« Je suis descendu du train à la gare de Sainte-Foy, me sentant décalé, en marge du monde qui se présentait devant moi. Imaginez le narrateur d’un roman de Modiano, mais en banlieue de Québec plutôt qu’au coeur de Paris. »
Le texte de David Desjardins dans Le Devoir de ce matin me parle tout particulièrement.
Parce que je monte et descends du train à cette abominable gare de Sainte-Foy presque toutes les semaines. Parce que j’ai eu la chance, moi aussi, de redécouvrir mon quartier perdu et ma banlieue après près de trois ans passés dans une grande ville. Parce que je l’ai marchée de long en large cette banlieue comme candidat à l’élection du 7 avril et que j’ai parlé à des milliers de personnes qui y vivent — et pas qu’à mes voisins. Parce que j’aime beaucoup Modiano, aussi!
Je ne peux pas faire autrement qu’être d’accord avec David Desjardins quand il dit:
« Mais aussi parce que d’avoir grandi, presque nous tous, dans ces communautés évasées, excentrées, ne peut faire autrement que d’avoir modifié notre rapport aux autres, à la société. Seuls, côte à côte.»
« On joue au solitaire tout le monde en même temps », résume Louis-Jean Cormier dans une chanson que j’adore. J’entends aussi les échos de The Suburbs, d’Arcade Fire.
« La banlieue, c’est le coeur battant, le sujet et le décor du bien nommé The Suburbs, troisième disque de la formation montréalaise acclamée à travers le monde depuis la parution de leur premier album, Funeral, en 2004.
« Au premier regard, la thématique peut surprendre pour un groupe indie-rock dans le vent, urbain, jeune et cool. […] The Suburbs est pavé de l’affrontement entre les souvenirs d’une époque passée et les soucis d’adultes d’aujourd’hui.
« C’est sûr que dans la vie de tous les jours, les banlieues, c’est pas toujours excitant, explique au Devoir Régine Chassagne, qui a grandi à Saint-Lambert et à Longueuil. Mais il y a quand même des drames, des histoires d’amour, des questionnements, plein de trucs vraiment profonds qui peuvent se dérouler dans un stationnement, dans un endroit vraiment banal. Je trouve ça intéressant de trouver de grandes choses dans de petites choses. »»
Source: Enfants de la banlieue, adultes de la ville, Le Devoir, 31 juillet 2010.
Mais je ne suis pas certain de partager la suite du raisonnement David Desjardins — ou d’avoir envie de le suivre sur cette voie.
« …le Cap-Rouge de mon enfance n’a plus grand-chose à voir avec celui d’aujourd’hui : bâti mur à mur, entouré de tours à condos, les contours du lac ont troqué le verger contre les châteaux de pierre.
Pour retrouver la même chose, la même idée de banlieue comme projet aux frontières un peu floues, il faut aller plus loin. Neuville, Sainte-Brigitte, Château-Richer, Lotbinière. La banlieue recule, encore et encore.»
Desjardins va même beaucoup plus loin:
« La banlieue […] incarne un idéal, une pensée. Quelque chose comme un art de vivre, dont le sens s’est par ailleurs perdu. […] La banlieue est notre course terrible pour oublier que le temps passe et nous aussi.»
Je sais bien que le rêve de la banlieue persiste, évidemment, et qu’il amènent ceux qui le portent à vivre toujours plus loin des centres-villes. Mais je n’ai pas envie de juger le(s) rêve(s) de ceux qui font ce choix.
Ce qui m’intéresse bien plus, c’est de comprendre comment se transforme le(s) rêve(s) de ceux qui voient la banlieue les quitter et qui sont forcés de s’adapter — confrontés à un exil immobile.
Je suis fasciné par la banlieue-qui-ne-l’est-plus (ou qui l’est de moins en moins). J’y vis et j’y assume mes contradictions et mes paradoxes à l’égard de la ville, mais je ne suis pas sûr de bien comprendre la portée collective de ces changements. C’est pourtant un défi politique essentiel — sur lequel le parti dans lequel je milite se casse les dents depuis de nombreuses années…
Je lirai avec grand intérêt les prochains textes de la série annoncée par David Desjardins — et je me plongerai en parallèle dans la lecture de la Revue Liberté, dont numéro 301 était entièrement consacré à la banlieue: Tous banlieusards — l’hégémonie d’un idéal urbain.