Conte de Noël sans prétention

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Soleil levant. C’est la sonnerie qui le sortait du sommeil depuis longtemps, cinq jours par semaine. Étirer le bras. Glisser le doigt sur l’écran. Débrancher le fil. Ouvrir les yeux. Souffrir la luminosité, d’un oeil, puis de l’autre. Facebook. Like. Like. Twitter. Gmail. La routine matinale. Position horizontale.

Tous les matins: un bagel avec du fromage à la crème, une demi-banane et un verre de jus de pamplemousse. Aujourd’hui, par exception, Joe s’est servi dans une belle coupe de verre taillé. Il avait l’esprit à la fête.

Son repas négligemment déposé sur la table, il étire le bras pour saisir le iPad. Un rayon de soleil traverse la coupe et fait apparaître un petit arc-en-ciel sur le bagel.

Joe relève la tête, se lève, va chercher dans l’armoire du salon un napperon tissé par sa grand-mère, redispose son repas, balaie du revers de la main quelques graines de sésame, ouvre Instagram, choisit le filtre Mayfair: «Bon appétit tout le monde! #arcenciel #dernierejourneeavantlesvacances».

Les like et les commentaires des uns et des autres jouent le rôle de la ponctuation dans les journées de Joe. Ils lient les événements, créent le rythme, donnent un sens. Et quand ça s’essouffle, c’est qu’il faut mettre une bûche dans le poêle, publier, alimenter le réseau, susciter l’écho.

Depuis quelques jours les chats portant des bonnets de Père-Noël côtoyaient les suggestions de vins pas trop chers et les vidéos qui révèlent quelque chose de tellement incroyable qu’elles peuvent vous tordre le coeur. L’ambiance de Noël 2014. Avec Rdio en background — Joe FM Special XMas.

Une rumeur à travers ça: des hackers nord-coréens auraient piratés les serveurs de Sony et formulé des menaces suffisamment sérieuses pour que la multinationale annule la sortie de la comédie qui devait être le blockbuster des Fêtes. Le Président Obama s’en était mêlé — mais tout le monde s’en foutait pas mal. Les images truquées des collines de Los Angeles où le Hollywood était remplacé par North Korea et le selfie de Ellen DeGeneres aux Oscars avec Kim Jung Un au premier plan, étaient bien plus intéressants. Share. Like.

Heureusement, la vie suivait son cours. Le Sapin avait des boules. Les hackers nord-coréens n’avaient pas réussi à affecter notre style de vie. Grâce à Mike Zuckerberg, Noël était véritablement devenue la fête du partage.

Mais c’était sans compter sur trois hackers québécois, bien déterminés à réussir là où les troupes de Kim Jung Un avaient échoué. Convaincus que les médias pouvaient récupérer à leur avantage tous les gestes spectaculaires et que la culture occidentale se nourrissait de ces coups d’éclat, ils savaient qu’ils devaient être ingénieux et s’armer de subtilité.

C’est dans un sous-sol de Trois-Rivières qu’ils travaillaient sur leur coup depuis des mois. Ensemble, coupé des réseaux sociaux, parce que le silence est d’or. Ils mirent leur plan à exécution au moment prévu. Précisément 2014 minutes avant Noël.

Personne ne se rendit compte de rien. Jusqu’au lendemain, veille de Noël.

En ouvrant Facebook ce matin-là, Joe constata que la phrase «À quoi pensez-vous?» avait été remplacée par une autre phrase:

«Comment ferez-vous sourire quelqu’un aujourd’hui?»

Le monde avait changé.

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