Rentrée scolaire: objectif lune

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Il devient de plus en plus évident que la rentrée scolaire ne se fera pas normalement en septembre prochain.

Les écoles de Montréal vont rester fermées d’ici-là et partout ailleurs les classes ne sont qu’à moitié pleines. Les sources d’inquiétudes se multiplient — particulièrement pour les enfants qui éprouvent des difficultés d’apprentissage, mais aussi pour la motivation de tous les enfants (et plus encore celle des ados).

Le ministre de l’Éducation dit que plusieurs scénarios sont à l’étude pour la rentrée, dont celui d’une école « en alternance »: présence des élèves par demi-journées ou en journées alternées et le reste du temps en mode « à distance ». Il s’agit d’un défi logistique colossal et un défi éducatif encore plus grand.

Or, j’ai la vive impression qu’on n’accorde pas à ce défi toute l’importance qu’il requiert. Pendant que la catastrophe qui se vit dans les CHSLD draine l’essentiel de l’attention médiatique, on gaspille de précieuses journées pour faire face à ce qui est probablement le plus grand défi éducatif auquel on fait face depuis la Révolution tranquille.

Si les élèves sont en alternance en classe, ça veut dire que les profs y seront en permanence. On ne pourra donc pas compter sur eux pour assurer l’accompagnement pour les périodes que les enfants passeront chez-eux. Comment faire alors? Quel matériel et quel accompagnement pourra alors leur être offert? Et ce matériel aura été préparé par qui? À quel moment? Avec quels budgets?

Je propose que le ministère identifie immédiatement vingt profs, parmi les meilleurs, pour chaque matières et chaque niveau scolaire (ça fait disons, combien? 1000 profs à peu près?) et disons 200 profs pionniers dans l’utilisation des ressources éducatives numériques et qu’il en fasse sa SWAT team pour la rentrée.

Cette escouade devrait se mettre au travail dès maintenant et disposer de toutes les ressources dont elle a besoin. Toutes! Il faut que tous les obstacles administratifs et techniques aux solutions qu’elle va proposer soient levés rapidement. Il faut que ça marche en septembre. Coûte que coûte.

Il faut qu’on produise sans tarder des MasterClass pour chaque matière et chaque niveau, avec tout le matériel d’accompagnement et les espaces de collaboration associés. Il faut que les profs qui seront en classe sachent qu’ils peuvent tirer profit de l’existence de ces formations et se concentrer sur l’accompagnement qui peut difficilement se faire à travers l’écran.

Il le faut, parce que les élèves ont droit à un accompagnement pédagogique à temps plein, même si la présence en classe est à mi-temps. Et qu’on sait que les moyens existent pour que ça soit possible.

Il faut immédiatement hisser la prochaine rentrée scolaire au rang de priorité nationale. Nous avons trois mois pour transformer notre système scolaire en profondeur. Il faut faire en sorte que cette corvée estivale occupe dans notre histoire une place comparable à la conquête de la lune pour les États-Unis.

Pour éviter d’avoir, en septembre, un suivi quotidien des déboires de l’école, on doit avoir dès maintenant un suivi quotidien des préparatifs de la prochaine rentrée. Le ministre doit expliquer le plan de match, la stratégie, les objectifs, identifier les obstacles et rendre compte des progrès. Il faut rendre ça motivant pour tout le monde! Ça peut même devenir une source de fierté et de confiance.

Si on n’est pas prêt à faire ça, c’est probablement parce qu’on n’a collectivement pas encore pris la mesure de la situation et qu’on n’est pas encore dans un état d’esprit qui nous permettra d’être à la hauteur.

On n’est pas forcés de passer par une catastrophe pour repenser nos institutions… il s’agit de s’y mettre à temps!

Pour l’école, je pense que ce moment est venu. Même que ça presse…

En complément:

L’école en réseau

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Ça a vraiment été un plaisir de revoir Thérèse Laferrière cet après-midi au WAQ. Ça devait bien faire une dizaine d’années que je ne l’avais pas vue (et dire que j’avais commencé une maîtrise avec elle il y a… vingt ans… ouf!).

Et le plus surprenant, c’est que j’ai quand même eu l’impression de reprendre une conversation qui n’aurait été suspendue que quelques instants. Fascinant!

La conviction de Thérèse, son engagement et sa détermination sont chaque fois une grande source d’inspiration. En prime: notre échange a fait remonter à mon esprit plusieurs concepts qui pourraient bien m’être utiles dans les prochains mois.

