Le Québec est une démocratie exemplaire. C’est Jean Charest qui l’a dit dans le journal samedi matin. Dans une publicité. Y’a rien de trop beau quand on paye pour s’assurer de pouvoir le dire.
Exemplaire. Le mot est audacieux. Provocateur même pour quelqu’un qui, comme moi, a mal à son Québec — et qui est loin d’en être fier aujourd’hui.
Il y a évidemment la loi spéciale, démesurément répressive, qui suscite ma colère et qui me fait honte, mais il y a plus, il y a pire : il y a ce que les quatorze dernières semaines ont révélé sur l’état de la société dans laquelle je vis.
J’ai depuis quelques jours la très désagréable impression que rien ne va plus. Comme si le Québec que je tenais pour acquis s’avérait une illusion. Je réalise à quel point des années de négligence d’un peu tout le monde et l’arrogance de quelques-uns ont fini par abîmer mon pays.
— Nous sommes devenus irritables; nous surréagissons à la moindre contrariété.
— Nous avons l’esprit critique endormi; nous nous contentons très souvent d’information aux allures de fast-food, sans questionner la véracité de ce qu’on nous présente comme la vérité;
— Nous avons perdu le tour de débattre; nous nous obstinons; nous heurtons des amitiés; ou nous préférons nous taire.
— Nous semblons avoir perdu confiance en nous; nous sommes en panne de grands projets collectifs.
Tout est comme si nous avions perdu l’envie de rêver d’un monde meilleur, d’inventer, de s’offrir en exemple au monde — sinon dans les publicités, et ça m’écoeure!
Heureusement, les étudiants qui ont manifesté.
Je pense qu’on avait perdu de vue que la démocratie ne doit jamais être tenue pour acquise et que les mécanismes sur lesquels elle repose doivent être continuellement mis à jour pour continuer à être efficaces. On a laissé la démocratie s’endormir.
On avait oublié que l’arrivée des nouveaux médias, et des réseaux sociaux nécessitait une mise à jour de nos façons de communiquer; on avait oublié que la multiplication des lobbies nécessitait une mise à jour en profondeur de nos lois; on avait oublié que le passage des générations exigeait d’adopter de nouvelles manières d’aborder les enjeux; et on avait oublié que la globalisation, de façon générale, nécessitait aussi une mise à jour de tous nos points de repère.
Tout le monde avait oublié. Les politiques, les forces de l’ordre, les médias et chacun de nous, comme citoyen. On s’était endormi, jusqu’à perdre contact avec les aspirations d’une grande partie de la jeunesse.
Heureusement, ils sont là qui manifestent.
On a trop longtemps fait comme si la démocratie ce n’était que des élections; comme si la justice ce n’était que des tribunaux, que la solidarité reposait essentiellement sur les programmes sociaux — et que l’éducation se limitait à ce qui se passe à l’école.
Le réveil est brutal.
Soudain, tout est devenu plus clair — grâce aux manifestants.
Le confort nous avait aveuglés. On a laissé pendant des années la corruption, le gaspillage de nos ressources naturelles et la détérioration de notre système démocratique gangrener notre société. On a oublié que la santé d’une société ne peut pas se limiter à quelques indicateurs purement économiques.
C’est maintenant évident: on ne peut plus être mous avec la corruption; on doit mieux gérer nos ressources naturelles; le financement des partis politiques doit devenir essentiellement public et le fonctionnement de l’Assemblée nationale doit être amélioré. Vite. C’est indispensable, parce que c’est tout ça qui nous coupe les jambes, qui nous empêche d’avancer, et qui nous empêche d’imaginer ce que nous voulons devenir.
Heureusement, il y a les jeunes, et les moins jeunes, qui manifestent encore, tous les soirs.
Ils me donnent confiance dans l’avenir, parce qu’ils sont là, plus créatifs et plus vigoureux que jamais.
Non, le Québec n’est plus la démocratie exemplaire qu’il a déjà été, mais on va se retrousser les manches pour qu’il le redevienne rapidement — et on va le faire avec les jeunes à part ça! Avec les jeunes et avec les artistes, parce que c’est la seule façon d’y arriver. La plus agréable aussi!
C’est ça qu’il est urgent d’affirmer. Haut et fort. Sur toutes les tribunes. Maintenant.
