Le tour du monde à pied

Ce texte marque le véritable départ d’une série intitulé Le tour du monde à pied.

Uashat. 

C’est le nom que j’avais à l’esprit en me réveillant.

J’ai tapé Uashat dans Google, j’ai cliqué sur Maps, et je suis passé en mode Street View.

Ce 31 décembre 2020, avant d’aller pelleter, j’ai marché une trentaine de minutes à Uashat… en juin 2013! 

***

Les rues sont larges et les maisons modestes. Il y a très peu d’arbres sur les terrains, qui sont sablonneux et parfois entourés de très basses clôtures. Il arrive qu’on voit la baie, mais curieusement, aucun endroit ne semble aménagé pour pouvoir la contempler. Le mieux que j’ai pu trouver est une impasse clôturée. Le seul immeuble qui s’y trouve est placardé. Si je n’avais pas été limité par le regard automobile de Google, j’aurais pu m’aventurer sur la grève, mais là… impossible de sortir des sentiers battus. Dommage.

En une centaine de doubles-clics, j’ai pu parcourir presque toutes les rues d’Uashat. Une promenade qui m’a laissé l’impression d’un injuste dépouillement. C’est une impression qui a été renforcée par le fait que je me suis brièvement égaré pendant ma promenade: en quelques pas, je me suis retrouvé un peu hors de Uashat, dans un quartier résidentiel de Sept-Îles. Je m’en suis rendu compte parce qu’il y avait soudainement beaucoup plus d’arbres et les terrains étaient gazonnés. 

Je suis retourné sur mes pas et j’ai revu les enfants qui jouaient. Dix ans, douze ans, peut-être. J’ai résisté à leur dire qu’on les verrait peut-être au grand écran, comme comédiens dans un film qui serait tourné à Uashat en 2018… à partir de l’adaptation d’un roman que venait tout juste d’écrire une jeune femme de la communauté. Je ne crois pas qu’ils m’auraient cru. Heureusement, l’invraisemblable est parfois possible — et c’est une histoire qui pourra inspirer leurs petites soeurs et leurs petits frères.

En repassant sur le boulevard des Montagnais, je me suis arrêté au Casse-croûte du vieux poste pour manger une poutine. Google avait tenu à m’informer que les frites valaient à elles seules le détour par Uashat.

Repu, j’ai ensuite opté pour faire une courte sieste, la tête appuyée sur mes bras, assis à la table à pique-nique.

Je trouve que c’était un bien bel endroit pour commencer un tour du monde à pied.

Le tour du monde?

Bon ben… je ne suis pas très fier de moi. Aussi bête que ça puisse paraître, je n’avais pas pensé copier-coller les textes dans Google pour être mis sur la piste de leurs sources. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer… simple distraction ou dérèglement spatio-temporel? Aurais-je oublié qu’on est en 2020? Quoi qu’il en soit, Benoît Melançon l’a fait, lui — et avec succès!

Ainsi donc:

Le premier texte est un extrait de De la marche, de Henry David Thoreau.

Le deuxième texte est un extrait de L’anomalie, d’Hervé Le Tellier — qui a gagné le plus récent prix Goncourt.

Le troisième texte est un extrait de la nouvelle Le décret, de Marcel Aymé, qui est dans le recueil Le passe-muraille (une de mes nouvelles préférée en plus! et que j’ai pourtant lu des dizaines de fois!).

Le quatrième texte est un extrait de Les États-Unis du vent, de Daniel Canty.

Et le cinquième texte, qu’il fallait déchiffrer, est la fin du Tour du monde en 80 jours, de Jules Verne (les voyelles étaient remplacées les unes par les autres, simplement…).

Tous des livres de voyages — dans l’espace ou dans le temps (ou les deux!).

Et je dois admettre que sont même des livres que j’ai pu retrouver assez facilement dans ma bibliothèque… ce qui ne rendra pas facile de contredire Benoît, qui me soupçonne d’avoir inventé cette histoire de paquet anonyme pour jouer avec mes lecteurs.

J’ai d’abord été un peu insulté d’une telle insinuation (surtout faite publiquement dans les commentaires de mon blogue!), mais quelques heures plus tard, beaucoup de philosophie, et un bon café, je l’accepte mieux.

Je réalise même qu’il a peut-être raison: c’est peut-être moi qui me suis envoyé ce paquet… Pas moi, moi, mais un autre moi.

Un moi du futur, par exemple (d’un proche futur) qui souhaiterait m’offrir un point de départ rassurant — pour m’aider à commencer une autre expérience d’écriture, comme celle de décembre, parce qu’il sait que sans ça, je n’oserai probablement pas me lancer. Ça, ça se pourrait!

Parce qu’il faut bien dire que la fiction, ça n’a pas tellement été ma tasse de thé sur ce blogue depuis vingt ans. Mais bon… la leçon de tout ça c’est peut-être qu’il va falloir que je commence à être prudent avec le futur! avec mon futur…

***

Alors donc, reprenons l’hypothèse: un deuxième moi m’aurait envoyé un paquet, de façon anonyme, probablement pour m’inviter à écrire, au gré du vent, une histoire de marche autour du monde, dans laquelle il serait possible de jouer avec le temps? L’idée est amusante!