Pour résumer sa présentation en quelques mots:

Le plus important pour le développement de la culture de réseau dans une école c’est de passer d’un «qui sait?» individuel à une prise de conscience collective de «ce que la classe/communauté connaît» — et d’être capable de partir de là pour planifier l’apprentissage des élèves.

C’est quand il soutient ce processus que le numérique est le plus prometteur en éducation.

J’en suis convaincu.

Le chaînon manquant

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On se déchaîne depuis quelques temps au sujet d’un troisième lien entre la rive sud et la rive nord de Québec. J’aimerais qu’on parle aussi du chaînon manquant: la gestion du temps collectif (et de nos infrastructures).

On peut bien parler d’un tunnel, d’un pont, d’élargir les autoroutes, de repenser le secteur de la tête des ponts… si on ne se penche pas d’abord sur les facteurs qui sont responsables de la congestion on n’arrivera pas à trouver les solutions que tout le monde espère.

Et même si la solution était la construction d’un troisième lien, nous aurions plusieurs années à devoir composer avec une situation difficile d’ici à ce que cela puisse devenir une réalité.

Alors, pourquoi ne pas se mettre sérieusement à l’ouvrage pour trouver des solutions, maintenant — avec un peu d’ouverture d’esprit.

François Bourque évoque une voie qui me semble prometteuse dans Le Soleil de ce matin: la mise en place d’un Bureau du temps. Il pourrait s’agir d’une structure légère, qui ne coûterait presque rien, et qui pourrait voire à suggérer des aménagements concrets dans les horaires des grands centre d’activités de la ville afin de réduire la pression sur le réseau routier aux heures de pointe, notamment. Son texte est ici:

Étaler l’heure de pointe

C’est une propositions moins sexy que de promettre de grands projets d’infrastructure, mais ce serait très certainement plus efficace à court et à moyen terme. C’est du moins ce que démontrent, très clairement, des initiatives semblables réalisées ailleurs dans le monde.

François Bourque avait déjà évoqué les bureaux du temps en 2013:

À la recherche du temps perdu

Cinq piste pour mieux organiser le temps à Québec

François Cardinal, devenu éditorialiste en chef de La Presse, en avait aussi parlé en 2004:

Je suis en r’tard

J’y faisais d’ailleurs référence sur ce blogue. C’était il y a douze ans!

Bureaux du temps…

Vous constaterez dans ce texte qu’on évoquait même à l’époque l’intégration de cette idée dans la loi sur la conciliation travail-famille.

Alors, après tout ce temps, et avec les inconvénients de la congestion qui empire chaque année, ce serait peut-être temps qu’on s’y mette… ne serait-ce qu’en marge des inévitables polémiques?

***

Je me souviens très bien d’avoir évoqué la création d’un bureau du temps pour la Capitale-nationale à l’occasion d’un remue-méninges en vue de définir la plateforme du Parti Québécois pour la campagne électorale de 2014 (ou était-ce même en 2012?).

Cela n’avait pas suscité un grand enthousiasme, c’est le moins qu’on puisse dire. On m’avait clairement fait comprendre que ce n’était pas une proposition gagnante. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir insisté davantage.

C’est cette idée que j’aimerais voir le prochain chef du Parti Québécois plaider activement dans les prochaines semaines. Ce serait une contribution de bon sens, qui m’apparaît utile pour la suite des choses — qu’on envisage, ou pas, la construction d’un troisième lien.

Cité éducative

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Je retourne depuis quelques jours dans mes lectures d’il y a une dizaine d’années. Dans plusieurs textes que j’ai écrits à la même période aussi. J’ai l’impression que j’avais les idées plus claires à cette époque sur ce qui motivait mes différents engagements et le temps que j’y consacrais.

Je ne retourne pas dans ces textes par nostalgie. Plutôt comme un moyen de donner de la profondeur à des lectures et des réflexions plus récentes. Le visionnement du film Demain, et l’exposition 25X la révolte, au Musée de la civilisation, ont aussi été des catalyseurs efficaces pour plusieurs de ces réflexions.

Et je dois constater que je reviens, à travers tout ça, encore et toujours à l’idée de cité éducative. Non pas pour en refaire un sujet de mobilisation en tant que tel (comme je l’avais fait de 2003 à 2005), mais comme le cadre le plus structurant pour organiser mes intérêts, mes valeurs et mes convictions. Pour donner un sens à mes engagements.

C’est clairement mon meilleur ancrage.

Décès de Seymour Papert

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Il y a dix ans, c’est un texte sur le blogue de Mario qui m’avait appris le terrible accident de Seymour Papert au Vietnam (relire ici). Nous lui avions même fait livrer des fleurs, directement à Hanoï (relire ici et ici). Hier c’est par téléphone de Mario qui m’a appris son décès.

