Valeurs, légitimité et méthodes

Un passage de l’entrevue que Philippe Couillard a accordée à La Presse canadienne a attiré mon attention:

Il faut savoir «nommer des valeurs en politique, avant de nommer des éléments de programme», dit-il.

Je suis d’accord sur le principe et je me réjouis de le lire aussi clairement exprimé. Sauf que.

Sauf que je trouve qu’il se dégage par ailleurs de l’ensemble du texte une inconfortable impression de paternalisme qui m’apparaît en contradiction avec les valeurs que prêche le premier ministre. Comme ici, par exemple:

il [se] voit comme celui qui donnera aux jeunes, bientôt aux commandes, tous les «leviers» nécessaires pour composer avec ce monde changeant aux valeurs différentes de celles de la génération actuellement au pouvoir. (…) Le gouvernement devra donc agir en ayant toujours à l’esprit les attentes des jeunes.

«Agir en ayant à l’esprit les attentes des jeunes». Ça ressemble un peut trop à mon goût à «faire à la place des jeunes». Je trouverais préférable qu’on trouve des moyens d’impliquer davantage les jeunes dans les processus décisionnels, sans attendre.

Ça m’a aussi ramené à un autre constat important de mes réflexions des derniers mois: la légitimité du message politique sera de plus en plus tributaire de la nature de la démarche qui l’aura précédé.

Si on ne change pas les façons de faire de la politique, pour engager davantage les gens dans la définition des valeurs et des programmes qui animent les partis, on ne changera pas grand chose, au fond. Comme le rappelait François Chartier récemment, dans un tout autre contexte:

«La démarche génère le produit. Si on ne change pas la démarche, on va toujours produire la même chose.»

Et c’est là que la réflexion qui inspire le courant l’Initiative, auquel j’ai déjà consacré cet autre texte, me semble le plus inspirant. Pour reprendre les mots d’un de ses instigateurs:

À notre époque un parti politique ne devrait plus prétendre dire aux gens ce qui est bon et ce qui est mal pour eux. Un parti politique devrait plutôt être perçu un véhicule pour porter leurs besoins et leurs désirs.

Plus facile à dire qu’à faire, évidemment, mais une chose est certaine: avec tous les moyens de communication et de collaboration dont on dispose aujourd’hui, il ne manque pas de ressources pour le faire — c’est surtout la volonté de le faire qu’il nous manque encore.

Il va bien falloir commencer à y penser plus activement (et très concrètement!) en prévision de la prochaine fois ou nous aurons à (ré)inventer un parti politique.

Photo: une oeuvre de Geneviève De Celles.

De Messenger à Telegram

Je poursuis mes efforts pour sortir de l’environnement Facebook, auquel je n’ai plus confiance. Il me restait à trouver une alternative à la messagerie instantanée Messenger dont je n’arrivais pas à me sortir aisément. Après plusieurs essais, j’ai finalement trouvé hier. Ce sera Telegram.

Telegram est une application disponible pour iOS, Android, Mac OS, Windows, etc. Elle peut fonctionner en parallèle sur plusieurs appareils et son interface me plaît beaucoup. Elle permet évidemment des communications de groupes, et des communications sécurisées, cryptées de bout en bout, au besoin. Seul inconvénient, est nécessaire de posséder un téléphone cellulaire pour pouvoir créer un compte.

Je délaisserai donc progressivement Messenger dans les prochains jours, et pourrai probablement supprimer définitivement mon compte Facebook dans quelques semaines.

Le courriel et le SMS complèteront les moyens pour me rejoindre.

***

En complément, The Guardian a publié il y a quelques jours un texte très intéressant d’Evgeny Mozorov dans lequel il nous propose de profiter de la prise de conscience actuelle autour de la protection des renseignements personnels pour repenser la dimension politique de tout cela.

«Finally, we can use the recent data controversies to articulate a truly decentralised, emancipatory politics, whereby the institutions of the state (from the national to the municipal level) will be deployed to recognise, create, and foster the creation of social rights to data.»

Je vous en suggère la lecture.

Clin d’œil: c’est Ana qui l’a porté à mon attention après l’avoir vu relayé par Stéphane Roche sur Facebook!

Comment choisir un chef? (exercice de réflexion)

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Imaginons un instant qu’un parti politique doive se préparer pour une course à la chefferie.

