Google a annoncé mardi dernier qu’il était parvenu à un accord pour régler le litige qui l’opposait depuis 2005 à l’association des auteurs et à l’association des éditeurs américains relativement au programme Google Book Search.
Bien sûr, l’accord ne concerne en principe que les États-Unis, et doit encore être approuvé par les tribunaux, mais on peut d’ores et déjà affirmer sans trop de risque de se tromper que le 28 octobre 2008 restera comme une date importante dans l’histoire de Google (je dirais spontanément que c’est la quatrième : après la fondation et le lancement de adwords et de adsense), dans celle du Web, de façon générale, et à plus forte raison dans celle de l’édition et du commerce du livre.
Il faudra évidemment encore beaucoup de temps pour comprendre et évaluer l’étendue des retombées de cet accord complexe, mais une chose est certaine : les 134 pages qui le composent transformeront vraiment très profondément — et très rapidement — le commerce du livre (numérique, surtout, mais pas uniquement) non seulement aux États-Unis, mais aussi un peu partout dans le monde, y compris au Québec.
Dans ce contexte, quand je lis les communiqués émis par certains regroupements d’éditeurs américains et européens, qui laissent entendre que les éditeurs « ont gagné contre Google », que « Google accepte de payer 125 millions de dollars de compensation aux éditeurs » voire que cet accord « confirmerait la validité des règlements et politiques en vigueur sur le droit d’auteur »… je me dis qu’ils ne lisent certainement pas la même chose que moi — où qu’ils ne le font pas avec le même regard en tout cas! Parce que je pense qu’il faut être beaucoup plus nuancé.
Ainsi, au terme de trois lectures complètes de l’accord, et de celle plusieurs dizaines de textes publiés sur les blogues spécialisés, je sens le besoin de récapituler ce que j’en retiens… comme pour me faire une idée et intégrer tout cela dans le plan d’action qui m’anime depuis mon retour au Québec, qui motive la création d’un nouveau département au sein de De Marque, et qui doit conduire à la mise en place d’une infrastructure numérique collective, partagée par l’ensemble des éditeurs québécois qui le souhaiteront.
Comme il y aura vraiment beaucoup à écrire sur tout ça, ne serait-ce que pour me clarifier les idées, je vais regrouper dans les prochains jours l’ensemble de mes réflexions, notamment pour tenter de formuler simplement:
– Ce qu’est réellement Google Book Search
– En quoi consiste le litige auquel l’accord vise à mettre un terme?
– De quoi est constitué l’accord? Est-ce un bon accord? (Qui en sont les principaux gagnants/perdants?)
– Qu’est-ce que Google peut bien nous réserver pour la suite?
– Qu’est-ce que cela signifie pour le monde de l’édition québécois (et pour celui de l’éducation)?
– Quels défis cela pose-t-il à court et à moyen termes?
En terminant (pour aujourd’hui!) et sans vouloir présumer des conclusions de l’exercice — j’ai encore beaucoup à cogiter — disons que mon intuition à ce stade est à l’effet que les éditeurs américains ont choisi en signant cet accord de prendre tout de suite les revenus que Google leur proposait (et qu’ils n’auraient pas générés autrement parce qu’ils ne sont absolument pas prêts pour faire face aux défis du numérique; ce n’est donc pas un si mauvais accord!) mais qu’ils ont dû pour cela accepter que Google détermine dorénavant presque seul les règles du jeu dans le commerce du livre (jusqu’à pouvoir déterminer, et faire varier dans le temps, sur la base d’un algorithme secret, le prix de vente des livres — rien de moins!). À court terme, c’est peut-être un bon calcul pour les actionnaires des maisons d’édition, mais à moyen et à long terme cela pourrait s’avérer extrêmement contraignant et coûteux.
Quant aux pouvoirs publics, qui dans presque tous les pays occidentaux ont crû nécessaire d’accorder un statut particulier au livre (à la fois comme oeuvre et comme produit) ainsi qu’aux acteurs de ce secteur économique et culturel (éditeurs, bibliothèques et libraires, notamment), je pense qu’ils ont intérêt à lire et à analyser très rapidement les conséquences potentielles de cet accord sur les réglementations et les législations en vigueur… parce qu’à défaut de procéder de façon pressante à leur mise à jour afin de tenir compte du numérique, ce sont des accords de la nature de celui proposé par Google qui risque de de substituer, de facto à de larges pans de la Loi 51, au Québec, et à la Loi sur le prix unique, en France, par exemple.
