
J’ai pris part ce midi à un dîner de la CDEC de Québec, à l’occasion duquel Alexandre Taillefer — que je trouve toujours très inspirant — était le conférencier invité.
Encore cette fois, j’ai beaucoup apprécié son allocution, sauf un tout petit passage… et un autre qui m’a laissé sur ma faim. J’en retiens aussi une idée forte, dont je me ferai dorénavant aussi le promoteur. À découvrir ci-dessous.
Je trouve dommage que Le Soleil rapporte seulement les propos d’Alexandre qui concernaient le dossier du SRB et du troisième lien (les plus polémiques, surtout quand on prend bien soin d’écrire le mot taxes dans le titre de l’article), parce qu’il avait pourtant bien pris la peine de les situer dans contexte beaucoup plus large, abordant notamment le thème de l’économie sociale et de la lutte aux inégalités.
C’est entre autres pour contribuer à lutter contre cette forme de sensationnalisme que je partages ici les notes que j’ai prises pendant la conférence.
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D’entrée de jeu, Alexandre a présenté l’élection de Donald Trump comme une nouvelle manifestation de l’envie d’une partie de la population de faire tabula rasa de la politique et de l’économie telle qu’on la connaît depuis une trentaine d’années. Une envie qu’il est important de comprendre, mais qu’il ne partage pas. C’est même une chose qu’il lui apparaît absolument essentiel de contrer afin si on veut s’éviter le même genre de coup de gueule de l’électorat. Je suis bien d’accord avec lui.
Il a aussi rappelé que le Québec est une des sociétés où les inégalités entre les plus riches et les pauvres sont les plus faibles. «Il fallait être visionnaire, il y a trente ans, pour placer l’équité comme une des valeurs les plus importantes dans le développement de la société québécoise. Il ne faut pas perdre ça.» Et, pour lui, l’économie sociale est un des meilleurs atouts que nous avons pour ça. «Dans dix ans, l’économie sera sociale ou ne sera pas», dit-il. Il importe toutefois d’éviter le chant des sirènes du protectionnisme, a-t-il précisé. Reste à voir comment.
À son avis, le plus grand défi auquel est confronté la société québécoise consiste à sortir de la misère les gens qui vivent dans des conditions impossibles — à commencer par le monde du travail. D’où sa lutte en faveur d’une augmentation du salaire minimum à 15$. «Une société a des choix à faire: est-ce que c’est moralement acceptable d’offrir un salaire sous le seuil de la pauvreté à quelqu’un qui travaille à temps plein? Pour moi, c’est non.»
Pour cette raison, il faudra arriver à mieux documenter l’éthique des entreprises. Il propose pour cela de mettre en place «quelque chose comme la fiche nutritionnelle qu’on applique maintenant sur les aliments et qui nous permet de savoir ce qu’on mange… et de faire des choix». On pourrait y retrouver sur cette fiche-entreprise certaines infos sur la fiscalité des entreprises, leur empreinte écologique, les écarts dans la rémunération, etc. L’idée reste bien sûr très préliminaire, mais elle mérite certainement d’être promue.
Alexandre a témoigné du fait que c’est son incursion dans le monde du taxi qui l’a sensibilité à la réalité des travailleurs autonomes qui se retrouvent souvent dans des emplois qui deviennent rapidement des casiers à homards — des pièges dont ils deviennent prisonniers, parce qu’ils représentent leur seule source de revenus, mais qu’ils ne leur permettent pas de subvenir adéquatement à leurs besoins. Ses exemples étaient très concrets, éclairants.
C’est d’ailleurs ainsi que son propos s’est progressivement dirigé vers les questions de mobilité: notamment pour rappeler que la voiture est aujourd’hui le principal facteur d’appauvrissement individuel et collectif au Québec. Et que même s’il ne sera pas facile de renverser cette situation, ça apparaît plus indispensable que jamais.
De son point de vue, le projet de Service Rapide par Bus (SRB) de Québec est prioritaire à la construction d’un troisième lien entre Québec et Lévis. Une fois le projet déployé, et un service de très haute qualité bien en place, il faudra même envisager des mesures de tarification horaire pour l’usage des ponts (de manière à éviter une trop grande concentration aux heures de pointe) avant de projeter la construction d’une nouvelle infrastructure. Je crois qu’il y a possiblement des alternatives à la tarification, mais je crois qu’il a raison de soulever aussi cette question. Une chose est toutefois très claire: pour lui la dernière chose à faire aujourd’hui, c’est d’investir dans de nouvelles infrastructures routières. «Nous investissements c’est dans les écoles primaires et secondaires qu’on doit les faire.»
J’ai toujours apprécié tout particulièrement le fait qu’Alexandre a le courage plaider, sans trop de nuances ou de réserves, des idées qui déplaisent — et même des idées qu’il sait très bien qu’elles ne pourront jamais être populaires. Sa franchise me semble rafraichissante et je pense que c’est ce qui fait que les gens lui accordent aussi facilement leur attention.
Et c’est justement parce que je lui reconnais cette franchise, et que je l’estime au plus haut point, que je me permet de préciser le petit moment qui m’a un déplu dans sa présentation. Un moment où je l’ai senti inhabituellement vaseux.
Alexandre plaidait alors que le rôle le plus fondamental de la politique était de rendre la population heureuse. Ce avec quoi je suis d’accord. Puis, se référant aux critères du World Happiness Index (richesse collective, espérance de vie, manifestations de générosité, existence d’un filet social, liberté et absence de corruption), il a pointé la responsabilité des médias — qui ne doivent pas noircir inutilement la situation — et la nécessité de valoriser l’engagement des hommes et des femmes politique. Jusque-là, ça va.
Mais lorsqu’Alexandre a profité de l’occasion pour prendre la défense de Philippe Couillard, j’ai décroché. Il s’est appuyé pour ce faire sur le défi que le chef du Parti libéral a lancé cette fin de semaine: «Depuis que je suis chef, il ne s’est rien passé de condamnable, ou prouvez-moi le contraire!», disait-il. «Eh bien vous savez quoi, je le crois moi, a dit Alexandre. Il faut lui faire confiance, arrêter de se moquer des politiciens et cesser de faire preuve d’autant d’arrogance à leur endroit.»
Ça m’a déplu parce que je trouve ce plaidoyer était non seulement superflu, mais qu’il ne servait même pas son propos. Entretenir un climat de confiance, pour un politicien, c’est beaucoup plus que de ne pas être coupable soi-même. Et je suis convaincu qu’Alexandre le comprend très bien. Il ne faut pas confondre la confiance et la candeur.
Finalement, le moment qui m’a laissé sur ma faim est survenu à la période de questions — et cette fois Alexandre n’y est pour rien!
À son tour, un homme a soulevé le fait que Donald Trump avait été porté vers la victoire notamment par les travailleurs victimes de la délocalisation des emplois. «C’est un danger économique du passé, le prochain danger qui guette les travailleurs, c’est la robotisation et l’automatisation, et je pense que ce sera bien pire; qu’en pensez-vous M. Taillefer?».
Le manque de temps a forcé une réponse très brève — beaucoup trop brève! — essentiellement pour dire qu’en effet, aucun travailleur ne sera épargné… pas même les avocats et les chirurgiens.
J’aurais beaucoup aimé entendre Alexandre développer sa pensée sur ce sujet parce que c’est un enjeu qui m’apparaît absolument déterminant pour l’avenir du Québec… et devant lequel les politiciens actuels me semblent complètement démunis.
Ce sera pour une autre fois, j’espère.