Enjeux médiatiques

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Je poursuis ma lecture de textes d’Olivar Asselin — tirés de Pensée française, un livre publié en 1937, dont une version numérique peut d’ailleurs être trouvée sur le web:

Olivar Asselin | Pensée française | 1937
Version .doc | Version epub | version pdf

Je reprends ci-dessous des extraits d’un texte écrit en 1934 dans lequel l’auteur présente le projet éditorial du journal qu’il vient de fonder: l’Ordre. Encore une fois, du vocabulaire un peu vieillot, quelques idées anachroniques, mais surtout une similitude étonnante avec plusieurs des enjeux auxquels sont confrontés les médias encore aujourd’hui. Je vous laisse constater.

En guise de programme

L’Ordre écrira et interprétera le mot à la française. — Pour l’Ordre la renaissance nationale ne consistera pas uniquement, ou surtout, dans l’intensification de la natalité, mais dans le développement des plus hautes virtualités du peuple: intellectuelles, morales, même physiques.

Aussi libre que peut l’être en notre pays un journal rédigé par des hommes vivants en société. — L’Ordre estimera faire tout son devoir en restant indépendant des puissances d’argent, de l’esprit partisan, des combinaisons factieuses, des fanatismes irraisonnés (…)

Prendra les hommes comme ils sont, mais dans l’espérance de pouvoir les améliorer un peu. — (…) L’Ordre ne demandera donc pas aux hommes publics plus qu’ils ne savent donner. Tout au plus se permettra-t-il de décerner à la sottise, en toute circonstance, le bonnet d’âne.

Travaillera de son mieux à mettre un peu d’ordre dans les idées, en combattant certaines balivernes dont le monde est en train de périr: démocratie, suffrage universel, diplomatie de place publique, etc. — (…) Il ne manquera pas une occasion de démontrer par des faits que la démocratie est un mensonge, le suffrage universel une duperie, la diplomatie de place publique une calamité.

Évitera néanmoins de chercher le salut de la société dans d’autres formules aussi creuses, quoique plus nouvelles, sans tenir compte de l’expérience. — Traitera avec le plus grand respect les directives papales en matière politique et sociale, mais ne s’en laissera pas imposer par les gens qui voudraient les appliquer à tort et à travers, sans rien y comprendre et sans tenir compte des circonstances de temps et de lieu.

S’efforcera de toujours appeler un chat un chat. Osera, à l’occasion, appeler le fripon par son nom. — (…) Il niera hardiment à des déclassés, incapables de gagner honnêtement par eux-mêmes $1000 par année, le droit de gérer au nom des contribuables un budget de 40 à 50 millions, par exemple. (…)

Réunira, sous la direction d’un journaliste d’expérience, un groupe d’hommes jeunes, enthousiastes, relativement instruits, indépendants des partis politiques, traditionalistes de tempérament et d’éducation, mais dégagés des influences de coterie qui menacent de stériliser et d’avilir la vie intellectuelle du Canada français tout en prétendant l’élever. — (…) Le directeur de l’Ordre a choisi comme collaborateurs des jeunes gens (…) n’ayant jamais appartenu aux partis politiques, d’esprit foncièrement national, mais libérés des niaises admirations pour la routine, le conventionnel et le « gnan-gnan ».

Consacrera la moitié de son espace aux questions canadiennes; le reste à la reproduction d’articles de la presse française, belge, suisse, balkanique, exprimant d’autres points de vue, sur les choses du monde, que ceux de la presse anglo-saxonne. Se fera un devoir de dénoncer l’hypocrisie ou la stupidité de certaines dépêches anglaises ou américaines, de la canaillerie de la propagande allemande. — L’Ordre n’est pas à proprement parler un journal d’information et ne publiera ni dépêches ni faits-divers. Il visera cependant à faire connaître au public canadien, en les rétablissant ou même en les interprétant, les faits supprimés ou dénaturés par les propagandes anglaise, américaine et germanique, avec le concours « d’hommes d’état » ahuris et de journalistes bornés ou malhonnêtes. Dès le début il prouvera par des documents que l’espèce de propagande antisémitique qui se poursuit chez nous (car il peut y avoir des antisémites honnêtes, bien qu’ils soient rares) est l’oeuvre de canailles.

Devrait fournir chaque jour trois heures de lecture propre à intéresser le soir comme les matin, le lendemain comme le jour même.  — Si la formule de l’Ordre ne convient guère au lecteur qui désire savoir heure par heure tout ce qui se passe dans le monde, elle sera précieuse à quiconque se soucie moins de tout savoir que de penser droit. Trois heures après sa publication, le journal de pure information, en nos pays, n’a plus aucune actualité: la rédaction de l’Ordre sera encore d’actualité plusieurs jours après l’apparition du journal, ce qui permettra aux gens peu fortunés de s’y mettre à plusieurs pour s’abonner.

Dans le domaine des choses canadiennes, y compris le théâtre, le cinéma, les lettres en général, le sport (oui, le sport), fera une guerre loyale mais sans merci aux bourreurs de crâne. À cette fin, s’abstiendra d’accepter les entrées de faveur, quoi qu’il en coûte sur ce point à la caisse du journal et à la nature toute humaine de ses rédacteurs. Non qu’il veuille le faire à la vertu, mais parce que, du premier au dernier, ses rédacteurs voudraient pouvoir, dans l’éloge comme dans le blâme, parler librement. — L’espèce de cloison étanche qui règne aujourd’hui dans la plupart des journaux entre la Rédaction et l’Administration (mettons des majuscules, l’occasion en vaut la peine) n’existera pas à l’Ordre. La Direction accepte d’avance la responsabilité de tout ce qui paraîtra dans le journal et dont elle aura pu humainement prendre connaissance. (…) Dans le Canada français comme partout ailleurs, la critique littéraire, théâtrale, artistique, cinématographique, tend à devenir complaisante, parfois vénale. Le sport est plus que jamais un business méthodiquement organisé et truqué par des faiseurs. (…)

Publiera peu de réclame, et seulement pour des maisons ou des produits dignes de confiance. Tout en pratiquant à l’occasion, sans vaine parade, le nationalisme, voire le particularisme économique, ne permettra à personne d’exploiter le patriotisme, à plus forte raison l’antisémitisme dans ses colonnes pour vendre au public de la camelote, d’ailleurs fabriquée, la plupart du temps par des Juifs. La réclame, disséminée à travers la rédaction sous forme de texte courant, sera, croyons-nous, de lecture agréable. En moyenne, elle n’occupera pas le dixième du journal. (…)

Fera une place honorable au correspondant qui, sachant écrire, aura quelque chose à dire et le courage moral de signer. — L’anonymat, arme des lâches, n’aura sa place dans l’Ordre que si la Direction juge à propos de couvrir l’article ou le communiqué de sa responsabilité. Mais, bachelier ou non, universitaire ou non, homme de lettres ou non, l’on devra d’abord écrire en français.

Avec les modestes ressources matérielles à sa disposition, et empêché par la formule même de sa rédaction de compter sur la ferveur active de la foule, espère que tout Canadien-Français instruit, pouvant contribuer chaque jour à une véritable réforme de l’esprit public, le prix d’un verre de bière, lui apportera son concours. — Songez-y, le sacrifice quotidien d’un verre de bière (ou, si vous êtes une femme, de la moindre coquetterie) vous permettra de collaborer à une oeuvre de culture française et de réveil national. (…)

L’Ordre, 10 mars 1934.

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