Voici le texte que le Massachusetts Institute of Technology lui a consacré hier:

Professor Emeritus Seymour Papert, pioneer of constructionist learning, dies at 88

Seymour Papert est certainement une des personnes qui a le plus profondément influencé ma démarche professionnelle — depuis le secondaire, avec ma découverte du Logo, comme étudiant en sciences de l’éducation, comme enseignant, comme parent, et de façon encore plus générale, comme personne qui s’intéresse à la mutation de notre société au contact des technologies.

Papert était un esprit vif, passionné, parfois provocateur, qui réfléchissait en confrontant continuellement ses idées à la réalité. Il croyait profondément à l’importance des objets pour penser avec — «des objets qui doivent comporter l’intersection d’une présence culturelle, d’un savoir incorporé et de la possibilité d’une identification personnelle». Des engrenages avec lesquels il a joué enfant, à la tortue du langage Logo, en passant par les Lego Mindstorm et au mini-ordinateur OLPC, c’est ce qui a guidé toute son oeuvre.

Feuilletant avec tristesse ce matin les premières pages de ma copie (super annotée!) de Jaillissement de l’esprit, ordinateur et apprentissage, écrit en 1980, je retiens ces deux passages:

«…il y a un monde entre ce que les ordinateurs pourraient faire et ce que la société choisira de leur faire faire. La société ne manque pas de façons de résister à des changements fondamentaux et menaçants. Aussi, cet ouvrage concerne-t-il encore les choix qui devront être faits, et qui sont en fin de compte politiques. Il examine certaines des forces de changement, ainsi que les forces de réaction à ce changement, appelées à entrer en scène au fur et à mesure que l’ordinateur s’introduit dans l’univers de l’éducation, univers chargé d’implications politiques.»

«La salle de classe est à mes yeux un environnement artificiel et de rendement faible, inventé par une société qui d’ailleurs n’avait guère le choix (…) Toute la question est de savoir si l’école actuelle saura s’adapter en se transformant radicalement, ou si elle devra disparaître et se voir remplacer par autre chose.»

J’ai aussi pris le temps de survoler à nouveau le texte qu’il avait signé avec David Cavallo, en 2000, qui m’a beaucoup inspiré au cours de la période où j’ai travaillé à partir du concept de cité éducative. J’y avais fait référence ici en 2004:

La cité éducative comme un Learning Hub

Et je suis retourné à l’extraordinaire texte qu’il avait signé dans le deuxième numéro de la revue Wired, en 1993. Le récit de la petite fille de quatre ans qui désirait savoir si les girafes dorment debout m’est toujours resté à l’esprit depuis tout ce temps.  J’avais d’ailleurs évoqué ce texte sur mon blogue, en 2009:

L’image comme porte d’accès à la connaissance

Je me souviens en terminant du très agréable déjeuner que j’ai eu la chance de partager avec Seymour Papert et son épouse, Suzanne Massie, au Château Frontenac, en mars 2004, quelques heures avant qu’il ne prononce la conférence pour laquelle nous l’avions invité aux Rencontres Internationales du Multimédia d’Apprentissage.

Suzanne Massie m’avait fait cadeau dans les semaines suivantes d’un exemplaire de Land of the Firebird, the Beauty of Old Russia, le livre qui avait fait d’elle une messagère informelle entre Ronald Reagan et Michael Gorbatchev pendant la guerre froide (voir Wikipedia).

À la première page du livre, on peut lire, d’une belle écriture:

May 9, 2004

For Clément Laberge with my thanks for your warm welcome and hospitality in Quebec.

À bientôt. j’espère!

Suzanne Massie.

Je pense aussi à elle aujourd’hui. Ainsi qu’à sa famille et ses amis.

Merci M. Papert. Vous continuerez à m’inspirer longtemps.

Lettre à Jean-Paul L’Allier

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J’apprends dès mon réveil le décès de Jean-Paul L’Allier. Avec une très grande tristesse. Il était une de mes grandes inspirations. Un de mes modèles, depuis très longtemps.

J’avais fait il y a quelques années l’exercice de lui écrire une lettre, comme un exercice de réflexion personnelle — imaginant l’inviter à la première réunion de mon Conseil d’administration virtuel.

La lettre est ici:

Première convocation pour la réunion… | 18 juillet 2011

Je crois même lui avoir transmis, réellement, cette lettre par la suite.

Merci pour tout Monsieur L’Allier.