Et si une chose est sûre… c’est que ce serait vraiment bête pour le Québec de s’être battu avec autant d’acharnement sur la scène internationale afin de défendre « l’exception culturelle » (et de réclamer avant autant de vigueur un siège à l’UNESCO) et de laisser par ailleurs tomber en désuétude les leviers réglementaires que nous avons mis tant d’années à mettre en place… simplement par manque de courage ou d’imagination — ou simplement par fascination devant la puissance et le succès de Google… qui sont tellement impressionnants qu’ils peuvent effectivement parfois donner l’envie de nous en remettre à lui plutôt que de devoir élaborer nous-mêmes les moyens de faire face aux défis du numérique.
En tout cas, pour ma part, cela me donne plutôt envie de me retrousser les manches…
Moi j’attend avec intérêt le jour où tu organiseras une conférence sur le sujet en y invitant Hal Varian, l’économiste en chef de Google. Ça serait une conférence fascinante!
http://www.longtail.com/the_long_tail/2008/09/hal-varian-14-f.html
Tu as raison de t’étonner de la fascination qu’exerce Google sur les gens. J’en connais qui perdent tout sens de la critique dès qu’il s’agit de Google. Adeptes du libre, ils font la promotion des services et logiciels Google comme si le salut allait venir de là.
Personnellement, je me méfie comme la peste de Google… trop d’argent et trop de pouvoir dans une seule « main » ne peut que mener à la « dictature ». Et elle sera d’autant plus efficace que Google dominera (ou domine déjà) l’information. C’est ce que toutes les dictatures essaient de contrôler en tout premier lieu.
Continues par tes réflexions à nous aider à y voir plus clair.
D’accord à 100%.
Intéressante réaction de Robert C. Darnton, le directeur de la bibliothèque d’Harvard :
« “As we understand it, the settlement contains too many potential limitations on access to and use of the books by members of the higher education community and by patrons of public libraries,” Darnton wrote.
“The settlement provides no assurance that the prices charged for access will be reasonable,” Darnton added, “especially since the subscription services will have no real competitors [and] the scope of access to the digitized books is in various ways both limited and uncertain.”
Voir le billet complet ici : http://www.thecrimson.com/printerfriendly.aspx?ref=524989
@Virginie. J’ai lu, c’est intéressant et ça montre bien tout le paradoxe de cet accord. Les éditeurs trouvent qu’ils ont réussi à « fermer le robinet » et à éviter la gratuité alors que Darnton, à Harvard, trouve que c’est trop peu et présume que ce sera trop cher.
On peut dénoncer, comme certains ne se privent pas de faire, que les réglementations sont superflues, que les lois 51, Lang, etc. sont dépassées (ce qui est en partie vrai) mais il faut par ailleurs reconnaître que ces documents étaient aussi le reflet de compromis et de consensus très larges entre l’ensemble des acteurs d’un domaine économique.
Quand on décide de faire « plus vite », en négociant en l’absence de certains acteurs clés (les bibliothèques et les libraires, en particulier, dans ce cas) on s’expose à des situations comme celles-là… situation qui, dans ce cas, ne doit pas effrayer Google outre mesure… parce qu’ils en ont vu bien d’autres dans le passé.
Michaël Carpentier m’a transmis par courriel un avis mitigé au sujet de mon billet d’hier soir. Plusieurs des éléments de son message m’amènent à réagir. Pour le bénéfice de la réflexion collective, je les reprends ici, avec son autorisation…
* * *
Michaël: « Je dois t’avouer avoir un malaise avec ton dernier billet, et je préfère te le dire par courriel que par le biais d’un commentaire (…) En quelques mots comme en mille, voici: je sens davantage de peur que de volonté d’innovation et d’ouverture dans ce billet. »
Moi:Tu m’étonnes. Il va falloir que je relise mon texte pour voir ce qui peut donner cette perception. Et je vais le préciser aussi en quelques mots comme en mille:
Je plaide pour l’innovation en édition. C’est urgent. Indispensable. Et cela doit mobiliser des ressources très importantes chez les éditeurs qui, trop souvent, c’est vrai, se sont placés dans une position de réaction au marché plutôt que d’anticipation et d’innovation.
Je ne plaide surtout pas pour le statu quo — bien plus grand danger que d’essayer, d’explorer, d’oser de nouveaux modèles économiques. Tu as raison de dire qu’il faut faire preuve d’ouverture.
