J’ai passé deux séjours d’été au Camp Saint-François, à l’Île d’Orléans. Lors du premier (j’avais onze ans) les moniteurs avaient inventé une histoire pour nous faire peur. Il y avait, disaient-ils, des malfaiteurs dans la forêt de la Pointe d’Argentenay. C’est ce qui expliquait le bras fracturé d’un des responsables de groupe qui s’était apparemment aventuré un peu trop loin du camp après la tombée du jour.
Leur histoire a tellement fonctionné, la peur s’est tellement installée chez les campeurs, qu’il a finalement fallu qu’ils arrêtent tout ça quelques jours plus tard: certains enfants ne dormaient plus, complètement terrorisés. Ça a d’ailleurs été assez pour que ma soeur refuse de retourner au camp l’année suivante. Moi j’y suis retourné, mais je garde un souvenir intense de cette frousse et des lieux où je l’ai vécue.
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C’est dans ce souvenir de peur que Marie-Ève Sévigny m’a replongé, pour mon plus grand plaisir grâce à un roman qui a pour toile de fond l’Île d’Orléans, et en particulier… la Pointe d’Argentenay!
J’avais acheté Sans terre dès sa sortie, en octobre, mais d’une chose à l’autre… j’en ai reporté plusieurs fois la lecture. Je m’y suis finalement plongé le 25 décembre et je l’ai fini hier après-midi.
Quel excellent polar! Que c’est bien écrit! Les personnages sont attachants, l’intrigue est super bien ficelée… ça se passe au Québec, ça fait réfléchir, souvent et habilement, sans pour autant se prendre trop au sérieux. Vraiment, un gros coup de coeur. Un roman intelligent qu’on lit avec beaucoup de plaisir.
J’ai adoré parcourir l’Île d’Orléans avec le Chef, comme j’avais aimé parcourir les Cantons-de-l’Est avec Gamache, Venise avec le Brunetti ou la Suède avec Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander. Je croise donc les doigts pour que ce soit la première d’une longue série.
Je me dis que si la lente déliquescence politique du Québec peut servir de terreau à des histoires aussi passionnantes que Sans terre… ben, au moins, on n’aura pas tout perdu! Il nous restera toujours le plaisir de lire les polars de Marie-Ève Sévigny.
«J’avais beau hurler sur toutes les tribunes, personne ne me prenait au sérieux. Les médias ont besoin de faits divers pour fouiller les dossiers politiques, tu es bien placé pour le savoir.»
«[il] n’aurait jamais agi tant que cela aurait pu lui nuire. Il a attendu la retraite […] où il n’y a plus de prix à payer pour la liberté de parole […] Nous sommes rendus là […] il faut attendre la mort sociale pour défendre des principes.»
«Mettez Google entre les mains de Léonard de Vinci, et il vous règle le problème de la faim dans le monde. Ou se suicide.»
P.S. Ne manquez pas non plus les remerciements de l’auteure, à la dernière page du livre. Ils font pratiquement partie de l’histoire, je trouve. Ils s’offrent comme un élégant trait-d’union entre la fiction et la réalité.
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Et en complément: j’ai regardé hier soir, avec Ana, la minisérie islandaise Hraunið (Meurtre au pied du volcan / The Lava Field) — en version originale, sous-titrée en français ou en anglais. J’ai trouvé que ça complétait vraiment très bien ma lecture de la journée…