 

 

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Cailloux récupérés sur une plage de l’Île-du-Prince-Édouard, été 2004

Parce que le bon espace pour archiver mes réflexions c’est mon blogue, je reproduis ici ce que j’ai publié un peu plus tôt ce matin sur Facebook:

—/ début /—

J’ai lancé l’idée de faire de Québec une « cité éducative » quelque part au printemps 2002 — j’en ai les traces sur mon blogue depuis septembre 2002.

En janvier 2004 (il y a déjà dix ans!), la Chambre de commerce et d’industrie de Québec adoptait pour thème de son Forum économique annuel: « Québec, Cité éducative ».

L’idée a fait son chemin dans l’esprit de beaucoup de monde au cours des dernières années… pas toujours comme prévu, sous des formes très diverses, et de façon parfois moins explicite… mais j’en ai des manifestations presque toutes les semaines. Et c’est une idée qui continue de me guider tous les jours.

Ça va bientôt être le temps d’une nouvelle synthèse/reformulation de tout ça, je pense bien.

—/ fin /—

L’écriture

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J’ai publié moins sur mon blogue en 2013 que je l’avais fait en 2012, mais j’ai globalement écrit beaucoup plus. Je suis très content. J’ai pris des notes sur mon quotidien plus de deux jours sur trois (avec l’aide de DayOne — le plus souvent à partir de mon iPhone). J’ai donc écrit beaucoup plus en privé qu’en public — et je pense que cela m’a aidé à utiliser l’écriture pour réfléchir plus efficacement que par le passé.

Garder des traces du temps qui passe, des rencontres, des lectures, des réflexions, des conversations — cela me semble de plus en plus important pour pouvoir maîtriser notre rapport au temps. Parce qu’autrement, tout nous amène dans l’instantanéité, à réagir vite, à prendre position sur tout et à s’exprimer de façon manichéenne, avec un vocabulaire souvent excessif.

En 2014, je veux continuer à utiliser l’écriture et les réseaux sociaux pour réfléchir — avec la mesure, le temps et le recule que ça exige. Écrire pour le simple plaisir aussi, comme une forme de gymnastique de l’esprit.

Ce sera plus que jamais un défi. Un défi essentiel.

À la recherche du temps perdu

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Deux articles à lire dans Le Soleil de ce matin, sous la plume de François Bourque: À la recherche du temps perdu et Cinq pistes pour mieux organiser le temps à Québec.

Au cœur de ces deux articles, une idée: la création d’un Bureau des temps, afin de réduire la pression sur les infrastructures publiques — routières, notamment.

Je suis content de voir que cette idée fait son chemin, lentement mais sûrement, jusqu’en Amérique du Nord… J’y avait fait référence sur mon blogue en décembre 2004, à la suite d’un texte de François Cardinal, dans La Presse.

François Bourque dit dans son texte que c’est une idée qui a été créée en Italie dans les années 90 sous l’impulsion des mouvements féministes. Ma perception est que c’est une idée qui a aussi (surtout?) été portée par plusieurs membres de l’Association internationale des villes éducatrices (ce que j’appelle pour ma part le mouvement des cités éducatives) — dont Rennes, citée en exemple par François Bourque, est un membre très actif (Québec est aussi membre — et voir la liste des membres).

Je profite de l’occasion pour signaler que la Banque internationales de documents des villes éducatrices est un extraordinaire recueil de projets socio-culturels-éducatifs — de l’inspiration à l’état pur.

Exemples: les projets présentés par la ville de Rennes (voir le #12 pour le Bureau des temps) et ceux de la ville de Turin (voir le #2 pour le projet Rythmes et horaire de la ville).

Je m’amuse en pensant que j’ai parlé des bureaux des temps en réponse à un sondage de la Chambre de Commerce de Québec, dans le cadre de la campagne électorale. Je m’étais dit en répondant « ça a beau être anonyme, ils vont sûrement deviner que c’est moi qui propose ça et me trouver une fois de plus un peu excentrique »… et voilà que l’idée se retrouve sur leur table de cuisine ce matin! :-)

Photo: fragment de Réveils, de Arman 1960. Oeuvre vue à Chicago.

Vivre ensemble

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C’était la rencontre de parents ce soir à l’école primaire d’une de mes filles. Elle située dans un quartier de Sainte-Foy qui est de plus en plus multiethnique. Le gymnase était bondé. Les directrices, les enseignantes, quelques enseignants, et surtout des pères et des mères — dont certaines portaient un voile. C’était beau. La rentrée scolaire m’émeut toujours.