Mais attention: ouverture ne veut pas dire accepter comme bonne toute nouvelle idée. Et c’est vrai que je me méfie des innovations qui sont essentiellement technologiques ou qui se font sans vraiment tenir compte (voire au détriment) de la dimension sociale et économique.
Pour être plus clair: je salue le génie de Google. Je ne renie pas le droit des éditeurs d’explorer ce que cela peut leur apporter (bien au contraire: je serais le premier à vouloir expérimenter!) mais je me méfie beaucoup des effets pervers de cet accord… de ce qu’il risque de faire négliger aux éditeurs, des concessions à long terme qu’il implique (ok si on les fait en toute connaissance de cause, mais je n’en suis pas certain), etc.
Encore plus clair: bravo, Google bouscule (encore) les éditeurs. C’est un nième réveil. Il faut bouger! Mais, surtout, éviter de se faire croire qu’avec ce cadre, on a réglé le problème (je caricature). Je dis simplement attention. Cet accord n’est pas équilibré: il renverse les rapports de forces et bouleverse en profondeur des équilibres délicats qui font que nous savons aujourd’hui faire naître des oeuvres et les mettre à disposition des lecteurs. Je ne dis pas que c’est mal, je dis juste qu’il ne faut pas croire que cet accord vient renforcer le modèle en vigueur du droit d’auteur et de la chaîne du livre (ce que tentent de faire croire certains éditeurs).
Michaël: « Et je dois aussi t’avouer que, puisque tu es le promoteur de l’initiative de De Marque, cela me laisse une profonde impression de campagne de peur par un concurrent menacé. Cela a un petit goût de conflit d’intérêts entre celui qui est connu comme un expert de l’édition numérique et celui qui essaie de créer une solution commerciale qui protège une industrie qui a mis 15 ans à comprendre ce qui se passait autour d’elle et tente maintenant de réagir non pas en innovant, mais en s’isolant. »
Moi:Je t’assure que rares sont les éditeurs qui misent actuellement sur l’isolement. Ce n’est franchement pas ce que je ressens. Bien sûr, plusieurs sont plus prudents/conservateurs que je ne le serais personnellement, mais cela fait partie du jeu. Je ne m’en inquiète pas: je crois que c’est l’équilibre entre les plus audacieux et les plus conservateurs qui fait qu’un secteur économique, à plus forte raison dans un un petit marché, qui fait que nous sommes collectivement plus forts.
Bien sûr, je dois assumer que des gens peuvent avoir la perception que j’adopte une position ou une autre en fonction des intérêts du projet dans lequel j’investis tellement d’énergie et de conviction. Mais que veux-tu, ce serait quand même con de me taire ou de ne pas exprimer mon opinion juste de peur de donner une impression de conflit d’intérêts. Je fais confiance aux gens pour faire la part des choses et se faire leur propre idée à partir, peut-être, des éléments que je peux porter à leur attention. Tu ne penses pas? Il me semble que je n’ai pas essayé de cacher la nature de mon engagement…
Et je t’inviterai éventuellement à une rencontre type que je fais avec les éditeurs pour que tu constates que mon discours n’est surtout pas celui de « protéger une industrie qui a mis 15 ans à comprendre », mais bien plutôt un message d’encouragement… d’encouragement à investir… à investir pour se donner les moyens pour être des acteurs dans ce nouveau continent numérique… parce qu’ils un un réel savoir-faire éditorial que les « nouveaux acteurs » n’ont pas et que ce serait économiquement et culturellement ridicule de voir disparaître ces compétences et ce savoir-faire. Il ne s’agit pas de défendre un modèle économique, mais de valoriser un savoir-faire et un patrimoine éditorial qui est au coeur de ce que nous sommes culturellement.
J’y reviens: la véritable innovation n’est pas celle qui se fait au détriment du présent, mais celle qui nous permet de passer du présent au futur. On peut imaginer des innovations technologiques qui prennent la forme de ruptures ou de révolutions, mais quand on tient également compte des dimensions sociale et économique, on ne peut envisager que des réformes et des évolutions progressives.
Michaël: « Je pense que tu simplifies énormément, voire que tu juges très durement et de manière lapidaire ceux qui vont de l’avant avec cet accord en résumant leur vision des choses par la fascination devant Google ou le manque de courage. »
Moi:Je pense que tu me fais dire quelque chose que je n’ai pas dit. Je ne juge pas ainsi tous ceux qui plongent avec Google (je le ferais probablement aussi si j’étais éditeur, ne serait-ce que pour comprendre) mais je dis que le faire avec cet état d’esprit serait une erreur. Aller avec Google en se retroussant les manches d’autre part est une bonne idée. Aller avec Google, prendre le fric et ne pas se préparer pour maintenir un rapport de force à peu près équilibré avec Google, c’est mieux — c’est même indispensable. C’est le sens de mon texte d’hier.