Et pour que toute ce réveil ne soit pas vain, il sera aussi essentiel d’aller voter, massivement, dès qu’on en aura l’occasion.
Bravo!!! Rien à rajouter à ton excellent texte….
Moi si ! :-) Oh, pas grand chose… Juste ajouter que je vois passer trop peu de billets vibrants et généreux comme celui-ci, ces jours-ci. Que je regrette que plusieurs de mes alliés naturels du Web ne voient pas aussi clairement que toi la lumière. Mais que j’espère que cela va venir, bientôt, à force d’évidence.
Quand je vois ces jeunes marcher dans la rue et crier « La loi spéciale, on s’en calisse », je me dis que tout n’est pas perdu. Qu’on peut peut-être encore compter sur l’être humain pour arrêter la destruction accélérée de la planète, de ses espèces animales, de ses ressources naturelles, de son climat, de l’économie et… de l’humanité. La lutte sera peut-être dure, longue, meurtrière, difficile, mais nous pouvons — nous devons y croire. Pour eux. pour nous. Parce qu’il le faut, car il n’y a pas d’autre alternative.
Merci de t’exprimer librement.
Ami Calmant,
—
C.A.
Désolé Clément, mais le « rêve d’un monde meilleur », ça fait 30 ans que le Québec se l’achète à crédit. La dette québécoise a franchi le quart de billions (ce n’est pas un anglicisme) de dollars. Il est temps de rembourser, et comme pour celui qui a rempli ses cartes de crédit, ça fera mal.
Et le Québec ne fait pas exception en occident, il a simplement pris un peu d’avance.
Cela ne signifie pas que la corruption n’a pas gangrené le Québec, et qu’un ménage des moeurs politiques n’est pas nécessaire. Mais je ne vois aucun parti, aucun chef politique au Québec capable de cette tâche. AUCUN.
Tous les partis ont choisi, à divers degrés, de corrompre les électeurs avec l’argent de Québécois qui ne sont pas encore nés.
Tu vois de l’espoir dans les manifestations qui virent en émeute. Pas moi. Je n’ai aucune sympathie pour la gauche, pour le socialisme, pour l’étatisme. Je n’y vois que des routes vers la servitude. En plus, j’exècre profondément le communisme. Un drapeau soviétique ou un portrait de Che Guevara m’exaspère autant qu’un svastika.
@Daniel: J’avais bien compris ça… tu ne fais que le redire avec plus d’emphase chaque fois que je développe une idée sur le sujet — sur Facebook, en particulier.
Tu as droit à ton opinion, que j’accueille ici sans problème — sans pour autant la partager. Du tout.
Et je réitère que, malheureusement, l’angle et le vocabulaire que tu choisi nous empêcheront de poursuivre un dialogue constructif sur ce sujet.
Intéressant comme le commentaire précédent illustre toutes les illusions perdues, tout le négativisme, tout le cynisme, que ce beau texte dénonce. L’un en appelle à un monde meilleur, l’autre n’y voit qu’une opposition gauche-droite. L’un essaie de lancer un dialogue, l’autre dit, ton dialogue, c’est de la foutaise. Bravo pour ton texte Clément, et ne te laisse pas décourager.
Oui, le réveil est brutal. C’est grâce aux étudiants, on leur doit une fière chandelle, c’est vrai.
Je réalise aussi que c’est grâce à la malhonnêteté de Charest également, qui s’est allumé une bombe dans la figure ou tiré une balle dans le pied. Ce sont les résidus de ce même sommeil qui fait qu’il est encore là à se penser crédible en père bienveillant et excédé.
Le réveil sera brutal pour lui et son entourage. Je fais plus que l’espérer, j’y compte.
merci de ce texte éclairé.
Merci de si bien dire ce que beaucoup d’entre nous pensent ou ressentent. Merci de le dire avec autant d’espoir, de confiance en la nature humaine, en nos jeunes, et même en leurs parents hélas toujours somnolents. Je me désole cependant de lire le cynisme de certains de vos lecteurs. :(
Je partage votre texte et j’espère en l’avenir.
C’est beau de penser de cette façon et de voir l’ensemble de ces jeunes dans votre optique.