Quelques heures plus tôt, le gouvernement du Québec avait soumis au débat cinq propositions devant mener à la rédaction d’une Charte dans laquelle serait affirmé la laïcité de l’État et réaffirmé le caractère fondamental de l’égalité homme-femme. L’espace public s’était aussitôt embrasé, les médias (et les médias sociaux) privilégiant très souvent l’expression des opinions les plus extrêmes, en dépit de toutes les nuances qui s’imposent lorsqu’on aborde un sujet aussi sensible.

J’observais ces immigrants, plus ou moins facilement identifiables, portant ou pas de signes religieux visibles, et ce n’est pas les propositions de Bernard Drainville qui me rendaient inconfortable. Pas du tout! C’était plutôt l’immaturité dont nous avions collectivement fait preuve au cours des heures et des jours précédents. À croire que nous avions abandonné toute raison pour tomber dans le simplisme, les insultes et le jeu des bons et des méchants. Jusqu’à oublier que si pour bien vivre ensemble il faut, bien sûr, des règles claires, il faut aussi (surtout!) de l’écoute, du respect et du temps pour considérer le point de vue de l’autre. C’est d’ailleurs ce qu’on enseigne aux enfants à l’école: « la curiosité intellectuelle, les connaissances et la sensibilité nécessaires pour contribuer à bâtir un monde meilleur et plus paisible, dans un esprit d’entente mutuelle et de respect interculturel ».

Ce soir, j’ai eu le goût de dire aux parents immigrants, et en particulier à ceux qui portaient des signes religieux visibles, qu’ils sont bienvenus dans notre quartier et que j’apprécie leur participation à la vie de cette école où nos enfants inventent, ensemble, le Québec de demain.

J’ai eu envie de leur dire de ne pas accorder d’importance aux réactions excessives dont les médias se sont fait l’écho depuis quelques jours. J’ai eu envie de leur dire que les polémistes allaient bien finir par s’épuiser, que la raison allait bientôt reprendre ses droits et que nous pourrions commencer à discuter sereinement des règles qui nous permettront de bien vivre ensemble, à long terme, dans le respect des valeurs de chacun.

J’ai eu envie de leur citer les paroles de Rachida Azdouz qui mentionnait un peu plus tôt à la télévision qu’il ne faut pas s’inquiéter du débat qui s’amorce: « parce que c’est tout à fait normal dans une société pluraliste de se poser la question du vivre ensemble sur une base régulière [et qu’une] démocratie qui ne se questionne plus est une démocratie qui n’est pas vivante ».

J’ai aussi eu le goût de remercier les enseignantes et tout le personnel de l’école, parce que pendant qu’on débat, c’est grâce à leur engagement quotidien que l’école réussit à accueillir des enfants aussi différents — certains qui ont de la facilité, plusieurs qui ont beaucoup de difficultés, de comportement ou d’apprentissages, des enfants nés ici et d’autres, venus d’ailleurs — et que ça marche! C’est grâce à eux que tout le monde dans ce gymnase, ce soir, était fier de son école.

J’ai eu envie de dire tout ça, mais je ne l’ai malheureusement pas fait. C’est pour ça que, de retour à la maison, j’ai pris le temps d’écrire ce texte.

En souhaitant qu’il trouve son chemin jusqu’à eux.

La cité éducative comme projet de société (et les librairies dans tout ça?)

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Je l’ai dit hier, les points de vue de ceux qui sont en faveur d’une éventuelle réglementation sur le prix des livres neufs et de ceux qui sont contre cette idée me semblent tellement diamétralement opposés qu’ils m’apparaissent presque irréconciliables, du moins à cette étape du débat. Ils s’appuient pourtant sur un certain nombre de constats communs, à partir desquels il sera éventuellement possible d’élaborer un consensus ou de formuler des propositions alternatives quand aux actions qui devraient être entreprises pour soutenir le développement de la lecture et du domaine du livre.

Pour essayer de mettre en perspective ces différents points de vue, et de faire progresser la discussion, j’ai proposé que chacun précise dans quelle vision de la société ses prises de position s’inscrivent. À quel projet de société elles sont appelées à contribuer. Parce qu’il y a forcément un projet implicite derrière tout ça — il me semble.

Avant que la semaine ne recommence, et que les travaux de la commission parlementaire ne reprennent, je consacre quelques instants pour décrire, très succinctement (et donc avec beaucoup de raccourcis, pardonnez-moi) la vision — le projet de société — qui me guide depuis des années et en fonction duquel j’organise forcément une bonne partie de mes réflexions.