Si on pense que les débats auxquels un tel exercice doit donner lieu méritent mieux qu’une série d’événements super scénarisés où des hommes et des femmes debout derrière un pupitre prennent tour à tour la parole en évitant surtout de ne pas commettre d’erreurs devant les caméras.

Si on croit que les habiletés essentielles pour être un bon leader aujourd’hui ne sont pas celles qui se manifestent dans ce type de mascarades.

Si on croit qu’en 2014, il est plus que temps de repenser radicalement la démarche par laquelle on souhaite identifier un nouveau chef.

Si, si, si… alors, on fait comment? On propose quoi comme démarche?

Faudrait bien y penser…

Une histoire à inventer

J’ai participé jeudi dernier au Camp de lecture numérique organisé pour la deuxième année par le Ministère de l’Éducation (quelques traces laissées sur Twitter ici). La rencontre de trois jours regroupait une soixantaine d’éducateurs d’un peu partout au Québec. J’y ai fait une courte présentation — avec l’aide de mes trois enfants… très agréable expérience! Voici la description que j’avais transmises à son sujet il y a quelques semaines:

Le livre à l’ère de la culture numérique: une histoire à inventer

Le monde du livre change à son tour sous l’influence du numérique. Il change vite, au point de nous donner parfois l’impression de changer à notre insu. Il n’en est pourtant rien! C’est même le moment où jamais pour prendre part à l’histoire du « livre numérique » — en participant à son invention. Littéralement.

À partir d’une présentation de nouveaux supports de lecture, de puissants outils d’édition en ligne et d’étonnantes communautés qui s’organisent aujourd’hui « autour des livres », cet atelier prendra la forme d’une invitation à s’engager, individuellement et collectivement, dans l’invention du nouveau monde du livre — parce que les enjeux culturels, éducatifs et économiques qui lui sont associés sont bien trop importants pour être laissés à d’autres…

Le message que j’avais choisi de laisser en conclusion est essentiellement le suivant:

  • Les technologies sont en train de changer profondément notre conception du livre;
  • Il existe un grand nombre d’outils qui permettent aujourd’hui de réaliser des livres, plus ou moins innovateurs — les éducateurs doivent les connaître, se les approprier, savoir y faire appel;
  • Mais il ne faut pas perdre de vue que quelle que soit la forme qu’on peut choisir de lui donner, un livre demeure une création très complexe et, de façon générale, c’est une erreur pour un éducateur de vouloir « se transformer en éditeur »;
  • Il est préférable d’utiliser tous les outils disponibles dans une perspective de prototypage, pour décrire, par l’exemple, concrètement, sous quelle forme nous souhaiterions que les éditeurs réalisent aujourd’hui les livres dont nous avons besoin dans un contexte pédagogique.

En d’autres termes, j’avais envie de dire que si les technologies sont une extraordinaire occasion d’empowerment (toujours la même difficulté à traduire ce terme) pour les éducateurs au regard de l’édition et du monde du livre… il faut arriver à distinguer ce qui relève de « l’acquisition de la capacité / de l’influence » et ce qui relèverait plutôt du « vouloir tout faire soi-même ».

Je faisais en quelque sorte la proposition d’un nouveau contrat entre éducateurs et éditeurs, s’appuyant sur les technologies — évoquant l’idée d’un laboratoire technologique commun — le web — permettant aux éditeurs de faire ensuite leur travail en tirant profit de toutes les compétences qu’ils savent mobiliser et aux éducateurs de faire leur travail auprès des jeunes (et des moins jeunes).

J’avais promis de rendre disponibles rapidement des liens vers l’ensemble des pages Web que j’ai très/trop rapidement présentées lors de mon intervention. Les voici donc regroupés dans mon compte del.icio.us (tous, exemples de livres électroniques, exemples outils d’édition, et quelques autres).

P.S. Dans un texte intitulé Announcing our new book deal, l’équipe de 37 Signals explique que malgré le très grand succès de leur premier livre, auto-édité il y a quelques années, ils ont choisi de travailler avec un vrai éditeur pour leur prochain ouvrage. Leur démarche est tout à fait dans l’esprit de ce que j’évoquais jeudi: utiliser tous les moyens dont on dispose pour montrer ce qu’on veut faire — faire un/des prototype/s — puis faire appel à de l’expertise spécialisée pour réaliser son projet à pleine échelle.

