Apprendre à écrire en public

Dans un texte remarquable intitulé Weblogs: Learning in Public (format pdf), Jill Walker raconte son expérience d’utilisation des carnets Web (blogues) avec les étudiants de l’Université de Bergen, en Norvège.

Tenant elle même un carnet Web depuis plusieurs années, elle a été en mesure de rassembler des observations particulièrement intéressantes. De brillantes conclusions aussi. Surtout.

Je pense que le texte éclairera particulièrement ceux et celles qui s’interrogent sur la place des carnets Web dans les écoles. Il pourra aussi donner l’heure juste aux pédagogues inquiets des difficultés qu’il est possible de rencontrer lorsqu’on fait tomber les murs de l’école. Parce que pour Jill Walker, c’est bien de ce dont il s’agit quand on parle des carnets Web dans un contexte éducatif. Ce avec quoi je suis évidemment en parfait accord.

La question principale qui guide le texte est la suivante:

« Is it ethical not to provide students with opportunities to perform [write] in public? My eight year old has been learning to play the violin for just over a year, and has already played at five public concerts. Why should learning writing or thinking be different? »

Si vous n’avez pas le temps de lire le texte en entier (9 pages) je vous suggère au moins de survoler ce collage d’extraits du texte, présentés dans le désordre, en fonction de la lecture que j’en ai faite.

QUELQUES EXTRAITS (note: le gras est de moi)

« Studying is a complicated game. Some of the rules are explicit, others you figure out as you go, but everyone knows that it’s not real life. Nobody except your professor will read the papers you write. »

« Student work is usually only read by their teachers, making their education a system to be gamed. This may cause a lack of motivation, a lack of confidence in the worth of their own work and may be a root cause of the current rash of plagiarism among students. »

« What happens then if we make the game more real? »

« Weblogs provide a chance for students to experience writing in a public space where their work can have real value both for their classmates and for a wider community. »

« This prepares students for a networked world where communication is essential and often social and where writing can have consequences. »

« When you blog, you know that others will read what you have written. That means that you write with an awareness of the possibility that others may disagree with what you have written. »

« Students are used to a learning environment where nobody will see their work apart from the examiners. As my blogging students realised that their writing was actually being read by other students and even by people outside the university, their writing changed. »

« Instead of struggling to understand the details and rigors of traditional academic citation practices, or copying and pasting with blind abandon, or worse, buying their papers, these students were sharing freely and generously. They were creating content and learning the pleasures of a gift economy where writing a careful tutorial that is useful for others earns you goodwill, recognition and a good chance of others returning the favor. »

« We need students to learn traditional ways of writing, certainly, but we also need to help them discover new ways of writing, and especially of writing online. »

« These students have learnt a way of supporting their own learning. They’ve learned about a new tool for thought. Probably weblogs aren’t the ideal way of “flexing intellectual muscles” for everyone, just as playing football or aerobics classes don’t suit everybody’s needs. I think that it’s important to expose students to a broad variety of methods for thinking and learning so that they can adopt the methods that suit them the best.»

« We need to work out how we can teach writing in a distributed, collaborative environment, because this is the environment our students are going to live in.[…] It means learning how to write with an awareness that anyone may read it: your mother, a future employer or the person whose work you’re writing about. Yes, it’s difficult. The internet is not a game. »

« Performing in public means performing with real people, who have real feelings and real lives. Students’ writing means something outside of grades and credits. This can lead to exceptional learning opportunities and great empowerment, but it also requires caution. »

Je retiens aussi ce commentaires d’un étudiant de Jill Walker, dans laquelle se trouve une remarquable manière de décrire l’exercice de l’écriture carnetière:

« [Blogging has] been a great stimulus for me, working out new ideas in this public space – I’ve actually been about twice as productive as normal since I started maintaining the blog. The more I keep at it, the more it seems to me like a kind of intellectual version of going to the gym… »

Et, finalement, ce paragraphe qui résume aussi très bien ma propre expérience des carnets. Je le signerais mot pour mot (bon, d’accord, sauf le bout sur le PhD…):

« My use of blogs in the classroom was based on my own experience in blogging while I was researching a PhD […] I rapidly found that the daily writing was helping me become more confident about my research, and that I was developing a clearer voice of my own that carried through into my dissertation writing. As colleagues began to blog, I developed a research network at least as important to me in my everyday research as my local colleagues were. »

6 réflexions sur “Apprendre à écrire en public

  1. Texte très intéressant que j’ai réussi à parcourir au complet (j’avoue que c’est rare pour les textes anglophones). Je projette un truc semblable cet automne et le texte tombe à point. Un passage qui m’interpelle davantage est celui-ci :
    « To what degree should we protect student from the world? »

    C’est l’aspect qui me laisse le plus songeur face à l’implémentation scolaire. La responsabilité de l’enseignant face à ses élèves. Madame Walker enseigne à l’université, donc ses étudiants sont logiquement majeurs. Mais au primaire ou au secondaire, nos écoliers/ élèves ne le sont pas.