* * *

Je rêve de vivre dans une cité éducative (j’en parlais déjà en 2002, en 2003, en 2004) — un milieu de vie à l’échelle humaine où tout serait organisé de  manière de permettre à tous les citoyens d’apprendre quelque chose tous les jours. Apprendre quelque chose, qu’importe quoi, parce ce qui est important, dans ce contexte, c’est d’être en apprentissage.

Être en apprentissage, tous les jours, parce que c’est le meilleur moyen d’être heureux, bien sûr, mais aussi parce que cela m’apparaît de plus en plus nécessaire pour assurer l’équilibre d’une société moderne.

Parce qu’au rythme où les sociétés évoluent aujourd’hui — sous l’influence des changements technologiques, de la globalisation de l’économie, des défis écologiques, des flux migratoires, etc. — leur capacité d’adaptation est constamment mise à l’épreuve. Et pour pouvoir s’adapter continuellement, une société doit pouvoir compter sur des citoyens qui disposent d’une bonne ouverture d’esprit devant la nouveauté et qui possèdent un certain appétit pour l’innovation. Des citoyens qui ne sont pas fermés, d’emblée, à toute nouvelle proposition ou à une approche différente pour aborder un problème récurrent.

Or, être en apprentissage, c’est un projet personnel; c’est se projeter dans le futur; c’est accepter que demain sera un peu différent de ce qu’a été aujourd’hui; c’est imaginer la vie sous de nouveaux angles, avec une autre perspective; c’est accepter d’aborder positivement le changement; c’est fréquenter l’innovation.  Être en apprentissage, c’est cultiver, sur une base personnelle, des qualités qui sont de plus en plus nécessaires quand vient le temps de faire évoluer, collectivement, notre organisation sociale en fonction des défis auxquels nous sommes confrontés.

J’ose faire la relation: moins de gens en apprentissage = moins de gens à l’esprit ouvert = difficultés pour faire accepter de nouvelles façons de voir les choses = difficultés politiques accrues = problèmes sociaux de plus en plus aigus.

Pour que la cité éducative devienne réalité, il est absolument nécessaire de multiplier les contextes d’apprentissage. Il faut réinventer l’école, la décloisonner, lui retirer la responsabilité de tout ce qui peut être appris ailleurs pour qu’elle puisse se concentrer sur ce qui lui incombe vraiment (cela avait été l’objet d’un échange avec Michel Dumais, il y a quelques années). Il faut aussi stimuler les rencontres entre les citoyens, encourager la formation en milieu de travail, élargir la mission des lieux culturels et des événements (musées, théâtre, salles de spectacles, bibliothèques), inciter les entreprises à s’engager davantage dans leur communauté, inviter les médias à jouer un rôle pédagogique accru. Il faut inventer des contextes qui favorisent des rencontres entre les générations, entre les cultures et les religions. Avec l’idée, permanente, d’apprendre les uns des autres, chaque jour de l’année.

Ce projet de société n’est pas nouveau. Edgar Faure, Ivan Illich, Paolo Freire — et bien d’autres — l’ont décrit chacun à leur façon depuis longtemps. Je suis toutefois convaincu qu’il n’a jamais existé de meilleures conditions pour concrétiser cette vision.

* * *

C’est donc avec ce projet en tête que j’interprète les revendications actuelles du monde du livre et que j’analyse les différents points de vus exprimés à leurs sujets.

Avec la conviction que les librairies sont, comme les bibliothèques, chacune à leur façon, des composantes essentielles dans la réalisation d’une cité éducative. Non seulement parce qu’elles contribuent à la diffusion d’un grand nombre de livres qui ne trouveraient pas facilement leur chemin vers les lecteurs autrement (l’exemple de Un dimanche à la piscine à Kigali, de Gilles Courtemanche, donné par Pascal Assathiany à Il ne faut pas croire tout ce qu’on dit (il faut cliquer à 43:00) est très bon à cet égard), mais aussi (et peut-être surtout!) parce qu’elles sont aussi des lieux de rencontres importants au cœur de la cité. Des commerces dont la présence sur une rue principale multiplie le potentiel éducatif d’un quartier ou d’une ville et contribue ainsi à améliorer, concrètement, la capacité de la société à évoluer sereinement.

Dans cette perspective, la librairie est un commerce qui mérite évidemment une reconnaissance toute particulière — et des appuis qui tiennent compte de cette importance — qu’il s’agisse d’une librairie indépendante ou de la succursale locale d’une chaîne de librairies.

Il ne s’agit pas de privilégier un point de vue idéologique au détriment d’une analyse plus rationnelle de la situation du marché du livre. Il s’agit d’expliciter le référentiel de valeurs à partir duquel j’organise les différentes conclusions, parfois contradictoires, qui découlent de l’analyse des différents points de vue qui sont exprimés sur le sujet.