Appel à tous pour Québec Horizon Culture

Québec Horizon Culture réunira au Centre des congrès de Québec, le 16 février 2009, le milieu culturel, la classe politique et les gens d’affaires afin de mettre en œuvre une stratégie de développement culturel pour la ville de Québec au cours des cinq prochaines années. (source)

C’est un programme très ambitieux. Un événement nécessaire. Important. Non seulement pour la ville de Québec, mais pour tout le Québec.

J’ai eu envie de lancer un appel à tous… parce qu’il m’apparaît aujourd’hui indispensable de mettre le Web à contribution pour assurer le succès d’un tel événement.

Je rêve qu’on arrive à initier un crescendo de participation sur le Web d’ici le 16 février — sur les thèmes autour desquels l’événement s’articule — ou plus largement, au sujet de la vie culturelle à Québec — dans le but de recueillir et relier entre elles des idées formulées à ce sujet par des jeunes (dans les écoles?) et des moins jeunes, de tous horizons.

Pour le moment, voyez cela comme une bouteille à la mer…


Facebook, non merci!

En réponse à la question de Mario…

Disons-le d’entrée de jeu, Facebook est un environnement de mise en réseau d’une redoutable efficacité. C’est un des systèmes les plus impressionnants que j’ai vu sur le Web depuis plusieurs mois, voire des années. Je continue d’ailleurs à l’explorer, poussé à la fois par le besoin de comprendre son fonctionnement (fascinant!) et par une forme d’addiction caractéristique de tous les systèmes qui s’appuient sur le partage continu d’information entre « amis ».

Bien sûr que Facebook permet d’interagir avec les gens — de le faire mieux, ça je ne sais pas. Je n’en suis pas convaincu.

Bien sûr que Facebook regroupe des gens de qualité — permet-il d’échanger autrement avec eux, je ne sais pas. Je n’en suis pas convaincu.

Bien sûr que Facebook est un outil qui permet de soutenir le développement d’une communauté d’apprentissage — mais à quel prix?

Mais à quel prix?

Au prix d’accepter que les gens qui contrôlent le déploiement de mon réseau puissent commercialiser librement tous les renseignements qu’ils possèdent à mon sujet — ceux que j’ai accepté de leur confier volontairement comme ceux qui se révèleront de l’usage que je fais de leur système (et qui se multiplient de façon effarante à mesure que se développent des applications en vertu de la Facebook Platform for third-party developers).

Parce que la clé de voûte de tout le système Facebook est l’invraisemblable espace de confiance qu’ils ont réussi à créer et qui fait en sorte que les utilisateurs acceptent de divulguer librement — et sans aucune précaution— un très grand nombre de renseignements personnels, sur lesquels ils n’auront plus aucun contrôle par la suite (ni le lendemain, ni dans cinq ans ou dans dix ans). Pire, le système amène même insidieusement les utilisateurs à accepter que ces renseignement soient transmis à des tiers presque sans notre autorisation — et qu’elles soient mises à jour au fil du temps, pratiquement à leur insu. Je pense que c’est comme une moissonneuse de renseignements personnels qu’on peut le mieux décrire Facebook d’un point de vue économique.

Et c’est là que je sors de ma zone de confort. C’est là que je décroche. C’est là que je choisi de ne pas miser sur un système aussi dangereux — aussi puissant soit-il.

C’est là que je choisi de ne pas m’appuyer sur un système auquel je n’accepterais pas d’exposer un enfant ou un ado — parce que je pense qu’il n’est pas possible, à ces âges d’évaluer les conséquences des traces qu’on laisse dans pareil système.

Évidemment, je mesure bien la limite de mon argument, parce que les jeunes n’attendent pas qu’on les invite pour investir ces lieux enchanteurs, et je ne veux pas abdiquer mes responsabilités d’éducateur. À l’évidence, ils faut apprendre aux enfants et aux ados à maîtriser leur identité numérique! — mais je ne pense pas que Facebook soit un bon endroit pour le faire — trop rapide, trop opaque, trop mystificateur et, surtout, trop peu maîtrisable par l’utilisateur.

L’attrait de pareils systèmes ne doit pas nous faire oublier que ce n’est pas par hasard si un grand nombre de pays ont mis en place des lois pour encadrer le droit de chacun de contrôler, un tant soit peu, l’information qui circule à son sujet.

