Le confort du narrateur

Dimanche matin.

Une heure de pelletage (encore!).

Mais surtout le plaisir de parcourir lentement les textes que j’avais mis de côté cette semaine et les suggestions des infolettres auxquelles je me suis abonné au cours des derniers mois.

***

Le texte de Francine Pelletier publié dans Le Devoir du 13 février m’a particulièrement fait réfléchir.

Je trouve que le texte illustre bien une posture que nous avons trop souvent devant les changements technologiques — et peut-être particulièrement au Québec.

Nous analysons trop souvent les événements comme si nous n’en étions pas partie prenante, en décrivant nos observations comme le ferait un narrateur extérieur à l’histoire racontée.

Cela nous permet de juger des actions de tout le monde, de prêter des intentions à chacun… tout en évitant de nous interroger sur notre propre rapport aux phénomènes qui sont au coeur des événements: sur notre rôle dans cette histoire.

C’est, bien sûr, le plus souvent un choix inconscient.

Je trouve donc qu’il y a de ça dans le texte de Francine Pelletier, quand elle décrit les médias (traditionnels) comme les victimes des médias sociaux.

Leur affaiblissement, dit-elle, serait le résultat d’un injuste rapport de force entre la rigueur intellectuelle et l’irresponsabilité des nouvelles plateformes «qui supplantent aujourd’hui tous les autres médias [et] leurs deux grandes forces: la vérité (…) et la capacité d’exiger des comptes des pouvoirs politiques économiques et autres».

Ça tourne les coins un peu ronds.

Et ça fait surtout abstraction de la responsabilité des médias dans la situation actuelle.

Il est pourtant indéniable que le temps que cela a pris aux entreprises de presse pour accepter de remettre en question leur modèle économique a largement contribué à la situation actuelle.

Leur candeur initiale devant les promesses de Facebook a aussi accéléré la chute et donné un sérieux un coup de main à Mark Zuckerberg.

Les grandes entreprises de presse ont d’une certaine façon été les complices, plus ou moins volontaires, de la situation actuelle.

***

Dans l’infolettre Mental Models Weekly, Julia Clavien décrit cette semaine les quatre stades de la compétence:

Premier stade: l’incompétence inconsciente

Deuxième stade: l’incompétence consciente

Troisième stade: la compétence consciente

Quatrième stade: la compétence inconsciente

C’est un modèle qui me semble beaucoup plus pratique et constructif pour analyser la situation des médias (traditionnels) par rapport aux médias sociaux.

De mon point de vue, les médias (traditionnels) seront restés plus de dix ans au premier stade.

Depuis deux ans, ils sont pour la plupart passé au deuxième stade — avec le grand inconfort qui l’accompagne.

Pour pouvoir passer au troisième stade, il leur faudra apprendre, pratiquer, expérimenter, faire des erreurs, apprendre de ces erreurs.

Je pense que c’est d’ailleurs un peu ce à quoi Clay Shirky fait référence quand il dit — dans le texte cité par Francine Pelletier:

«I think the first thing to recognize about the commercial structures of the newspaper industry is that it is not enough for newspapers to run at a profit to reverse the current threat and change. If next year they all started throwing off 30 percent free cash flow again, that would not yet reverse the change (…)

«…the likelier it is that the irreplaceability of newspapers suggests that the next step needs to be vast and varied experimentation….»

Il faudra, par exemple, apprendre à se passer de Facebook et mettre en place des stratégies pour retrouver un contact plus direct avec les lecteurs (ce que Le Devoir fait d’ailleurs très bien depuis quelques temps avec ses nouvelles infolettres).

Je suis beaucoup plus optimiste que Francine Pelletier: je pense que l’incertitude et ce sentiment d’incompétence durera encore cinq à dix ans. Certainement pas cent ans.

***

Dans ce cas il était question des médias d’information, mais il me semble évident qu’on tombe aussi trop souvent dans le même piège — en succombant au confort du narrateur — lorsqu’on évoque les enjeux autour de Netflix, Spotify, Amazon et les autres géants d’Internet.

Avant de tirer des conclusions sur ces enjeux, on devrait toujours commencer par se demander «j’y suis pour quoi, moi, dans cette situation? De quelle façon mon action (ou mon inaction) contribue-t-elle à la situation que j’analyse?».

Parce que tant qu’on n’a pas répondu à ces questions, on risque de passer à côté de l’essentiel — et de se tromper de cible au moment d’agir.

L’expérience démontre que c’est très rare qu’on n’y est vraiment pour rien. Rare que le problème n’est la faute que de l’autre — aussi gros et impérialiste puisse-t-il être. Rare qu’on puisse trouver une solution sans devoir adapter nos propres comportements.

C’est d’ailleurs ça qui est beau avec la révolution numérique — c’est qu’on peut facilement en être acteur… si on en a envie.

C’est moins confortable, mais tellement plus l’fun!

Laisser un commentaire

Entrer les renseignements ci-dessous ou cliquer sur une icône pour ouvrir une session :

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s