Je m’interroge depuis mon retour de la France sur la manière de me remettre à l’écriture; à une écriture plus régulière. Pour retrouver une plus grande aisance rédactionnelle, mais aussi pour la gymnastique intellectuelle que cela procure.
Si je m’interroge autant, c’est parce que j’ai envie d’écrire dans le cadre d’un projet. J’ai envie d’écrire « pour quelque chose ». J’ai envie d’écrire à dessein.
Je n’ai pas envie de commenter.
J’ai envie de proposer.
Je me sens plus que jamais lié par la conclusion d’un texte que j’ai écrit il y a quelques années dans lequel je disais que le devoir d’un intellectuel est moins de commenter l’évolution de la société que de proposer des façons de la faire évoluer. De formuler des utopies et des projets qui donnent envie de marcher ensemble dans une même direction; mais aussi de proposer des manières, concrètes, qui pourraient permettre d’y arriver.
J’y crois d’autant plus que le contexte me semble particulièrement propice à une réflexion sur le pouvoir de la proposition, en tant que telle.
Je sens naître chez plusieurs des gens que je côtoie le désir d’explorer de nouvelles façons de voir les choses. L’envie, aussi, de poser des gestes concrets qui correspondent à ce nouveau regard.
Paradoxalement, au moment où le système financier s’écroule, où notre environnement se dégrade à vitesse accélérée et où on s’enlise dans une succession de gouvernements faibles — faute d’un projet de société capable de rallier la majorité — je n’ai pas l’impression que les gens que je côtoie sont abattus. J’ai, au contraire, l’impression que le contexte leur donne le goût de (re)prendre les choses en main.
J’ai envie de croire que les crises que traversent certains des systèmes complexes qui sont au coeur de notre vie collective peuvent avoir comme effet bénéfique de stimuler et de revaloriser l’action individuelle.
Sur la base de cette hypothèse, j’ai le goût d’explorer de nouvelles façons d’inspirer, de soutenir et de coordonner les actions de ceux et celles qui auront envie de s’engager dans cette voie.
Il ne s’agit pas d’engager tout le monde dans un même projet. Il ne s’agit pas de créer un nouveau groupe de pression. Il s’agit de contribuer à faire naître un contexte qui permet de transformer des intentions, des voeux et des rêves, en gestes à poser par chacun d’entre nous. Pour agir. Pour cesser de réagir.
Pour aller dans ce sens, à ma façon, j’ai envie de m’imposer une discipline d’écriture. Une discipline de forme — parce que la contrainte peut parfois aider à contourner certains réflexes d’écriture et favoriser un regard différent sur les idées qui nous amènent à écrire.
Dans le cadre de ce projet d’écriture, j’ai donc envie de m’obliger :
– à m’exprimer de façon particulièrement constructive, notamment en faisant en sorte que chacun de mes textes soit l’occasion de formuler une proposition concrète;
– à toujours écrire de manière à susciter un dialogue, notamment en m’adressant chaque fois à une personne précise et identifiée;
– à évoquer dans chacun des textes les valeurs et les projets qui m’amènent à formuler de telles propositions;
– et, au moment de me mettre à écrire, à ne jamais présumer qu’une idée est trop commune ou trop évidente pour mériter d’être formulée.
J’ai envie de m’obliger aussi à répondre à tous ceux qui s’adresseront éventuellement à moi sur des bases semblables. Parce que je me permets de rêver que cet exercice d’écriture peut être contagieux et donner lieu à une vague de propositions sans précédent, dont certaines pourraient éventuellement m’être adressées. Je le souhaite.
Je me suis fait la main au cours des derniers jours avec des textes formulés à l’intention de Carl-Frédéric et de Michaël. Le moment est maintenant venu de m’y consacrer plus sérieusement; de recommencer à écrire, pour proposer.
Ce projet ne m’empêchera évidemment pas d’aborder certains sujets sous d’autres angles, comme dans le cas de l’accord entre Google et les auteurs et éditeurs américains — au sujet duquel je dois encore écrire dans les prochains jours — mais je souhaite qu’il ait pour effet d’inspirer et de guider mon écriture au cours des prochains mois. Rien de plus. Rien de moins.
Ça serait génial si on pouvait trouver des façons d’utiliser les nouvelles technologies pour faire avancer des projets allant dans le sens d’une plus grande solidarité les uns envers les autres et envers la nature que nous avons négligé au point de craindre pour l’avenir. Justement une crise comme celle dans laquelle nous entrons n’est-elle pas l’occasion de se demander si la croissance pour la croissance est vraiment une solution. Les entreprises devraient d’abord croître pour améliorer le sort de toute la société. Cela ne veut pas dire que les investisseurs n’ont pas droit de cité, mais que les rendements qui se font au détriment du mieux-être collectif sont de très mauvais rendement. Je suis bien content que des entrepreneurs relèvent les manches face à la crise, mais je voulais partager avec toi cette réflexion sur le but des entreprises et des profits à laquelle je sais que tu ne seras pas insensible.