Il y a des dangers bien réels associés au développement des bases de données de renseignements personnels. Nous pourrions en parler longuement — et sans doute cela sera-t-il utile de le faire prochainement — mais pour le moment, la non prise en compte de ces dangers dans l’environnement Facebook me semble suffisante pour en décourager l’utilisation de façon assez générale.

…sinon pour favoriser sa compréhension dans une perspective éducative, ce qui m’autorise à continuer à l’utiliser avec modération — heureusement, aie-je envie d’ajouter avec humour!

Plus sérieusement, je pense qu’il ne faut pas détourner notre attention, c’est encore dans les blogues, les fils RSS et les wikis (sous leurs diverses formes) que se trouvent les outils dont nous avons besoins pour inventer de nouveaux contextes éducatifs mieux adaptés au XXIe siècle. Il faut continuer de miser sur des outils qui accordent un beaucoup plus grand contrôle aux utilisateurs. Cela me semble absolument indispensable dans un contexte où l’éducation doit plus que jamais s’appuyer sur la créativité, la solidarité et la pratique de la liberté.

Dans ce contexte, Facebook… non merci!

Réseaux sociaux et identité — sentiment d’urgence

Bien que je sois particulieusement silencieux ici depuis quelques temps, je reste évidemment très actif sur le Web et plus que jamais en mode exploration, découverte et réflexion sur de nouveaux usages du Web.

J’explore notamment Facebook, avec autant d’émerveillement que d’angoisse — il faut bien le dire! Et même un peu plus d’angoisse que d’émerveillement, pour tout dire.

En conséquence, je ne peux m’empêcher de relayer ici ce texte de Virginie Clayssen, qui s’appuie sur le travail toujours exceptionnel de Danah Boyd (et sur un résumé remarquable de Olivier Ertzscheid), qui résume bien tout le défi que représente « les réseaux sociaux » dans une perspective éducative.

Il m’apparaît de plus en plus évident que ce dossier de « la gestion de l’identité » sera LE chantier des prochaines années.

Sommes-nous prêt à y faire face? De toutes évidences, non…

Wiki et service clientèle

Je suis abonné à Neuf Telecom pour mon accès à Internet, au téléphone et à la télévision — un marché où la lutte est très féroce en France, en particulier dans les grandes villes. Les entreprises qui offrent ce genre de services le font à grands renforts de publicités, d’innovations technologiques, de promotions, etc. La clientèle est très variée, avec des clients « ordinaires » et des « geek » qui veulent tout savoir de leur modem, de sa programmation, etc. C’est fascinant.

C’est fascinant, par exemple, de savoir qu’une société a été créée, indépendamment de Neuf Telecom, pour servir les intérêts de ses abonnés actuels ou futurs — il s’agit de JustNeuf, dont les forums comptent aujourd’hui 20 000 membres, et qui se paie vraisemblablement par la publicité — notamment celle… de Neuf Telecom, qui trouve largement son compte dans toute l’opération! À quand un service semblable pour les abonnés de Videotron, par exemple?

Cela dit mon émerveillement aujourd’hui vient plutôt de la découverte du wiki que JustNeuf a mis en place pour réunir toute l’information de nature pratique sur les équipements et services de Neuf Telecom. L’usage d’un wiki dans ce contexte est évidemment très bien, mais c’est le niveau de maîtrise de l’outil qui me surprend agréablement.

À observer: le choix de MediaWiki, la licence CreativeCommons pour le contenu, l’équilibre entre les pages vérouillées et les « nouvelles pages » soumises par les visiteurs, l’usage des espaces « discussion » de chaque page pour permettre la suggestion de modification, la qualité des explications sur chaque type de page et des invitations à collaborer à la documentation de différents sujets, etc.

Un exemple dans son genre à mon avis. Vous connaissez d’autres usages des wiki de ce type pour des produits « grands publics » — de consommation générale?

Première génération de post-blogueurs

Même si je n’écris toujours pas autant que je le souhaiterais, je continue d’être un lecteur assidu d’un grand nombre de blogues. C’est une partie essentielle de ma gymnastique intellectuelle quotidienne.

Plusieurs textes m’interpellent depuis quelques temps, il y a quelque chose qui se passe, entre les lignes, comme si une page était sur le point de se tourner.

