Depuis que j’ai présenté pretnumerique.ca au congrès des milieux documentaire, il y a une dizaine de jours — et en particulier depuis la publication de ce texte — on me parle beaucoup de la décision qu’aurait prise l’éditeur étatsunien Penguin de retirer ses livres numériques des bibliothèques américaines. Chacun interprète à sa façon cette décision, au point où c’est un exemple qui est en train de servir à un peu toute les sauces.
Voici ce que je pense qu’il faut savoir à ce sujet :
Les faits:
Le printemps dernier Amazon et Overdrive annoncent un partenariat pour faire en sorte que les utilisateurs de Kindle puissent emprunter les livres des bibliothèques américaines (qui utilisent Overdrive) en utilisant leur Kindle.
Amazon Partnering With OverDrive To Bring Kindle Library Lending To 11,000 Libraries Across The US
Overdrive y trouve son compte parce que cela simplifie beaucoup le processus d’emprunt de ses livres, et donc que cela devrait simplifier le processus du point de vue des bibliothèques (et donc diminue potentiellement le soutien aux usagers).
Amazon y trouve évidemment son compte, parce qu’une fois que les gens achètent un Kindle pour emprunter des livres dans leur bibliothèque… où achèteront-ils leurs livres? chez Amazon, évidemment!
Mais les bibliothécaires ne sont pas dupes et certaines s’expriment vertement contre ce partenariat. Voir notamment:
Le 20 avril… au moment de l’annonce, des questions:
Questions we should be asking about Kindle Library Lending
La même bibliothécaire, le 18 octobre, un cri du coeur:
Libraries Got Screwed by Amazon and Overdrive
Autour du 20 novembre, Penguin annonce qu’il retire ses livres d’Overdrive en restant assez imprécis sur les raisons qui le motivent à faire cela, se limitant à parler de « préoccupations sur d’éventuels problèmes de sécurités ». Il est clair pour les observateurs que a décision est liée au programme Kindle Library Lending en partenariat avec Overdrive.
Les problèmes de sécurités n’ont vraisemblablement rien à voir avec les DRM ou les verrous numériques (et certainement pas avec ceux d’Adobe, qui ne sont pas utilisés dans ce programme — les fichiers étant « prisonniers » de l’infrastructure d’Amazon.
La plupart des analystes estiment que les enjeux sécuritaires évoqués sont plutôt en relation avec les modalités d’emprunts des livres dans ce programme. En gros, le fonctionnement habituel d’Overdrive exige des usagers qu’ils se rendent sur le site Web des bibliothèques et s’identifient comme usagers avant de pouvoir emprunter un livre numérique. Or, dans le système mis en place avec Amazon, cela ne serait plus absolument nécessaire, et il deviendrait difficile (voire impossible) pour les bibliothèques — et indirectement par les éditeurs — de s’assurer que seuls les usagers de la bibliothèque ont accès à ces livres. Concrètement, Penguin aurait reproché à Overdrive de mettre les livres qu’il lui confiait jusqu’alors à la disposition d’Amazon en contravention avec les modalités définies dans le contrat qui liait Penguin et Overdrive.
Le 21 ou le 22 novembre Penguin annonce qu’elle remet ses livres disponibles aux bibliothèques après que Overdrive et Amazon aient accepté d’analyser les problèmes de sécurité évoqués et d’y remédier rapidement. Penguin dit qu’elle attendra que ces correctifs aient été apportés avant de rendre disponibles ses nouveaux livres.
Penguin Restores E-Book Access Amidst Amazon Negotiations
Penguin e-books are back at the library – for now
Analyse
Une des meilleures analyses de tout cela que j’ai pu lire est ici — et ce n’est pas qu’en faveur du discours des éditeurs, mais cela explique bien les tenants et les aboutissants:
Living in the Jungle: Amazon and Penguin
« Overdrive inadvertently alerted publishers that the potential market for ebook lending through libraries was significantly larger than it had been previously, and simultaneously they drove an increasing amount of traffic to publishing’s bête noire, Amazon. As Eric Hellman observed in his blog post, “When Overdrive was distributing content to libraries on their own platform, the publishers were able to view Overdrive, and libraries in general, as a counterweight to Amazon. But the extension of Overdrive lending to the Kindle flipped libraries into the Amazon column.” It also flipped Overdrive, seemingly, into another category. »
Je pense que quiconque veut citer le cas de Penguin en rapport avec les enjeux associés au prêt de livres numériques en bibliothèque devrait en faire une lecture attentive — notamment pour comprendre les enjeux qui sous-tendent la lutte entre Penguin, d’une part, et Amazon et Overdrive, d’autre part — enjeux qui dépassent largement le seul cas des bibliothèques.
Le texte suivant va dans le même sens, en restant un peu plus général:
Library Wars: Amazon and Publishers Vie for Control of E-Book Rentals
En complément, je suggère un dernier texte — qui va un peu plus loin, suggérant même aux bibliothèques de s’engager plus activement (et très concrètement) dans la redéfinition en cours du marché du livre (suggestion qui est presque sacrilège du point de vue de plusieurs, mais j’y je crois profondément — et je crois que le Québec devrait être audacieux dans ce domaine!).
It’s Not About Libraries, It’s About Amazon
Aucun système n’est parfait ni infaillible, mais je pense qu’on peut raisonnablement penser que Penguin serait plus confortable dans un système du type de celui que nous sommes en train de mettre en place pour le Québec — autour de pretnumerique.ca — que dans celui qu’Overdrive et Amazon tentent de lui imposer.
C’est ma conviction en tout cas.
Pour référence ultérieure, un texte important qui va encore plus loin dans la synthèse:
http://www.inaglobal.fr/edition/article/amazon-ouvre-encore-le-debat-sur-le-pret-de-livres-numeriques