S’agit-il donc de sauver à tout prix les librairies parce que l’avenir du livre en dépendrait? À l’évidence, non. Il faut bien sûr souhaiter qu’elles puissent continuer à jouer un rôle actif dans la diffusion de la création éditoriale, mais il s’agit surtout, pour moi, de pouvoir compter sur elles pour bâtir cette cité éducative. Parce qu’elles ne seront pas, pour cela, remplaçables par les magasins grandes surfaces, qui sont généralement situées hors des milieux de vie et n’offre pas du tout le même potentiel éducatif, simplement parce que les livres y sont vendus au même titre que des chaussettes et sans aucune expertise particulière pour le faire.

Une vision idyllique de la librairie que tout cela? Peut-être un peu. Mais un très beau défi surtout. Le défi  pour les libraires de redéfinir de façon audacieuse leurs relations avec leurs milieux, en imaginant des rapports de complémentarité encore plus fort avec les bibliothèques (qui doivent aussi se réinventer — lire à ce sujet l’excellent texte relayé par Marie D. Martel), les lieux culturels, les écoles, les entreprises et l’ensemble de leurs communautés. En tirant évidemment profit des possibilités que représentent à cet égard l’avènement du Web et du livre numérique.

* * *

Je l’ai dit lors de mon passage à la Commission parlementaire (voir mon mémoire): je suis favorable à la réglementation du prix des livres neufs (selon les modalités proposées dans le cas des livres imprimés, et selon des modalités différentes, pour les livres numériques). Je le suis parce que je pense que c’est une mesure qui peut donner un bon coup de pouce aux librairies — avec notamment pour effet de leur donner un peu de temps pour s’engager encore un peu plus dans la voie de tous ces changements.

Est-ce que la réglementation du prix est une mesure suffisante quand on caresse de telles ambitions pour les librairies? Est-ce qu’elle permettra à elle seule à toute une industrie de faire face à tous les défis auxquels elle fait actuellement face? Évidemment pas! Mais il faut bien commencer quelque part, et rapidement.

Par conséquent, je me réjouirai, bien sûr, si on peut ajouter à cette cette mesure contraignante, dont je souhaite l’adoption, un ensemble d’autres mesures, plus positives, notamment pour valoriser la place de la librairie au coeur de la cité — comme un lieu de rencontre et un espace qui a le potentiel de stimuler l’apprentissage d’un grand nombre de citoyens.

Et au risque que mes lecteurs les plus réguliers me disent que je radote, je mentionne en terminant que le projet 826 Valencia, à San Francisco — et les nombreuses initiatives qui lui sont associées — me semblent particulièrement inspirants pour les libraires qui seraient à la recherche d’un peu inspiration dans le but accélérer un peu leur transformation.

Voilà donc, tel que je l’avais promis, la vision qui me guide quand je parle des librairies. Quelle est la vôtre?

L’écriture au coeur de la ville

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Parce que plusieurs choses m’amènent depuis quelques jours à réfléchir à la place de la lecture et de l’écriture dans la société — et à l’importance de créer des espaces et des moments de rassemblement qui peuvent contribuer à donner un sens à la lecture et à l’écriture — et à l’apprentissage de celles-ci…

Parce que si on souhaite que des projets voient le jour, il faut bien préalablement partager quelques idées…

Et, finalement, parce que, passant devant la Librairie Vaugeois, lundi soir… j’ai été interpelé par Nelligan (photo ci-dessus)…

Voici donc quelques traces de certains projets que je trouve particulièrement inspirants dans ce domaine — et que j’aimerais beaucoup voir prendre forme au Québec, et à Québec, en particulier — et pourquoi pas sur la rue Saint-Joseph? Ou sur la rue Maguire? Ou Myrand? Qu’importe…

En commençant par l’extraordinaire 826 Valencia, qu’il me semble indispensable de faire connaître largement (le créateur en fait une présentation en vidéo ici — en une vingtaine de minutes de pur plaisir).

Aussi un de ses émules: 826 NY (plus d’explications).

Pourquoi faire de Québec un nouveau membre du réseau 826 — en y apportant notre originalité?

Sinon, il y a aussi le modèle du Labo des histoires que j’aime vraiment beaucoup… quelle fraîcheur!

Il me semble que ce genre de lieu serait aussi de nature à mobiliser pas mal de monde ans le quartier Saint-Roch… à favoriser les rencontres intergénérationnelles, du monde des technos, de l’éducation et de la culture…

Éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignants, auteurs, gens de théâtre, artistes, créateurs, journalistes… de Saint-Roch et d’ailleurs, ça vous tente?