Nous avons assisté il y a un peu plus d’un an à une explosion de nouveaux blogueurs, et constaté l’effet de mode qui l’a porté. Pour être hot, il fallait avoir son blogue. Sentant le tapis leur glisser sous les pieds, les médias ont fortement incité leurs journalistes vedettes à se mettre au blogue. Certains l’ont fait avec un indéniable succès alors que pour d’autres l’expérience a été plus mitigée. Des formes de publications variées, plus ou moins directement inspirée du blogues ont, par ailleurs, progressivement fait leur apparition dans les principaux sites de médias — qui se sont majoritairement ouverts davantage aux commentaires des lecteurs. C’est d’ailleurs à mon avis la principale retombée positive de cette déferlante.

Richard Martineau publie cette semaine un texte — Ras le bol! — qui pourrait marquer une étape important dans l’exploration du blogue comme « complément » à des formes plus traditionnelles de médias de masse (presse, télévisuelle, etc.). Il en a marre le blogueur: trop de commentaires impertinents, pas assez d’auto-contrôle des lecteurs-commentateurs, etc. Le problème c’est que c’est aussi ça le blogue!

Il me semble que Martineau ne fait pas une bonne analyse de la situation. Sans compter qu’il s’exprime avec rancoeur, sur un ton qui appelle la réplique: il souffle sur les braises pour éteindre le feu. Je pense que son analyse révèle qu’il n’a pas encore tout à fait compris ce qu’est un blogue. Un blogue ce n’est pas un espace pour déposer des textes auxquels les gens pourrons sagement associer des commentaires. C’est un incubateur de dialogues. Des dialogues qui pourront être plus ou moins vifs selon la portée polémique des sujets qu’on choisi d’aborder. Et de la même façon qu’on est toujours responsable de ce qu’on écrit, sur un blogue on est aussi responsable des dialogues qui peuvent prendre forme à la suite de nos textes. Rien de nouveau sous le soleil: si je me lève dans un café pour déclamer mon opinion sur un sujet chaud… il faut que je m’attende à me faire répondre, par des gens de tous les genres, et je ne pourrai pas simplement déplorer par la suite que ceux-ci ne m’adressent pas la parole avec autant de respect que je l’aurais souhaité. Je ne pourrai pas non plus simplement dénoncer le fait que des gens poursuivent la discussion sans moi, même à ma table, même si j’estime personnellement que tout a été dit.

Mario décrit très bien le fond de ma pensé sur le sujet: pour assurer la santé et la vitalité d’un blogue, il faut obligatoirement s’impliquer dans les commentaires, prendre part aux dialogues suscités par nos textes. En tout premier lieu lorsqu’ils prennent forme sur le blogue lui-même, mais également lorsqu’ils s’évadent vers d’autres espaces, d’autres blogues, d’autres types de publications. Ce n’est évidemment pas facile, c’est très exigeant intellectuellement (et parfois émotivement) et cela demande quelquesfois beaucoup de temps. Sans compter qu’on ne choisi pas toujours le moment où surviennent les pires dérapages. Mais si on n’est pas prêt à jouer le jeu, vaut mieux abandonner le blogue et revenir à une forme plus classique: je publie, vous m’écrivez, je décide de ce que je fais de votre point de vue. Pourquoi pas? C’est une méthode qui a fait ses preuves à bien des égards et qui n’est pas moins noble.

Sauf que ce n’est pas « à cause des autres » que Martineau cessera éventuellement de publier son blogue. Ce sera parce qu’il n’aura pas envie, pas le temps, ou pas les moyens de s’engager dans ce type de publication. Il faudra bien qu’il le reconnaisse. Ce sera son choix. Martineau aura le mérite d’avoir tenté l’expérience, d’être allé au bout de ce qu’il pouvait faire dans cette piste avant de l’abandonner… en toute connaissance de cause. C’est tout à son honneur.

Tout cela pour dire que je pense que nous sommes à l’aube d’une nouvelle étape dans l’exploration du potentiel des blogues et des contraintes qui l’accompagnent.

Je pense que si nous avons souvent catégorisés les gens entre « blogueurs » et « non-blogueurs » au cours des derniers mois, nous verrons bientôt se développer une catégorie de « post-blogueurs ».

Ce groupe sera formé de gens qui auront expérimenté le blogue avec sincérité et qui, pour une raison ou pour une autre, auront conclu qu’ils ne souhaitaient pas poursuivre l’expérience. Même s’ils n’auront peut-être plus directement pignon sur Web, ces gens connaîtront tout de même l’interaction qui peut naître autour des blogues et lerenouveau que cela peut présenter pour la démocratie et pour l’éducation, en particulier.

