Je lis avec douleur sur le blog de Mario que Seymour Papert a été victime d’un accident grave au Vietnam la semaine dernière. Il aurait été happé par un vélomoteur.
Je souffre profondément de lire cela.
Papert est une source d’inspiration importante pour moi — ses écrits sont responsables de plusieurs choix personnels et professionnels qui ont fait de moi qui je suis aujourd’hui. En ce sens, je lui dois beaucoup.
J’ai eu l’immense chance de rencontrer Seymour Papert à deux reprises, et de lui parler au téléphone quelques fois. J’ai apprécié chaque fois un homme affable, humble, d’une remarquable intelligence, qui n’imposait rien à ses interlocuteurs, mais qui a le don de faire naître en eux les rêves qu’il porte, de leur communiquer sa passion, et de s’allier leurs énergies et leur savoir-faire. C’est un visionnaire hors pair, un modèle remarquable. Son oeuvre est immense.
Qu’un homme qui a fait avancer tellement d’idées phare depuis les années soixante-dix et qui a permis la réalisation de tellement de « projets pour penser avec » puisse affronter aujourd’hui une épreuve aussi « absurde » est évidemment difficile à accepter. C’est dramatique. Sa famille, ses proches, ses nombreux collaborateurs et d’innombrables pédagogues sont bouleversés par l’état de santé de celui qu’ils aiment et qu’ils admirent, c’est normal — et je souffre avec eux.
Mais, de grâce!, faisons-nous confiance et arrêtons de dire que « le monde ne peut se permette la perte de ce génie » [1] ou que « The world can’t afford to lose him » [2]! Inutile de verser à ce point dans le superlatif pour honorer l’oeuvre de quelqu’un. Bien sûr que le monde peut se permettre de perdre ses plus grands génies — il en a d’ailleurs déjà perdu plusieurs. Et d’ailleurs, je pense que Seymour Papert ne serait pas très fier de nous voir adopter une attitude comme celle-là dans ces circonstances.
Je l’imagine d’ailleurs bien nous dire avec une sérénité déconcertante, du haut de la tribune qui l’accueillait à Québec au printemps 2004, à l’occasion des Rencontres internationales du multimédia d’apprentissage (photo souvenir de Stephen Downes ici):
« … il faut plus que jamais poursuivre notre travail et déployer tous les moyens à notre disposition pour permettre à tous les enfants du monde de profiter de l’extraordinaire potentiel de l’ordinateur pour apprendre, pour entrer en contact les uns avec les autres et pour faire naître un monde différent dans lequel les frontières (quelles qu’elles soient) s’atténueront au profit de la solidarité qui seule permet aux êtres humains de vivre en paix… »
Franchement, je n’ai pas envie de tomber dans le pathos et de pleurer la disparition d’un être irremplaçable. On peut souffrir, on peut pleurer de peine, mais il faut en même temps nous retrousser les manches et nous demander quelle petite partie de l’oeuvre de Papert nous pourrons poursuivre chacun de notre côté lorsqu’ils nous aura quitté — parce que vélomoteur ou pas, cela serait inévitablement arrivé. [voir le commentaire #3, ci-bas, pour une précision/nuance sur ce paragraphe].
Ce que le monde ne peut assurément pas se permettre, c’est que nous ne redoublions pas d’efforts pour poursuivre le travail si brillamment amorcé par Papert. Nous en sommes dorénavant plus responsables que jamais.
Alors relisons ses ouvrages, laissons-nous inspirer à nouveau, agissons avec détermination, communiquons sa passion et sa confiance, contribuons à la réalisation de l’ordinateur à 100 $… je pense que ce sera la meilleure façon de lui rendre hommage et de lui manifester tout notre appui dans l’imprévisible épreuve qu’il traverse actuellement.
Monsieur Papert, j’ai eu besoin de vous. Vous pouvez compter sur moi!
Et on ne peut pas se permettre non plus de pleurer sa disparition, car il n’est pas disparu…
Je retiens ceci: « nous sommes responsables de poursuivre le travail si brillamment amorcé par Papert » et lui transmettons toute l’énergie nécessaire à son rétablissement…
Marc
Alors que certains cherchent à GAVER les autres de leur savoir, Monsieur Papert a toujours choisi de nous NOURRIR de ses réflexions.
C’est ce que je choisis de retenir de cet éminent passeur.
Je prie aussi pour que ses enfants et ses petits enfants puissent continuer à profiter de sa présence dans leurs vies.
Merci Clément pour ce très beau billet !
On me fait remarquer que le terme « irremplaçable » dans mon neuvième paragraphe, même en italique, est peut-être maladroit parce qu’il peut être mal interprété.
Gilles Jobin me suggère même une très belle nuance (merci!), signalant que ce qu’un être humain FAIT peut être éventuellement fait par plusieurs autres, mais pas ce qu’il EST — particulièrement pour ses proches, évidemment.
J’apporte avec bonheur cette nuance — et l’ajoute aux bonnes pensées que j’ai actuellement pour Seymour Papert, sa famille, ses amis et ses très proches collaborateurs.
J’utilise le nom de Papert pour le e-groups créé à destination des élèves débutants en programmation.Un bel hommage à cet homme plein de mérites.
La mise au point par Seymour Papert d’un environnement graphique de programmation basé sur la tortue graphique, constitue une grand progrès pédagogique que jf.lucas a utilisé longuement avec les enfants des écoles primaires et les élèves de l’association philotechnique.J’assiste M.Lucas dans son oeuvre de bénévole.