Ce serait un bien beau projet, il me semble…

L’économie du savoir et les conditions de l’innovation

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Je me suis réjoui de lire dans Le Devoir de lundi un billet d’Éric Desrosiers intitulé L’économie du savoir — dans lequel celui-ci nous invite à élargir l’idée qu’on se fait de ce concept qui est malheureusement de plus en plus utilisé pour dire un peu tout et n’importe quoi. Extraits:

La fameuse économie du savoir ne se limite pas aux sciences et technologies, ni à ses spécialistes. Elle est le domaine de presque tous les champs de l’activité commerciale humaine et elle peut être le fait d’ingénieurs, de comptables, de sociologues, de gestionnaires en ressources humaines, d’artistes ou d’éducateurs.

Dans ce contexte, l’université constitue évidemment un lieu privilégié non seulement pour apprendre toutes sortes de connaissances générales et techniques, mais aussi, et peut-être surtout, pour apprendre à apprendre, et apprendre à inventer à partir des nouvelles technologies qui viendront, des problèmes auxquels on sera confronté, et des occasions qu’on saura reconnaître et saisir.

[Et] notre réflexion ne doit pas s’arrêter là. Si l’on dit que ce qui fera le succès des économies et de la carrière des gens dépendra de leur capacité d’adaptation et d’innovation dans un monde en changement constant, on comprend qu’il y sera à tout le moins essentiel de savoir lire, écrire, communiquer, pianoter sur un ordinateur et penser.

Je suis évidemment d’accord avec tout ça — et cela rejoint, très directement, ce que j’ai déjà exprimé dans ce texte, où je proposais d’ailleurs d’adopter le terme « économie de l’apprentissage » plutôt que « d’économie du savoir ».

C’est également à la base de ce qui m’amène à croire un peu plus chaque jour, depuis plus de dix ans, à l’importance de penser le développement des villes comme des cités éducatives.

Vous m’avez dit…

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Rue Sainte-Marguerite, près de l’intersection avec la rue Vallière: un mur de béton soutient brutalement la montée de la rue des Prairies qui sépare la haute-ville et la basse-ville.

J’y remarque quelque chose de nouveau. Depuis quand? Je ne sais pas. Je ne passe pas à cet endroit très régulièrement.

C’est un cadre doré, et un graffiti.

Je m’approche.

Mise en scène de musée sur mur de béton. Cadre classique, signature urbaine.

Et une petite fiche, sur laquelle j’ai pu lire, en me mettant sur la pointe des pieds:

Travail No. 4 – Wuek (2012)
Vous m’avez dit de faire des toiles

J’aime quand la ville me parle.

Un mouvement en faveur de la lecture

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J’aimerais que l’éditorial qu’Antoine Robitaille consacre ce matin à la diminution du nombre de « de grands lecteurs » ait un effet semblable à celui qu’Omer Héroux signait dans Le Devoir du 3 avril 1930. Cet éditorial avait joué un rôle déterminant pour sonner le réveil de la société québécoise en ce qui concerne l’importance de la science.

Saisissant l’occasion, les Frères Marie-Victorin et Adrien Rivard allaient par la suite participer à la fondation des Cercles des jeunes naturalistes — un mouvement qui allait recueillir un succès absolument fulgurant et qui aura eu une importance capitale dans le développement de nombreuses vocations scientifiques. Pauline Gravel rappelait d’ailleurs tout cela dans un texte publié le 24 avril 2010: Le Devoir à l’origine des cercles des jeunes naturalistes.

J’ai déjà écrit à plusieurs reprises mon souhait de voir un tel mouvement se reproduire pour favoriser l’avènement d’une approche plus ouverte de l’éducation — pour favoriser l’avènement d’une cité éducative. Je l’avais notamment fait il y a cinq ans, en réaction à un texte de Michel Dumais. C’est ici: L’utopique (mais pourtant nécessaire) cité éducative.

La lecture est évidemment fondamentale dans un tel projet — et dans celui, plus large, de bâtir une société du savoir, une société éducative — où l’apprentissage est l’affaire de tous, tous les jours.

Alors donc… comment est-ce qu’on répond à l’invitation que nous lance Antoine Robitaille en conclusion de son texte

« Si vous vous êtes rendu en bas de ce texte, il y a des chances que vous soyez une grande lectrice ou un grand lecteur. Ceux qui se reconnaissent dans cette étiquette devraient peut-être former des clubs, des groupes, afin de s’entraider, s’entraîner. Qu’en pensez-vous ? »

Des personnes intéressées par ce chantier?