Michaël: « Comme s’il n’existait pas de troisième voie, qui va plutôt dans le sens de l’adhésion à un projet qui, même s’il vient d’une grande entreprise, a le mérite d’avoir de la portée, un certain succès initial et beaucoup de potentiel. Si tu voulais les dénigrer pour préparer la suite de ton argumentaire, tu pourrais difficilement mieux t’y prendre. »
Moi:Je le redis encore plus simplement: je ne dénigre pas Google, que j’admire profondément! Je suis un fan de Google. C’est probablement un des plus puissants laboratoires d’innovation qui soient. Je ne dénigre pas non plus ceux qui ont le goût de profiter de cette innovation. Et tu as raison de dire que ce serait idiot de simplement « avoir peur de Google » simplement de par sa taille… Mais il faut rester lucide et ne pas perdre de vue que si on met tous nos oeufs dans le même panier on peut se retrouver éventuellement avec de graves problèmes.
Je dis juste aux éditeurs: osez, mais soyez prudents… gardez les leviers économiques qui vous permettent de rester entrepreneur. Assurez-vous de pouvoir décider de ce que vous publiez, du modèle d’affaire sur lequel vous souhaitez vous appuyez, des droits que vous cédez et du rapport que vous désirez entretenir avec vous partenaires dans l’écosystème du livre. Google n’a pas cette préoccupation — demeurez vigilants. Rien de plus… mais c’est essentiel.
Michaël: « Je sais que tu as l’intention d’éclaircir ta pensée au cours des prochains jours, mais je crois que tu viens de te ranger, dans la perception laissée initialement, dans le camp du « Non ». Et cela ne pourra que teinter l’appréciation de ceux qui liront la suite. »
Moi:Je pense l’avoir précisé ci-haut: je ne me range pas dans le camp du non. Mais je serai certainement un très fervent défenseur du « ne pas tout céder à Google ».
Je crois dans l’innovation et je me réjouis si Google contribue à créer un contexte qui y est favorable.
Mais je ne crois pas aux simples forces du marché pour réguler les activités humaines, et encore moins dans le domaine culturel.
Et, oui, je crois que le domaine de l’édition exige qu’on le traite avec un soin particulier, vu la place qu’il occupe dans notre culture, l’importance qu’il a dans la défense de notre langue et dans l’épanouissement de notre identité nationale.
J’assume cela et je nie qu’il faille pour cela se ranger dans le camp des réactionnaires et des conservateurs. Je n’ai pas honte de plaider pour l’importance d’une intervention de l’État dans le domaine de la culture, et dans l’économie du livre, en particulier. Et pour être crédible, je pense que ce discours doit s’accompagner de gestes concrets pour mettre en place des contrepoids à la puissance (admirable) de Google.
Michaël: « Je sais que ton public cible (les acteurs du monde de l’édition) seront bien sûr en accord avec toi, cela allant dans le sens de leurs intérêts. »
Moi:Tu seras sans doute rassuré de savoir que ce n’est pas le cas de tous. Plusieurs éditeurs ne comprennent pas que je leur dise de foncer vers le numérique, tout en leur disant d’être prudent dans ce contexte.
Je pense que tu as une vision beaucoup trop uniforme du monde de l’édition. Je t’assure que c’est un écosystème beaucoup plus varié que cela, avec des gens dont les intérêts s’opposent, etc. Ceux qui tentent de bâtir des consensus parmi les éditeurs, quels que soient les sujets, peuvent en témoigner! ;-)
Michaël: « Je serais bien triste de savoir que le Québec est exclu d’une opportunité parce que les gens, très rapidement, ont eu peur d’être étiquetés comme des peureux ou des soumis devant « l’empire ». »
Moi: Permets-moi de te demander, à ce stade, ce que tu proposerais plutôt comme message à passer aux éditeurs québécois par rapport à cet accord et aux décisions qu’ils auront éventuellement à prendre à son sujet.
Michaël: « Je ne te dis pas que c’est la vérité, mais que c’est la perception que ça me laisse. Et puisque je te connais un peu, je ne pense pas que ce gant t’aille très bien. Imagine si je ne te connaissais pas… »
Moi:Très grand merci pour ton message. Il m’a beaucoup aidé à faire avancer ma réflexion. C’est pour ce genre d’échanges que j’apprécie le plus les blogues.