Je ne suis dans cette belle province que depuis quelques mois, huit ou neuf tout au plus mais j’ai l’impression d’y avoir vécu une belle partie de ma vie déjà. J’avoue que le tapis qui cachait les sombres histoires s’est envolé assez rapidement après mon arrivée la corruption, la mafia… et maintenant cette saleté de loi qui semble vouloir (plutôt tenter) d’empêcher ces jeunes de se faire entendre. Je suis le mouvement depuis le début (du fait de ma session mise en suspends) et même si les mouvances violentes on finies par gangrener les manifestations, et que certains des syndicats ont refusé (de manière têtue parfois trop) de les condamner, ce mouvement reste beau. Bien sûr des milliers d’étudiants sont bloqués et doivent trouver une autre manière d’avancer dans un projet murement mûrement réfléchi, bien sûr les expat’ ont perdu de l’argent en étant bloqué à ne rien faire mais de voir cette masse de jeunes prendre place dans la vie citoyenne et politique reste le plus bel exemple de démocratie et d’amour de son pays, de sa région, de sa ville. Alors, continuez de faire crépiter les éclairs dans l’air pour que vienne prendre place la tempête! Mais restez sauf, par pitié.
Bien a vous.
On peut bien exécrer la gauche, ou bien la droite, leur attribuant tous les maux de la société, on aura sans doute raison dans les deux cas.
Qu’on soit de droite ou de gauche, pour ou contre les hausses, les étudiants ont quand même réalisé quelque-chose d’important : relancer un débat de société, s’intéresser à la chose publique et ne pas – justement – s’en remettre aveuglément à des institutions – publiques ou privées – qui ont fait la preuve de leur incapacité (pour ne pas dire autre chose).
La CLASSE et les assemblées générales étudiantes, me font découvrir un système de démocratie directe, une alternative à la démocratie représentative à laquelle nous sommes habitués.
Le gouvernement défend un ordre établi, un status quo institutionnel. Il est bien temps qu’on le bouscule un peu.
Je dois dire bravo Clément pour tes réflexions et ton courage d’écrire tes pensées, mais moi, comme tu dis, je préfère me taire. Même quand la moutarde me monte au nez, je me retiens d’écrire, je n’ai pas la force de « m’obstiner » et d’argumenter à pu finir.
Je vais quand même écrire ma toute petite réflexion : Je crois qu’une société peut être comparée à un vieux couple, madame gauche et monsieur droite (ou madame centre-droite, monsieur communiste, peu importe), et que le balancier de l’équilibre oscille entre les deux. Faut ben tirer sur la couverte de temps en temps pour rééquilibrer ça, hein? C’est une vision simpliste mais… Je vais laisser les grands esprits débattre, j’ai trop peu de temps à essayer d’avoir du plaisir et du bonheur dans ma petite vie. (Vais-je me faire mitrailler après avoir dit ça? Bon ça y est, j’ai le goût de tout effacer…)
Signé : une maman qui a 20 ans de couples en arrière de la cravate
:)
Merci Clément. Mon commentaire : il a été beaucoup question de gauche/droite dans les commentaires précédent. Je trouve que l’enjeu en est en fait un conflit de « classe » (sans faire de jeu de mots ;-) Pour moi, la polarisation du conflit entre droite/gauche n’est qu’une illusion. Aussi, de nommer et détailler ce qui a fait que nous nous sommes endormis est le grand révélateur du problème que nous traversons. Il faut commencer par ça. Et c’est un sujet sensible car il nous implique tous jusqu’au dernier degré. Les politiques ne sont que le reflet de la partie la plus sombre qui someille en chacun de nous. Sachons le reconnaître afin de ne pas retomber dans le panneau. Personne n’est innocent.
Anyway, c’est une époque fantastique que nous vivons en ce moment :-)
on a besoin d’un sérieux débat de société! Les pressions viennent de partout: santé, éducation, famille, transport, sécurité et j’en passe. La tarte demeure sensiblement la même. La VRAI question: voulons-nous payer davantage pour conserver ces acquis? Je suis pour l’accès universel et gratuit à l’éducation et à la santé, pour un amphithéâtre entièrement payé par le public, pour une équipe de la LNH et j’en passe. Nous vivons au-dessus de nos moyens! Nous hypothéquons l’avenir des générations qui nous suivent. Vivement les manifestations! Vivement un changement de gouvernement dépassé et inadéquat (à lire, chronique du 23 mai de Vincent Marissal, Cyberpresse), vivement une nouvelle génération de politiciens qui saura nous faire rêver et avancer, mais pas à n’importe quel prix!