Quelles histoires?

J’expérimente depuis quelques temps Pavillons, qui propose un nouveau modèle de diffusion qui ressemble un peu à des feuilletons qu’il est possible de lire moyennement un abonnement de quelques dollars. Quelque part entre Substack et Patreon, je dirais.

J’ai lu plusieurs « première entrées » de publications. Elles sont toujours gratuites pour nous permettre d’explorer un projet ou de découvrir un auteur ou une autrice.

Je me suis abonné à une publication: Défiler vers le bas, d’Annabelle Nicole. J’ai aussi acheté, à la pièce, quelques entrées d’une autre publication: PHTGRPH, de Benoît Erwann.

Dans cette dernière série, l’auteur redécouvre le contenu de boîtes en carton remplies de photographies oubliés au fond d’une armoire familiale pendant vingt-cinq ans.

Dans la sixième entrée, il écrit:

« Cette boîte, ce coffre-fort sans serrure, contient 1081 tirages, je les ai comptés. (…) En les regardant une première fois un à un, ces tirages m’ont enseigné une chose essentielle : je me souviens des lieux et de quelques personnes, et c’est tout. Aucun détail. Rien. Nada. J’ai rangé la boîte pendant quelques jours, puis je les ai regardés de nouveau. Alors, la mémoire me revenait grâce aux détails, justement, qui apparaissaient enfin dans l’image. Ils révélaient une atmosphère que je pensais oubliée à jamais. Ils me montraient dans mes environnements immédiats, que cela me plaise ou non. Je retrouvais des visages perdus, des rencontres improbables, des objets à première vue anodins, et pourtant tout me parlait, tout me communiquait une part de vie que j’avais rangée sans même m’en apercevoir et que ma mémoire avec choisi d’évacuer. (…) Petit à petit, j’en ai mis de côté dans une enveloppe, ceux des tirages qui m’interpelaient dans leurs détails, qui faisaient remonter à la surface de ma conscience des souvenirs enfouis (…). »

Ça m’a rappelé l’impression que je ressens parfois pendant l’exercice matinal de relectures que je fais depuis le début des vacances (repris sur mon blogue et sur Instagram)

Une forme d’étonnement, quand je tire un livre de la bibliothèque — ou que je vais le chercher au fond d’un des paniers, à côté du canapé, parmi les oubliés.

Mais comment ce livre a bien pu aboutir ici? Ou dans quel contexte est-ce que j’ai bien pu lire ça?

Je dois alors partir à la recherche d’indices.

Une inscription sur la première page? Des annotations? Une facture qui fait office de marque page? Une carte postale? Une étiquette de prix à l’arrière du livre indiquant le nom de la librairie? Une recherche sur mon blogue ou dans mes notes personnelles m’aide aussi parfois aussi à trouver une première piste pour reconstituer le contexte.

Et si une chose est plus claire pour moi que jamais c’est qu’il faut écrire dans les livres! Ou au moins y glisser des documents. Il faut se l’approprier, l’enrichir d’un contexte — s’assurer d’en faire le témoignage d’un moment, en faire une clé mémorielle. Comme une photo peut le faire.

C’est comme ça que je considère les gribouillages qui témoignent de mes relectures. Ils s’inscrivent dans cette dynamique d’appropriation — même si je sais qu’ils sont choquants aux yeux de certains.

De mon point de vue, ils ne sont pas un affront fait au le livre, au contraire! C’est un honneur qui se trouvera à lui garantira une place dans ma bibliothèque pour longtemps.

Parce que ce matin, je regarde ma bibliothèque et je me demande si les livres qui ne me disent rien y ont encore leur place? Ou en tout cas, s’ils ne me disent rien et que j’hésite à m’en départir, est-ce que je ne devrais pas au moins écrire la raison de cette hésitation sur une petite carte et la glisser entre les pages? Ce qui donnerait déjà un sens à leur présence parmi les autres?

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Je tire trois livre au hasard de la bibliothèque pour faire l’exercice.

117 Nord, de Virginie Blanchette-Doucet, chez Boréal — Je me souviens très bien de l’avoir lu et apprécié. Catherine Voyer-Léger y fait d’ailleurs référence dans un court texte publié dans le dernier numéro de Lettres Québécoises.

