Il y a dix ans commençait une aventure: pssst.qc.ca
pssst! — comme l’onomatopée qui sert à attirer l’attention.
C’était le 8 août 1999.
Nous étions bien sûr inspirés par Slashdot mais — surtout — par memepool.
Notre idée était ludique, pédagogique — et politique.
Le web québécois connaissait alors un essor incroyable, avec du nouveau tous les jours. Les petits projets devenaient grands, les grands devenaient très grands. Nous étions dans le coup. Le Québec était dans le coup. Nous y croyions vraiment. C’était follement stimulant. Nous étions convaincus d’être aux premières loges, de prendre part à des moments très importants.
Nous étions jeunes. Nous avions envie d’apprendre, celui de nous amuser aussi — surtout! L’envie de commenter et de critiquer — parfois juste pour le plaisir. Le goût de nous donner le droit d’être irrévérencieux. Il y avait tant à dire. Tant à faire. Tant à inventer.
Au départ nous étions quatre, avec quelques complices techniques — Carl-Frédéric, Daniel, Luis et moi, chacun à notre manière, et Jean-François. Et l’entourage, chez iXmédia, notamment. Et pour bien distinguer ce projet de nos autres projets, nous avions fait le choix, d’écrire sous pseudonymes. Sans faire de grands mystères. Les premiers lecteurs de pssst! savaient bien qui nous étions.
Puis, très rapidement, quelques personnes ont formulé le souhait de se joindre à nous pour écrire sur pssst. C’étaient le plus souvent des gens nous avaient déjà transmis des renseignements par courriel — attirant notre attention sur quelque chose ici ou là, dans un nouveau site, au sujet des relations entre tel entrepreneur et tel projet, sur des similitudes entre un projet québécois et un projet états-uniens, pointant les faiblesses des premiers sites de commerce électronique, etc. C’était aussi parfois aussi uniquement dans le but de rire un peu — parce qu’ils avaient du fun en maudit à l’époque, les pionniers de l’Internet québécois! Les fans se rappelleront notamment des aventures de Kenny et de la découverte — la révélation! — des caricatures de Monaerik.
Ces nouveaux contributeurs insistaient toutefois pour que nous gardions vraiment secrète leur véritable identitié. Les pseudonymes qui étaient pour nous essentiellement ludiques étaient pour eux une nécessité. Nous étions en train de passer du pseudonyme accessoire à l’anonymat — avec toutes les questions que cela peut soulever d’un point de vue éthique. Le contrat moral que nous avions avec tous les contributeurs était le même: Carl-Frédéric et moi nous devions connaître leur identité, mais nous ne la révélerions à personne. Après avoir été sévèrement critiqués pour ce choix, nous avons choisi de l’expliquer en publiant le manifeste #1 — que nous remettons en ligne ce matin à l’adresse www.pssst.qc.ca afin de souligner le dixième anniversaire du projet. C’est ce texte qui a en quelque sorte donné forme à pssst! — en devenant même le texte fondateur… quelques mois après le début.
En relisant ce texte aujourd’hui, je me dis qu’il n’a pas perdu de sa pertinence — bien au contraire. La situation qu’il visait à déplorer me semble toujours nuire au développement de l’économie numérique québécoise. Les principaux acteurs de ce secteur sont trop occupés par leurs projets — ou trop pris par diverses contraintes (et par leur confort) — pour être en mesure d’agir publiquement comme critiques. Et il y a trop peu de voix compétentes, hors de ces acteurs, pour décrire et commenter de façon vigoureuse les enjeux associés au développement de l’économie numérique. Mauvaise perception de ma part? Pure prétention? Généralité propre à toutes les industries? Tant mieux si c’est l’occasion d’en débattre…
Ou alors c’est simplement moi qui ai vieilli et qui me suis exclus des espaces plus subversifs du Web québécois sans trop le réaliser? L’existence de tels sites m’a peut-être simplement échappée? Et je suis sans doute aussi devenu, à mon tour, un petit rouage de cette industrie — un de ceux qui mériteraient parfois de se faire botter le cul par plus baveux que soi — et je l’accepterai volontiers… n’empêche… Dix ans plus tard, je suis plus que jamais convaincu que nous sommes loin d’être assez exigeants envers ceux et celles qui prétendent bâtir l’économie du Québec de demain.