PS.: il y a peut-être des ponts à établir avec les entreprises sociales pour les aider à prendre le virage de l’économie numérique. La Caisse d’économie solidaire me semble un bon point de départ.
vraiment compliqué, ton billet, parce que j’ai l’impression qu’il mêle des instances très diverses, en tout cas, la façon dont ça résonne pour moi
« se remettre à écrire » : j’ai d’énormes difficultés, ou difficultés grandissantes, à couper le réseau et me concentrer sur textes hors toile – or, même quand je suis dans rédaction article ou texte long, l’impression que la coupure amorcée il y a 10 ans c’est une fracture de la posture même de l’écriture – la lecture de flux m’est aussi vitale que la lecture livre, parce que la vieille fonction du livre, se représenter à distance, par une mise en réflexion du langage, est en partie reprise par l’activité de flux
alors c’est vrai, dans mon temps de travail, le temps d’intervention sur le Net prend une grosse place, mais je n’ai pourtant pas l’impression d’être à côté du travail principal : y compris quand il s’agit de passer une nuit sur du code css, séparer l’écriture de son support me semblerait encore plus préjudiciable
« la gymnastique intellectuelle » – pour moi, cette gym elle est même le coeur de la discipline, mais elle plus liée à la lecture qu’à l’écriture – par contre, j’ai besoin de lecture dense, de lecture risque – viel adage Flaubert : les classiques au moins 1/2h avant de s’endormir, je n’y ai jamais dérogé – mais qu’importe si Saint-Simon je le lis désormais sur la Sony – là aussi, la pratique numérique change le regard sur le texte : lire Rimbaud dans une piaule d’hôtel parce qu’on l’a sur l’ordi, c’est « aussi » lire, mais les résonances seront différentes – toute la journée je suis sur l’écran, donc des lectures fractionnées, grossies – mais probablement que Artaud ou Baudelaire ou Proust j’ai un rapport autre que l’ancien rapport au livre, sans savoir comment encore le formuler
« crises, explorer » – oui, dans écrire il y a un vertige – je sais qu’il y a des strates que je ne peux atteindre qu’en dehors du tracas quotidien, sur des périodes longues, et donc débarrassé aussi du flux (j’appelle flux tout ce qui transite par le réseau, les infos, les mails, la socialité aussi en partie) – mais dans ma petite part d’écriture quotidienne, même là dans un commentaire outre océan, c’est bien délibérément que je l’accepte lancée dans le flux général, plutôt que stockée dans un carnet ou un fichier secret – le réseau m’oblige à une autre forme narrative, mais quelque part, comme ma connaissance du monde passe aussi par ce petit rectangle devant moi, la faiblesse ou la fragilité de cette écriture liée au réseau a peut-être plus de chance littéraire que si je me contraignais à posture traditionnelle
« proposer » – suis plutôt réticent à côté positif de la chose – les grandes écritures sont si souvent de grandes dialectiques négatives, de Voyage au bout de la nuit à Au-dessous du volcan – là, ce qui me fait réagir à ton billet, j’étais à rédiger un truc pour un atelier d’écriture à partir des « Instructions pour… » de Julio Cortàzar (instructions pour remonter une montre, instructions, pour monter un escalier, instructions pour pleurer etc) – comment « agit » la littérature ? personne n’a jamais eu la réponse, heureusement
mais tu poses ce qui me semble du coup central : cet auteur collectif en train de naître, à la fois en deçà de la figure de l’écrivain née au XVIIe siècle (et pas avant), bien l’impression que cette « vague » dont tu parles existe déjà, et c’est précisément ce réseau des blogs, dans sa diversité, mais dans le fait même qu’il soit « déjà » écrit…
en tout cas ça peut être un beau départ : une liste de « propositions » et à quoi elles devraient servir…
proposition pour écrire 1 heure de nuit sans aller regarder son Netvibes
proposition pour qu’un texte soit tellement beau qu’on pourrait le décoller de l’écran comme une feuille de plastique et le coller directement au mur
proposition un site où écrire tous les rêves et venir y rêver en direct (je crois bien d’ailleurs qu’il existe un tel site, du moins il y a 2 ou 3 ans il existait…)
en amitié, tout ça, à voix haute et sans relire
Tiens, je saisis au vol le lien que fait François entre «proposer» et Julio Cortàzar pour citer ce même Cortàzar:
« Même les choses invisibles ont besoin de s’incarner, les idées tombent à terre comme des colombes mortes.»
Julio Cortazar, Cronopes et Fameux, Comment va, Lopez ?
C’est en plein comme ça que je ressens le besoin de Clément de «proposer». C’est pour permettre aux idées de s’incarner sous la forme de projets, d’actions, de dialogues et de collaborations.
Clément, tant que tu ne m’interpelles pas publiquement comme tu l’as fait pour CFD et Michael, tu as tout mon soutien ;-)
tout à fait pertinente, la citation du grand Julio!