À l’avance, je désire remercier tous les gens qui rejoindront ce groupe parce que même s’ils auront abandonné une forme de publication que j’adore — et dans laquelle je crois beaucoup — je sais qu’ils se seront laissés transformer par l’expérience et qu’ils n’hésiteront pas à partager ce qu’ils auront appris avec leur entourage. On entre forcément dans le groupe des « post-blogueurs » plus ouvert d’esprit que lorsqu’on a fait son entrée chez les « blogueurs ».

Et avec un peu de chance on cessera peut-être bientôt d’analyser la blogosphère en termes essentiellement quantitatifs. Parce qu’à tout prendre, il vaut sans doute mieux constater la croissance du nombre de « post-blogueurs » que de voir sans cesse apparaître des gens qui n’utilisent les blogues que pour nous manipuler, sans véritable intention d’entreprendre un dialogue.

Merci Martineau. Merci Mario. Vos réflexions font progresser la mienne.

Note: Martine Pagé aborde un sujet semblable ici.

Le bureau, Creative Commons… et Microsoft!

Cela fait bien longtemps que je n’ai pas fait un billet sur de simples observations… mais aujourd’hui, deux choses m’ont particulièrement renversées:

Ceci, comme quoi une idée simple peut encore révolutionner quelque chose qu’on croyait pourtant « stabilisé », en l’occurence, la métaphore du bureau informatique. Wow!

Et cela… parce qu’au delà des grands discours, ça illustre bien que la manière d’envisager le « droit d’auteur » est véritablement en train de changer. Un move aussi simple que brillant pour Microsoft. Bien joué!

Deux choses très simples, marquantes, alors que je rassemble et j’assemble actuellement un paquet d’informations sur l’évolution du monde de l’édition, ce qui constitue vraiment des menaces, des opportunités, etc. Décidément… il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir de l’illustration.

Lier, c’est construire

François Guité a publié plus tôt cette semaine un texte remarquable où il explore la manière dont les les blogues stimulent la pensée:

« Il s’agit, en fait, de libérer la pensée des idées préconçues. Le désordre est rapidement maîtrisé par la pensée analytique qui réorganise ensuite l’information dans une synthèse de type constructiviste. Enfin, le résultat est soumis au jugement de la communauté, dont la connectivité joue un rôle de filtre mémétique. »

Un schéma sur lequel on peut réfléchir longuement accompagne le texte.

Ce texte m’a ramené à un autre, toujours de François, publié quelques jours plus tôt. Dans ce texte, il cite George Siemens pour déplorer que le monde des blogues est la source de beaucoup de connexions mais de peu de constructions et de réalisations collectives. En d’autres termes, on parlerait beaucoup, on se renverrait la balle souvent… mais bien peu de résultats ne découleraient de tout ce bruit. C’est une préoccupation que Stéphane Allaire a d’ailleurs eu maintes fois l’occasion d’exprimer. C’est une préoccupation que je ne partage pas — ou à un bien moindre degré.

J’observe bien entendu qu’il y a beaucoup de monologues dans la blogosphère. Beaucoup d’idées lancées qui ne trouvent pas de suite. Beaucoup de grands discours sans effets. Mais à mon avis, la quantité est anecdotique. Il ne faut pas se laisser distraire. Je pense que toute cette production, en apparence insignifiante, doit être vue comme le résultat des efforts de tout un chacun pour tisser des liens avec l’Autre. Ce sont des matériaux. Des ordures. D’inévitables produits d’un réseau en construction. Le fruit des tentatives de quelqu’un de se joindre à un groupe. On est dans le préalable. Le nécessaire préalable.

On n’a pas besoin que tout s’inscrive dans un ensemble cohérent pour que l’activité ait à l’occasion un sens. Et ce sont ces occasions qu’il faut rechercher. Parler beaucoup, pour maintenir et développer un réseau autour de soi. Rien que pour ça. Pour en disposer le jour où on en aura besoin. Ce n’est pas banal.

Jaser de tout, de rien et d’éducation, tous les jours, pendant des semaines, sans résultats concrets, sans construction collective, qu’importe! Si le jour où nous aurons besoin de nous concerter nous disposons de cet acquis. C’est vrai pour chacun de nous. C’est vrai pour les enfants qu’on désire initier à la culture de réseau. Je pense que c’est aussi ça le socioconstructivisme — savoir ce qu’implique le déploiement d’un réseau autour de soi.