Est-ce que pssst! n’était pas plus efficace pour hausser ce niveau d’exigence que Facebook, Twitter et les blogues tels qu’ils prennent formes aujourd’hui?
* * *
Quoi qu’il en soit, dix ans plus tard, j’ai envie de remercier Oxi, Novajo, Astung, Lomer, Groov3, Xanax, Combeferre, Afroginthevalley, AmiCalmant, Cornholio, Scribe, Allergic (ce sont les premiers contributeurs qui me reviennent à l’esprit) et les tous les autres… même ceux qui sont quelquefois devenus des emmerdeurs de première classe!
Il y aurait tant de souvenirs à rappeler, des véritables scoops aux mises en demeure formelles en passant par quelques innovations pour lesquelles pssst! a pu être un laboratoire et dont on ne remarque même plus la présence sur le Web aujourd’hui.
Tout cela a été vraiment une extraordinaire aventure. Je m’en souviens avec nostalgie bien peu commune chez moi.
C’est une aventure qui avait commencé le 8 août 1999 et qui a pris fin presque quatre ans plus tard avec la publication du manifeste #3 — dont la Wayback Machine a conservé une trace.
* * *
Et si quelque chose pouvait naître aujourd’hui dans le même esprit? Sous une autre forme…
Une idée ludique, pédagogique et politique.
Si seulement…
Il me semble qu’on en aurait bien besoin!
Et on a eu tellement de plaisir!
C’était il y a dix ans. Déjà.
—
P.S. Carl-Frédéric et moi avions convenu d’écrire chacun un texte à cette occasion, sans nous consulter, et sans nous le montrer avant publication. Ce qui fut fait. Son texte est ici.
Comme il m’a fallu du temps à comprendre!
Merci à vous tous, chers influenceurs.
Quelle belle aventure cela a été ! J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment pour assister et même participer modestement à cette expérience.
J’avoue avoir eu un peu de mal à comprendre le motif de la fermeture de ce site. Quelques contributeurs influents avaient un peu décroché, mais plusieurs participants souhaitaient encore s’investir. D’ailleurs, quelques volontaire se sont lancés dans la création d’un forum inspiré de PSSST pour essayer d’éviter l’extinction complète de ce réseau : http://www.psssst.qc.ca
« L’Internet québécois… L’économie numérique québécoise… »
pssssst! On parle de quoi ici exactement, Clément? Est-ce une réalité trop peu connue ou un rêve de souverainistes?
Le Québécois moyen n’a maintenant pratiquement pas d’autres choix valeur/prix que de magasiner chez Walmart, Canadian Tire, Sears, Zeller’s et cie; a-t-il vraiment d’autres options valeur/prix côté outil numérique que de s’abonner gratuitement à Twitter, Facebook, youTube, Google, WordPress, etc.?
À l’heure du village global devenu réalité, ne devrions-nous pas concentrer plutôt nos énergies créatrices sur le contenu, question de sauvegarder, de partager et d’enrichir notre culture?
10 ans plus tard, chacun peut désormais faire son psssst. Ou simili-blogue-qui-se-raproche-de…
Mais psssst aura eu le mérite d’exposer le talent de visionnaires de leurs créateurs.
Je sais… ça a l’air licheux comme comment. Mais j’assume.
Excuse-toi pas, des licheux, c’est pas ce qui manquait sur pssst. Mais à l’instar de ce que tu dis pour les blogs, le lichage est maintenant une pratique répandue à peu près à tous les niveaux de la société actuellement.
Après plus de dix ans d’usage banalisé, internet a-t-il changé nos vies? Que sont devenues les promesses d’être son propre éditeur, de vivre ses 15 minutes de célébrité, de chutes des frontières et d’infinie liberté intellectuelle? Je ne voit que réseaux sociaux superficiels, jeux rivalisant de violence et de sadisme, de vidéos d’adolescents emprient de schadenfreude où l’ont rit de camarades s’éclatant les dents sur un poteau après une chute de planche à roulette.