Étiquette au verso: Librairie Vaugeois, août 2016. Mon nom est inscrit sur la première page, avec un ancien numéro de téléphone, ce qui me fait croire que je l’ai déjà prêté. Un signe d’appréciation. Aucune annotation toutefois. Un petit tour dans les archives de mon blogue me rappelle que j’avais fait un texte à son sujet le 26 août 2016. Je vais d’ailleurs l’indiquer sur la première page.

Comme je l’avais manifestement beaucoup apprécié je me suis demandé si Virginie Blanchette-Doucet avait écrit un autre roman depuis. Réponse positive de Google: Les champs penchés, en 2023. Surprise: la couverture me semble être une photo de Mériol Lehmann, un photographe que j’aime beaucoup. Impossible d’en avoir la confirmation sur le site de l’éditeur. Direction prêtnumérique.ca… le livre est disponible… téléchargement… confirmation! La photo s’intitule: arbres, chemin saint-jacques, saint-pierre. Une belle coïncidence. Et tant qu’à avoir téléchargé le livre, je le lirai dans les prochains jours.

Voilà que mon histoire partagée avec le livre s’est enrichie. Il mérite donc plus que jamais sa place dans la bibliothèque.

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La Classe de neige, d’Emmanuel Carrère, chez P.O.L. — Je me souviens très bien de l’avoir lu, avec plaisir, et un certain malaise. Pourquoi? Ce n’est plus très clair. La couverture est sale (taches de jus d’orange?), la tranche est usée… il a dû se balader pas mal. À l’intérieur, page 145, un signet vintage illustré d’un cardinal en vol. Aussi, page 95, le bandeau qui ornait le livre pour souligner que le Prix Femina lui avait été accordé. Et page 47, trois signets Larousse « À: … De: … » aux couleurs de Noël.

Surprise en page frontispice, une dédicace:

Pour Ana et Clément, en espérant qu’ils approuveront le choix de Sofia et seront touchés par cette triste histoire — en tout ou en partie. [signature illisible], Montréal, 18.11.95. 

Les archives de BAnQ m’ont permis de confirmer que la date correspond bien à celles du Salon du livre de Montréal en 1995, dont Emmanuel Carrère était un des invité.

Et effectivement, avec un peu d’imagination, la signature pourrait bien être « Emmanuel ». Impossible de confirmer par des images comparables sur le Web… qu’importe, c’est la meilleure hypothèse pour le moment.

C’est donc vraisemblablement un livre qui nous a été offert à Noël 1995, par la mère d’Ana, Sofia — qui en aurait fait l’achat au Salon du livre de Montréal.

Ça fait pas mal de liens vers pas mal de souvenirs!

Je constate par ailleurs qu’il n’y avait rien aucune référence à Emmanuel Carrère sur mon blogue… avant aujourd’hui! Je vais d’ailleurs ajouter une référence au présent texte sur la troisième de couverture avant de replacer le livre dans la bibliothèque… parce qu’il n’y a plus aucun doute qu’il y mérite sa place!

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Une fantaisie du Docteur Ox, de Jules Verne, aux éditions Mille et une nuit — J’ai beau lire la quatrième de couverture, je ne me souviens pas de l’avoir lu. Aucune d’annotations, pas de papiers glissés entre les pages. Une étiquette de prix, que j’avais manifestement transféré du dos du livre au revers de la couverture: 4,50$ à la Librairie Garneau. Probablement à la succursale des Halles de Sainte-Foy (devenu Renaud-Bray en 1999). Mais il ne me dit vraiment rien.

Je vais donc le placer dans une boîte de livres à donner.


Post scriptum: ma relectrice préférée m’a ramené à l’ordre: — Pas question que tu te départisses d’un livre de Jules Verne, à plus forte raison s’il a pour titre « Une fantaisie… »! C’est tout toi ça! Commence donc par le lire, on en reparlera ensuite.

Il se pourrait bien que son histoire soit en train de s’écrire, lui aussi… À suivre…

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