Première convocation pour la réunion de mon conseil d’administration virtuel [Jean-Paul L’Allier]

Note: Dans le cadre de la préparation de la prochaine réunion de mon conseil d’administration virtuel, j’ai écris (virtuellement) à Jean-Paul L’Allier (le virtuel), afin de lui présenter sommairement ce qui sera au coeur de l’ordre du jour de la réunion.

* * *

de: Clément Laberge (le vrai)

à: Jean-Paul L’Allier (le virtuel)

sujet: Les années qui viennent

M. L’Allier,

J’ai relu récemment le recueil de chroniques intitulé Les années qui viennent, que vous avez publié chez Boréal en 1987. Vous m’en aviez remis un exemplaire en 2004, quelques jours après le forum économique annuel de la Chambre de commerce de Québec — qui s’était déroulé cette année-là sous le thème Québec, cité éducative. J’en avais prononcé la conférence d’ouverture et vous la conférence de fermeture.

J’ai été touché en relisant la dédicace dont vous m’aviez fait l’honneur:

À Clément Laberge, qui fait si bien son devoir de citoyen, ces textes déjà vieux… et pourtant… / Jean-Paul L’Allier, 31.04.2004

Et pourtant — en effet!

Les réflexions regroupées dans ce livres sont d’une étonnante actualité. Elles parlent au présent de ce qui n’était qu’un futur presque lointain au moment de les écrire. Elles me parlent au présent de ce qui est en train de définir mon futur. Et c’est pour cela que je vous écris aujourd’hui, afin de faire appel à votre aide.

* * *

Dans une des chroniques que vous consacrez à l’éducation (Éducation et pédagogie: Place Royale et Baie-Comeau) vous développez en quelques pages un véritable projet de société pour le Québec — toujours d’une très grand actualité:

« C’est évidemment une autre façon d’imaginer les fonctions pédagogiques et scolaires […] Elle suppose que l’on se fasse une certaine idée de la culture qui ne se limite pas aux arts et à la chanson, de l’histoire, de la solidarité et de la continuité […]

« À moins de s’attaquer aux problèmes de l’éducation sous cet angle de la formation culturelle, les efforts qui pourront être faits en matière d’environnement, d’éducation civique et d’acquisition d’un minimum de conscience collective ne seront qu’un vernis et un placage sans valeur et sans résistance.

Dans L’école hors les murs, vous décrivez une autre école — toujours dans la même veine:

« On est encore loin bien sûr de l’école « hors les murs ». C’est pourtant la seule qui pourrait correspondre aux besoins des jeunes d’aujourd’hui et de demain si l’on sait comprendre ce qu’ils nous disent quand ils essaient de l’inventer eux-mêmes faute d’y être conduits ».

Dans la chronique intitulée La culture à la carte, vous décrivez remarquablement les risques de la fascination des grands événements et des super-spectacles:

« Les coûts de tous ordres n’ont que peu d’importance pourvu que le spectacle soit beau, si les gens l’aiment et si, de jeux en événements, on créé des images, des présomptions que l’on prend ensuite pour des certitudes. […]

« Comment faire en sorte que ces happenings de la culture soient autre chose que des feux d’artifice et contribuent à consolider chez nous des bases de toute première qualité en manière d’innovation et de création culturelle? […]

J’ai d’ailleurs repris de larges extraits de ce texte sur mon blogue il y a quelques jours en réaction à un texte publié dans Le Devoir. J’espère que vous me pardonnerez.

Dans L’une dans l’autre, politique et culture, vous appelez à une plus grande présence de la culture partout dans la gestion de l’État.

« Le temps des politiques culturelles cloisonnées dans un ministère qui, à l’occasion, en vernit ici et là les actions de l’État est révolu. Une politique culturelle, ça ne se plaque pas plus sur un gouvernement et sur une administration que la culture sur les personnes. Pour exister, elle doit être un choix de tout le gouvernement dans tous ses comportements, de la même façon que l’essence d’un bois ne peut pas se retrouver dans le seul bout de la planche. La culture est une façon d’être. La politique, sans culture, n’est qu’une façon de faire.

Dans Penser globalement, agir localement, vous nous mettez en garde contre la tentation de ne réformer que les structures:

« Ce n’est plus dans les structures, ce n’est pas dans les organigrammes et ce n’est certainement pas dans de nouveaux découpages de responsabilités à l’intérieur du même système administratif que l’on pourra voir poindre des solutions. »

Et dans Le beau côté des choses, vous insistez sur l’importance de choisir ce à quoi on consacre du temps:

« La masse des informations disponible s’accroît à une vitesse géométrique et les recoupements que permet l’informatique augmentent jusqu’à l’infini les données, les informations et les connaissances nouvelles théoriquement accessibles. […]

« Cette accélération fulgurante des informations et des technologies autant que dans les rythmes de vie ne s’applique évidemment pas uniformément à tous les secteurs de l’activité humaine pas plus que nous n’y sommes également soumis.