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Michaël a complété/réagi à mes réponses il y a quelques minutes, je la reprends ici aussi… en l’invitant à poursuivre les échanges ici, pour le bénéfice de tous…
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Michaël: Merci pour ta réponse. Le but de mon message était surtout de te partager ce que je crois qui pourrais être perçu, pas ce que je pense être la vérité, et de te communiquer ma crainte à ce sujet.
Je ne crois pas avoir une vision uniforme des éditeurs. Il y a un monde de différence entre certains éditeurs que nous connaissons et d’autres grands éditeurs, évidemment. Je crois aussi que les second ont beaucoup plus à craindre du changement que les premiers, et je dois t’avouer que j’en suis bien aise. Pour les prendre pour exemples, Septentrion est un bon représentant d’un « vrai » éditeur, qui apporte une valeur ajoutée au processus rédactionnel, et donc à la qualité du produit. Aucune solution technologique (ce que Google propose) ne peut faire cela. Ceux qui devraient trembler sont les imprimeurs déguisés en éditeurs. Pour eux, je n’ai ni pitié ni sympathie.
Malheureusement, puisqu’ils en ont les moyens, ce sont EUX qui prendront le contrôle du loby de « défense » des paûûûvres éditeurs menacés par le méchant Google, et comme l’industrie de la musique, la campagne qui en résultera risque davantage de provoquer un isolement et un recul qu’autre chose. À témoin, les difficultés des Québécois à adopter le nouveau modèle économique de l’industrie de la musique, parce que de mauvais sites de commerce électronique ont utilisé pendant longtemps leur accès aux médias pour entretenir une campagne de peur des « envahisseurs », évidemment au profit de son modèle d’affaires dépassé et de la piètre qualité de l’expérience offerte. Sous le couvert de la protection de la culture, on a protégé des pratiques commerciales médiocres. Plutôt paradoxal, ne trouves-tu pas?
[Tu dis par ailleurs:] Je pense que tu me fais dire quelque chose que je n’ai pas dit. Je ne juge pas ainsi tous ceux qui plongent avec Google (je le ferais probablement aussi si j’étais éditeur, ne serait-ce que pour comprendre) mais je dis que le faire avec cet état d’esprit serait une erreur. Aller avec Google en se retroussant les manches d’autre part est une bonne idée. Aller avec Google, prendre le fric et ne pas se préparer pour maintenir un rapport de force à peu près équilibré avec Google, c’est mieux — c’est même indispensable. C’est le sens de mon texte d’hier.
Je n’ai utilisé que les mots que tu utilisais toi-même. D’où mon souci sur la perception que ce texte peut donner. Je te cite: « …et de laisser par ailleurs tomber en désuétude les leviers réglementaires que nous avons mis tant d’années à mettre en place… simplement par manque de courage ou d’imagination — ou simplement par fascination devant la puissance et le succès de Google… » Perception, perception… Je SAIS ce que tu veux dire, parce que je SAIS aussi qui tu es. Autrement, je me sentirais sois lâche, sois sans imagination… ou en profond désaccord, et davantage polarisé. ;)
Je loue tes efforts envers cette industrie qui résiste encore et toujours au changement, pour le meilleur mais plus souvent pour le pire. Comme tu le dis toi-même: « Je plaide pour l’innovation en édition. C’est urgent. Indispensable. Et cela doit mobiliser des ressources très importantes chez les éditeurs qui, trop souvent, c’est vrai, se sont placé dans une position de réaction au marché plutôt que d’anticipation et d’innovation. » Et voilà où, pour moi, le bât blesse: depuis combien d’années les éditeurs résistent-ils de manière têtue et s’enfoncent-ils la tête dans le sable? Et surtout, qu’est-ce qui a changé fondamentalement dans leurs capacités et qui, tout-à-coup, doit nous laisser croire qu’ils seront favorables à a soucier davantage de l’évolution inévitable de leur industrie et non à utiliser la culture comme d’un bouclier visant à protéger leurs intérêts commerciaux?
Je crois, comme toi, que la culture n’est pas un produit comme les autres. Qu’elle doit mériter un traitement particulier de l’État. Ce que je constate cependant, c’est qu’elle est trop souvent utilisée à des fins commerciales par les efforts de lobby qui n’ont, eux, rien de bénévoles ou de vertueux. Et que les gens qui attendent depuis trop longtemps la possibilité de télécharger de la musique (ou un livre) légalement en ont assez d’entendre des arguments de plus en plus fallacieux défendre l’immobilisme et le refus de changer. À un certain point, le lien de confiance se brise entre les consommateurs de médias et les producteurs. Et à ce moment, le consommateur n’a plus de remords à supporter les plateformes qui leur donnent ce qu’ils souhaitent. Que ce soit légal ou pas.
