur ton blogue. Depuis que tu es aux côtés de Marchand, les articles sont plus rares et c’est tout à fait compréhensible.
Enfin, il y a quelque chose de vraiment beau dans cette idée de chaise des générations. Vivement que ça se rende à l’Assemblée nationale, ne serait-ce que pour le symbole.
J’espère sincèrement qu’on en verra une au parlement du Québec bientôt.
(commentaire adapté d’une publication sur mon compte Facebook en fin de semaine. Mais bon, tu n’es plus sur le réseau depuis un certain temps…)
Continue ton excellent travail, Clément!