« Les décalages deviennent dès lors plus évidents et, face à bon nombre d’innovations, des structures, des organismes ou plus simplement des façons de voir tout à fait valables hier paraissent aujourd’hui complètement dépassés et quelques fois même absurdes. […]

« À moins de tomber dans le mouvement perpétuel et sans orientation précise, d’accepter de consacrer toutes ses énergies et ses ressources à répondre aux appels du changement pour lui-même, d’où qu’il vienne et à quelque moment que ce soit, il faut donc CHOISIR. Il faut savoir ce que l’ont veut, ce que l’on défend, ce que l’on est prêt à faire ou à combattre. Il faut retrouver SES principes. […]

Tout ces textes, et bien d’autres de ceux qui sont regroupés dans ce livre, m’ont très fortement interpellé, mais aucun ne l’a fait autant que La notion du temps et des saisons (c’est à ce texte que le livre doit son titre, je crois). Rappelez-vous:

« Quelles que soient nos raisons, on a tous une saison favorite dans l’année, et dans un pays comme le nôtre, il n’y a ni beaucoup de place, ni beaucoup de temps pour les nuances au moment de passer de l’une à l’autre. […]

« Personnellement, j’aime l’automne autant que le printemps et plus que l’hiver et même l’été. C’est une saison de travail, de mise à jour et d’inventaire. C’est aussi une saison d’espoir puisqu’en définitive, on sait qu’il y aura l’hiver mais qu’après l’hiver, les cycles de vie recommenceront.

« L’automne est à la fois nuance et contradiction, je pense qu’il en est de même, à certains moments, de l’organisation des sociétés et de la vie politique comme de la définition des choix culturels et sociaux. Aux époques de forte polarisation succèdent où  ceux qui sont d’abord des gens d’action se retrouvent plus difficilement à l’aise au sortir de leurs bagarres et au moment où les tensions dont ils étaient à la fois victimes et sources n’entraînent plus le militantisme. […]

« Comment ne pas voir partout les signes qui indiquent que le rêve québécois comme « la certaine idée » que l’on pouvait se faire de son avenir au cours de la dernière génération par exemple, change maintenant de couleur plus vite que les feuilles des arbres. Ceux qui ont tout mis dans ce rêve, soit pour le promouvoir, soit pour s’y opposer, sont apparemment sans alternative d’action valable à ce moment-ci. » […]

« … les années qui viennent seront peut-être celles où en apparence il ne se passe pas grand-chose et où on attend effectivement que quelque chose arrive. Je pense que ce seront surtout celles où se referont les forces, où les idées se mettront en ordre, où de nouvelles cohérences pourront se définir par rapport aux moyens qu’on doit se donner pour atteindre comme société les niveaux de qualité et d’excellence que nous souhaitons pour nous-mêmes et pour les autres. Des années difficiles pour les politiciens, mais propices à la politique: des années de mutation.

« Il me répugne d’imaginer que l’automne soit définitif et que l’hiver puisse n’avoir jamais de fin. Même si c’était là une évidence, je voudrais quand même croire à mieux et à plus beau pour l’avenir.

« C’est maintenant le temps d’écouter à nouveau les gens d’idées, les architectes, les créateurs, les concepteurs et même les rêveurs pour les entendre imaginer l’avenir, choisir des créneaux et proposer des stratégies pour en arriver à faire que nous soyons autant que possible parmi les meilleures partout où nous ne sommes pas les plus forts. Et s’il se trouve encore quelques spécimens de cette race rare et souvent malmenée par les caprices de la concurrence économique, demandez-leur de réapprendre à parler, de réinventer l’université et de prendre le pouvoir, le temps de deux saisons, pour esquisser, militants sans uniformes et sans partis, les possibles imaginables. »

Vous aviez quarante-cinq ans, ou à-peu-près, quand vous avez écrit ces textes. J’en ai aujourd’hui trente-huit. Vous aviez quatre jeunes enfants. J’en ai trois. Vous aviez déjà été ministre et délégué du Québec à Bruxelles, mais vous n’aviez pas encore commencé la partie de votre vie qui correspond à l’image que j’ai de vous, comme maire de Québec.

Je suis évidemment curieux de savoir l’analyse que vous faites de la situation du Québec aujourd’hui. Quelle saison croyez-vous que nous traversons? Quand viendra le printemps? Et quels sont les moyens qui vous semblent les plus adéquats pour faire apparaître les possibles imaginables?

Mais plus encore — et c’est la raison pour laquelle je m’adresse à vous — j’aimerais pouvoir compter sur votre sagesse et vos conseils quant à la manière d’esquisser également, sur un plan plus personnel, mes propres possibles imaginables; et pour mieux définir comment je pourrais dans le futur prendre le pouvoir encore un peu plus que je n’ai su le faire jusqu’à présent.

Accepterez-vous de participer, dans cet esprit, à la prochaine réunion de mon Conseil d’administration virtuel?

Salutations distinguées,

Clément

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