Sans compter que je trouve injuste de laisser entendre qu’il y a peu de coconstruction, au sein de notre groupe, par exemple. Il me semble que les exemples ne manquent pas! Sur le sujet du logiciel libre (et des licences, de façon générale), par exemple, il me semble que nous avons fait beaucoup évoluer nos conceptions. Je pense que cette compréhension améliorée des enjeux, même si elle n’est pas écrite noire sur blanc à quelque part et qu’il est difficile de cerner le processus par lequel elle s’est bâtie, est le résultat d’une construction collective. La réalisation de Signets RSS et de Liens pédagogiques collectifs, pour ne nommer que ceux-là, me semble aussi des réalisations très concrètes, qui sont le fruit de nombreux échanges qui ont pu paraître bien disparates à certains moments.

Je pense que la blogosphère est une extraordinaire machine à faire des liens — entre les gens, leurs idées et leurs projets. C’est un monde extraordinairement complexe, qui ne se laisse pas aborder aussi facilement. L’origine d’une idée peut être difficile à retracer et son processus de gestation difficile à cerner… et ce n’est pas toujours le produit qu’on anticipait qui prend forme (alors, quoi observer si on désire analyser, décrire cet univers?), mais tout ça n’est pas moins vrai.

Et après tout, quand on déploie un réseau, est-ce que par définition on ne construit pas quelque chose?

Bien sûr, je me fais un peu provocateur… mais je souhaite tant que la discussion se poursuive! ;-)

Pourquoi se limiter au premier degré?

Je ne suis pas trop sûr de quoi penser du manifeste du premier degré. Je profite donc de l’occasion que nous offre Pierre Lachance pour y réfléchir un peu.

J’ai déjà été sollicité pour signer ce manifeste par le passé. J’ai toujours hésité à le faire. Malaise. Comme aujourd’hui. J’ai comme l’impression que le texte est paradoxal.

Se voulant un texte qui guide son signataire lors de la rédaction de ses textes, j’ai l’impression qu’il se révèle en fait un outil qui se retourne bien rapidement vers le lecteur. Une phrase de Pierre l’illustre d’ailleurs très bien: « C’est-à-dire que si vous n’êtes pas certain de ce que je veux dire, posez-moi la question… ». Résultat: au lieu d’encourager l’auteur à s’exprimer clairement, le message envoyé est: si vous ne comprenez pas bien, demandez-moi de préciser. Est-ce qu’on a amélioré la communication avec une pirouette semblable? Je ne crois pas. Dans tous les cas, il me semble, l’efficacité du message doit reposer d’abord et avant tout sur l’auteur du message (sachant évidemment que les lecteurs interpréteront ce message et que cela sera source de distorsion).

Une autre chose m’agace dans ce manifeste. C’est l’idée qu’il porte que « le second degré » est une chose négative, ou à éviter. C’est certes une méthode de communication souvent plus risquée (l’usage de l’ironie, du cynisme, etc. est effectivement extrêmement délicate, particulièrement dans des contextes ou on ne dispose pas d’informations « non verbales », comme sur un blogue, par courriel ou dans un forum de discussion) mais c’est quand même un outil que la langue française met à notre disposition pour exprimer des idées. Et je ne vois pas pourquoi je m’en priverais. J’en ai parfois fait usage avec beaucoup de succès, parfois un peu moins. Il y a des choses qui ne gagnent pas à se dire trop directement, qu’il faut parfois emballer un peu, pour les aider à passer. Et il y a des auteurs dont j’ai eu tellement de plaisir à lire des lettres, des essais et des nouvelles écrites au second degré, faisant merveilleusement usage de la parabole, de la métaphore et de l’analogie, que j’ai peine à dévaloriser cette forme d’écriture!

De façon générale, je pense qu’on ne gagne pas à se priver de moyens de communication. Je pense qu’il vaut mieux consacrer nos efforts à apprendre à s’exprimer plus clairement, et à savoir choisir à quel moment choisir un type de langage plutôt qu’un autre. Faire appel moins souvent au second degré, certes! M’en priver, pourquoi donc?

Si je n’utilise pas le second degré, ce ne sera certainement pas parce que c’est mal, mais bien parce que c’est inefficace, dans une situation donnée, dans le contexte du message que je souhaite formuler. Il me semble que c’est d’abord et avant tout une question d’intention.