Je pense donc que le lien de confiance sur lequel tu devrais travailler n’est pas seulement celui entre Google et les éditeurs, mais aussi celui entre les éditeurs et les consommateurs. Sinon, c’est une bataille vertueuse mais perdue d’avance. Quand les éditeurs nous donneront l’impression qu’ils font des efforts pour comprendre les besoins des consommateurs de culture, qu’ils les respectent et qu’ils ne cherchent pas seulement à protéger leurs profits pour un autre 5 ans, alors peut-être que les lecteurs leurs seront plus sympathique. Je pense aussi que la valorisation du rôle traditionnel de l’éditeur devrait être au coeur de cette réflexion.
En attendant, je supporte toute initiative que les force à se botter le derrière un énième fois, et qui a le bénéfice, cette fois, d’être réelle et tangible, et par conséquent de fixer un échéancier. À eux d’agir positivement. C’est ainsi que pour moi, le fardeau de la preuve devrait être de leur côté, et non de celui du côté de Google.
* * *
Je suis d’accord avec Michaël sur le fait qu’on doit aussi, prioritairement, travailler sur le lien de confiance entre les éditeurs et les lecteurs — il est à la base de tout. C’est la relation essentielle (bien que certains pourraient objecter que le lien essentiel est plutôt celui qui uni le l’auteur et le lecteur).
Mais plutôt que de réagir de façon plus exhaustive ici, je vais privilégier de faire écho à certains éléments soulevés par Michaël dans les textes qui suivront…
Je ne sais pas où vous avez pu lire que ‘les éditeurs’ se félicitent de l’accord — les signataires du protocole, l’AAP et la Guilde of Authors, oui, mais silence prudent chez les acteurs… Même silence hors des États-Unis d’Amérique, et il faut rappeler que ce protocole ne concerne que l’Union, n’a pas encore été validé en tant que ‘class action’ engageant au delà des plaignants, et surtout n’est pas transposable dans nombre de systèmes légaux, fondés sur le droit d’auteur.
D’évidence, les négociations ne font que commencer, — la réaction d’Harvard peut être considérée comme une première escarmouche.
L’ensemble des questions annoncées relève à mon avis trop du domaine de la spéculation pour autoriser une analyse :
– Ce qu’est réellement Google Book Search
– En quoi consiste le litige auquel l’accord vise à mettre un terme?
– De quoi est constitué l’accord? Est-ce un bon accord? (Qui en sont les principaux gagnants/perdants?)
– Qu’est-ce que Google peut bien nous réserver pour la suite?
– Qu’est-ce que cela signifie pour le monde de l’édition québécois (et pour celui de l’éducation)?
– Quels défis cela pose-t-il à court et à moyen termes?
Harvard et Robert Darnton énoncent une prise de position. Paul Courant une autre. Moins médiatique, mais plus facile à évaluer.
Excusez-moi de m’immiscer dans votre conversation, mais je ne comprend pas le sens de votre discussion même après avoir tout lu religieusement. Je fais régulièrement des recherches dans Google book et je ne vois pas en quoi cela menace les éditeurs. Je n’ai jamais accès à l’entièreté des livres, seulement à quelques pages. Si je veux lire le texte au complet, ou bien j’achète l’ouvrage, ou bien je vais à la bibliothèque. Il est où le problème?
@Alain: il y a bien sûr d’abord et avant tout les avis officiels formulés par les associations concernées — il y a aussi ce qu’on entend de façon plus informelle; la perception spontanée de l’accord que certains alimentent. J’aurais dû être plus précis, vous avez raison.
En ce qui concerne les questions, je ne prétends évidemment pas apporter des réponses définitives… Ce sont des questions formulées pour guider la suite de la réflexion; pour m’aider à réfléchir et pour faciliter la communication avec des gens qui ne passent pas autant que nous à lire sur le sujet.
Et il ne faudra surtout pas hésiter à prendre part à la réflexion, comme vous l’avez fait ce soir.
Je n’ai pas encore entrepris la rédaction des autres textes annoncés (ça viendra!) mais en attendant il faut lire celui-ci, sur affordance:
http://tinyurl.com/66k8kb