Je ne l’avais jamais vu dans le lobby. Il était jeune, je pense. Il avait un lourd passé, j’en étais certain. Ses cheveux étaient en broussailles, ses vêtements étaient abimés, mais ils étaient propres. Il avait le regard vif. Les poches de son pantalon aux motifs militaires étaient chargées de documents pliés et d’enveloppes ouvertes à leur extrémité. Je l’ai suivi dans l’ascenseur.
Une douzaine de boutons pour autant d’étages. Il hésita. C’était la première fois qu’il venait dans cet immeuble.
— bureau 335, vous savez quel étage?
— c’est au troisième, lui ai-je répondu (évitant d’ajouter évidemment).
Où pouvait-il bien se rendre ainsi, si tôt le matin? Je l’ai suivi du regard.
Bureau de l’aide juridique, section criminelle
Évidemment (j’ai pas pu retenir celui-là).
La porte s’est refermée. Je ne le reverrais plus.
Criminelle.
Criminelle.
J’ai plongé la main dans ma poche. J’ai sorti mon iPhone. J’ai mis mon index sur l’icône de iBooks. J’ai sélectionné La roue et autres nouvelles, et j’ai fait une recherche.
criminelle
Voilà! C’était ça. Je le savais. Je l’avais lu quelques jours auparavant.
« …quand de nouveau à la porte on sonna. […]
C’était deux messieurs, mais deux autres, d’une autre police, criminelle celle-ci. Je n’y suis pour rien. Je ne me permettrais pas de qualifier de criminelle une police quelle qu’elle soit. Ce sont eux qui l’ont ainsi qualifiée. […]
Vous connaissez cet homme? demanda le plus grand en me collant sous le nez sa propre figure? Oui, dis-je, je l’ai encore vu ce matin. Où ça? demanda l’autre. Dans ma salle de bains, lui répondis-je. Ah bon? s’étonna le plus grand, et que faisait-il dans votre salle de bain? Alors moi: il se rasait. »
Fantastique!
De l’étrange type, bien réel, que j’avais suivi dans l’ascenseur jusqu’à cet homme, fictif, qui était recherché par la police criminelle, il n’y avait donc qu’un bouton d’ascenseur et mon iPhone, dans ma poche.
Comme quoi ça bouscule parfois les frontières de la fiction de lire en numérique.
C’est une histoire vraie. Pour l’essentiel.