Ce serait l’fun que ce soit ça en tout cas… J’en viens même à espérer que Benoît a raison!

Alors je croise les doigts pour qu’un point de départ arrive bientôt dans ma boîte de courriels.

Les textes

Ça m’a trotté dans la tête toute la journée hier… mais j’ai beau lire et relire les textes, je ne trouve pas. Je ne trouve ni leurs sources ni le lien qui les unit (s’il y en a un!). Je ne trouve pas non plus la signification du cinquième texte, qui reste indéchiffrable.

Je soupçonne que la personne qui m’a envoyé ça a apprécié mon Théâtre matinal et souhaite initier une nouvelle histoire… Alors ainsi soit-il. Je vais jouer le jeu!

En commençant par partager avec vous les cinq textes que j’ai trouvés dans le paquet — je pense qu’il va falloir s’y mettre en groupe!

Je pense même que c’est ce que le coquin espérait.

(merci à Google Lens, qui permet de faire de la reconnaissance de caractères à partir d’une photo!)

Texte 1:

« Mes alentours offrent force belles balades, et bien que j’aie marché presque chaque jour depuis tant d’années, et parfois plusieurs jours d’affilée, je ne les ai pas encore toutes épuisées. Une perspective absolument neuve est un grand bonheur, et je puis encore en dénicher n’importe quel jour. Deux ou trois heures de marche m’entraîneront dans une contrée étrange que je ne me serais pas attendu à voir. »

Texte 2:

« Supposons que l’espace puisse se replier comme une feuille de papier… mais selon une dimension qui ne nous est pas accessible, qui n’est aucune des trois que nous connaissons. Si notre univers est bien régi par la théorie des cordes, c’est un hyperespace en dix, onze ou vingt-six dimensions. Dans ce modèle, chaque particule élémentaire est une cordelette qui vibre différemment des autres, aux dimensions enroulées sur elles-mêmes. Vous me suivez?… »

Texte 3:

« Ce qui, au premier examen, parut le plus remarquable, ce fut l’extraordinaire facilité avec laquelle on avançait l’heure d’été d’une ou deux unités. A la réflexion, rien n’empêchait de l’avancer de douze unités ou de vingt-quatre, voire d’un multiple de vingt quatre. Peu à peu, l’idée se fit jour que les hommes pouvaient disposer du temps. Sur tous les continents et dans tous les pays, les chefs d’Etat et les ministres se mirent à consulter des traités de philosophie. Dans les conseils de gouvernements, on parlait beaucoup de temps relatif, de temps physiologique, de temps subjectif et même de temps compressible. Il devint évident que notion de temps, telle que nos ancêtres se l’étaient la transmise de millénaire en millénaire était une assez risible balançoire.»

Texte 4:

« Je pars à minuit, par souci symbolique. À mon retour chez moi, la révélation de l’aéroport de ma destination m’attendra dans ma boîte de courriels. Le taxi traverse la ville. Je devrais compter les réverbères. Ça m’aiderait peut-être à dormir. On promet de la neige pour demain. Pourquoi suis-je si nerveux? »

Texte 5:

« Eonso dunc Pholies Fugg eveot gegni sun pero. Ol eveot eccumplo in qyetri-vongts juyrs ci vuaegi eytuyr dy mundi! ol eveot impluai puyr ci feori tuys lis muains di trenspurt, peqyibuts, reolweas, vuotyris, aechts, betomints di cummirci, treonieyx, iliphent. L’ixcintroqyi gintlimen eveot dipluai dens citti effeori sis mirviolliysis qyelotis di seng-fruod it d’ixectotydi. Meos epris? Qy’eveot-ol gegni e ci diplecimint? Qy’eveot-ol reppurti di ci vuaegi? »

***

Les feuilles sont maintenant pliées dans la poche avant gauche de mon pantalon. Les amandes aussi. Chaque fois que je mets la main dessus, ça me fait penser de continuer à chercher… 

Je finirai bien par trouver.

Un paquet anonyme!

Il y a visiblement quelqu’un qui veut s’amuser avec moi…

Je viens de trouver un petit paquet adressé à Monsieur Clément Laberge dans la boîte aux lettres. Avec un collant Fragile sur chaque face. Pas d’adresse de retour. Aucun indice de qui me l’a envoyé. Je l’ai évidemment ouvert tout de suite.

J’ai trouvé à l’intérieur une autre petite boîte, qui contenait cinq petites feuilles roulées sur elles-mêmes, attachées par un ruban rouge (comme ceux avec lesquels on emballe les cadeaux de Noël).  Il y avait aussi un petit sac de velours bleu fermé avec un mince cordon doré. Et dans le petit sac: cinq amandes. 

Rien d’autre! Aucune explication.

Il y a du texte sur les feuilles. Ça semble être des extraits de livres. C’est en français, sauf un, qui est indéchiffrable. Ils ont été transcrits sans indication de la source. Dans une police de caractère banale, évidemment (Palatino, je pense). Pas d’indice là non plus. On veut me faire chercher…

J’ai quelques soupçons sur qui peut m’envoyer ça… mais je vais être bon joueur et essayer de résoudre l’énigme proposée avant d’essayer de deviner.

Une chose à la fois!