Les médias parlent abondamment de l’arrivée du iPad — et de la concurrence qu’il fera au Kindle, d’Amazon, notamment. C’est la dimension « grand public » de l’affaire.
Les spécialistes du secteur s’intéressent davantage à l’autre champ de bataille qui accompagne l’arrivée d’Apple dans le monde du livre numérique — celui qui oppose deux modèles économiques entre les éditeurs et les libraires.
Sans entrer dans les détails, disons qu’Amazon travaille sur la base d’un modèle « grossiste » (wholesale model) alors qu’Apple, à la demande des éditeurs, a accepté de travailler sur un modèle d’agence (agency model).
Résumons en disant que dans le premier cas, l’éditeur vend le livre au libraire, qui le revend à un prix qu’il est seul à déterminer, alors que dans le deuxième cas, l’éditeur concède au libraire le droit de vendre le livre à un prix donné, en retour d’une commission prédéterminée. Cela bouleverse très profondément les équilibres du marché.
Trois textes publiés aujourd’hui illustrent bien certains des enjeux associés à ces bouleversements:
- Agency Pricing; The Great Leveller?
- What’s so hard to understand about Random House’s strategy?
- Ingram Digital May Stop eBook Availability until Agency Model in Place
Le texte de Martyn Daniels (le premier des trois) évoque avec précision l’important défi auquel font face les petits éditeurs et les petits libraires dans le contexte qui est en train de prendre forme.
Dans le wholesale model, les petits éditeurs sont extrêmement vulnérables devant quelques acteurs surpuissants qui déterminent complètement les conditions du marché (qu’est-ce qui est mis en vente, à quel prix, à que moment, par quels canaux).
Dans l’agency model, ce sont les petits libraires qui risquent d’être laissés pour compte, faute de capacité technique pour jouer leur rôle d’agence (gérer les fichiers, les transactions, etc.).
Pour sortir de cette situation, il est nécessaire que les éditeurs et les libraires puissent tous deux s’appuyer sur des infrastructures techniques ouvertes — et, cela, quelles que soient leurs tailles. C’est particulièrement important dans de petits marchés comme celui du Québec.
Il faut que les éditeurs puissent rendre disponibles leurs livres sans en perdre la maîtrise, tout en assurant un accès équitable à ces oeuvres à tous les libraires qui désirent les vendre. Il faut aussi que les libraires puissent accéder à ces fichiers, et les mettre en vente, sans une trop grande charge en expertise technique.
C’est le défi auquel on s’attaque actuellement en mettant en place des infrastructures les plus collectives et les plus ouvertes possible — notamment à travers une plateforme développée en partenariat avec l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec (ANEL), et une autre pour un groupe d’éditeurs français regroupés sous Eden Livres. J’y faisais référence hier en d’autres termes.
Pas simple tous ces modèles économiques pour la revente des livres numériques.
Espérons que les choix qui seront fait n’auront pas pour effet de maintenir les prix à un niveau qui ne réflète pas les économies faites par les éditeurs.
Quelque part, cela doit rejoindre le consommateur. En ce qui me concerne, je me refuse à acheter la version numérique d’un livre au même prix (ou presque) que la version papier. Je n’ai jamais acheté ma musique à 0,99 $ le morceau. Dans ce cas, j’achète le CD. Heureusement, on trouve de la musique à moins que cela sur eMusic.