    La performance « public » implique-t-elle une autorisation parentale?

    Je sais que le collège Saint Joseph a impliqué ses écoliers à un tel projet, mais j’ignore quel fut l’investissement des parents face à cette facette publique.

  2. Est-ce que toutes les écoles (ou presque) ne sollicitent pas cette « autorisation parentale » en début d’année en même temps qu’elle fait approuver la possible publication de photos des enfants, etc.

    Évidemment, cette « performance publique » doit être encadrée de la même manière que tout le reste, notamment au regard de la responsabilité des écoles de protéger l’identité des enfants.

    Pensais-tu à autre chose que cela?

  3. Justement, jusqu’où va cette responsabilité de préservation de l’identité des élèves par exemple? Sur plusieurs carnets pédagogiques que j’ai parcourus, les élèves blogues sous leurs vrais noms…..

  4. Il y a deux volets au moins à ce problème de préservation d’identité : la protection contre les prédateurs virtuels (pédophiles, spammers, mauvais plaisantins, usurpateurs d’identité, etc.) et la prévention contre l’usage ultérieur que d’autres pourront faire de ce qu’on aura publié (afin que cela ne se retourne pas contre l’élève).

    Pour le premier, il relève de la responsabilité de l’école et des enseignants d’éduquer les élèves et les parents. Quant au deuxième, c’est un fichu dilemme qui me tarabuste encore.

  5. Comme directeur d’école, j’ai eu à réfléchir sérieusement à cette question avec les parents et les enseignants de l’école. Règle #1 que nous avons suivie scrupuleusement : ne jamais dévoiler plus de deux renseignements nominaux. Le nom de l’école, le prénom et le nom de famille, ça fait trois, donc les jeunes ont « blogué » avec « prénom + première lettre du nom de famille ».

    Comme règle #2, nous avons construit un code de déontologie (http://cyberportfolio.st-joseph.qc.ca/mario/archives/006574.html) qui cadre l’utilisation des TIC. Je sais qu’à Rochebelle (école de François), ils ont aussi suivi cette piste avec la nuance que les ados « négociaient » ce code individuellement alors que nous au primaire, le code était plutôt uniforme ! J’ai bien aimé la démarche de Rochebelle et je ne suis pas sûr que je referais pareil à l’Institut…

    Quant au dilemne que François soulève (« prévention contre l’usage ultérieur que d’autres pourront faire de ce qu’on aura publié »), je crois que le contexte d’un endroit comme l’école où les jeunes sont « en apprentissage » doit permettre aux jeunes de s’essayer sans que ce type de pression vienne inhiber leur créativité. Le temps nous en dira plus, mais pour l’instant, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit. Je m’explique…

    Plusieurs jeunes se sont créés une identité sur le Web par leur cyberportfolio et les Petits Carnetiers (http://www.ledevoir.com/blog/stjo/) ce qui les a rapidement responsabilisés; l’impact sur le groupe (sur l’école en entier oserais-je dire) s’est immédiatement fait sentir et entre eux, ils sont devenus très critiques. Chaque fois qu’un membre de la communauté osait publier un contenu susceptible de causer un préjudice (à l’auteur lui-même ou au groupe) de nombreuses discussions survenaient. Dans certains cas, les éducateurs balisaient en faisant rétropublier. Comme éducateur, j’aimais bien voir se réguler ainsi l’application de notre code de déontologie. Je crois que la publication Web commencée tôt apporte plus de bienfaits (beaucoup plus) qu’elle cause de torts en contexte scolaire encadré.

    Je crois que le gros de notre tâche est de créer des communautés soutenantes, d’instruire sur les types de licence qui gèrent les droits d’auteurs, de montrer et de faire vivre la puissance du Web et enfin, d’animer des démarches conduisant à la publication Web encadrée de façon suffisamment souple pour permettre la responsabilisation. La démarche conduisant à l’adoption d’un code de déontologie est presqu’aussi importante que le code (et son application) lui-même.

    À suivre…

  6. Excellente intervention, Mario. Tu me fais réaliser qu’il est important de ne pas faire une fixation, voire une obsession, sur les quelques risques que présente une éventuelle utilisation néfaste de ce qu’un élève aura écrit. Les avantages dépassent largement les inconvénients. De toute façon, la technologie évolue tellement rapidement qu’il est difficile de trop vaticiner sur le sujet.

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