Les éditeurs ne comprennent vraiment rien (croient certains)

C’est parfois bon de se faire secouer un peu, se faire rappeler à l’ordre, voire se faire dire ses quatre vérités — c’est vrai! Mais je n’aime pas qu’on discoure de façon pontifiante au sujet des éditeurs.

À lire certains textes, au cours des derniers jours, j’ai eu l’impression que certains croyaient vraiment que les éditeurs ne comprennent rien à rien: ni au livrel — les appareils —, ni à la commercialisation du livre numérique, ni même à la nature des œuvres, voire aux besoins des auteurs et des lecteurs. Franchement!

Je suis évidemment d’accord pour dire que les éditeurs ne comprennent pas tout, ni individuellement ni collectivement d’ailleurs, mais peut-on pour autant leur faire la leçon sans nuance sans présumer qu’il y a sans doute quelques aspects de leur profession qui nous échappent parfois? Une partie de leur réalité économique aussi? Et qu’ils ne sont pas plus cons que nous et que leurs actions sont aussi guidées par des réflexions — qu’on a par ailleurs tout à fait le droit de ne pas partager.

Pris, plus que jamais, par des développements concrets, en rapport avec des éditeurs qui font face à des défis tout aussi concrets, sur qui comptent des auteurs en chair et en os, qui ont investi tout leur coeur dans l’écriture de leur oeuvre… je manque de temps pour formuler aussi bien que je ne l’aurais souhaité plusieurs des réflexions qui me sont passées par l’esprit au cours de la semaine. Néanmoins…

…j’aimerais dire à Carl-Frédéric que j’ai apprécié qu’il revienne sur son texte au sujet du Kindle 2 pour le nuancer un peu, en interpellant les acteurs du monde du livre de façon un peu plus constructive. Reste que plusieurs des questions posées, notamment aux libraires, apparaîtront probablement candides à plusieurs de ceux et celles qui consacrent leur vie à mettre en contact des lecteurs avec des oeuvres. La prochaine étape, cher cousin, serait de passer en mode proposition. Que suggèrerais-tu à un libraire aujourd’hui?

…j’aimerais dire à Michaël (comme je l’ai fait en d’autres mots, sous forme de commentaires, sur son blogue) qu’il faut arrêter de parler ainsi du livre imprimé, du livre numérique et du lecteur — la réalité est plus complexe: il  y des types d’oeuvres, des types de livres, des types de lecteurs, des contextes de lectures plus variés que jamais, etc. Il y a aussi (surtout?) toute une réalité industrielle derrière le livre dont il faut tenir compte quand on veut comprendre les transformations en cours dans le monde du livre.

…j’aimerais aussi remercier à Hugh pour son précieux témoignage au sujet de son expérience avec Librivox (que j’utiliserai dorénavant en formation). Mais aussi lui dire que je trouve très incomplet son raisonnement sur l’apparente simplicité de la commercialisation du livre numérique:

The old Publisher-Distributor-Retailer model [..] seems to prevail still into the digital age, for reasons that seem to make some sense when someone passionate is explaining them to you insistently. And then you walk away and say: What? That doesn’t make any sense at all! It’s the Internet! It doesn’t have to be like that at all.

Si le raisonnement proposé m’apparaît valable pour de nouveaux éditeurs, pur numérique (et encore!), je ne pense pas qu’il le soit pour les éditeurs dont les équilibres financiers reposent en large partie sur l’édition imprimée (et, cela, pour encore bien des années) — qui ont plus que jamais besoin des libraires notamment — et d’un réseau de librairies, pour assurer la vente des oeuvres qu’ils publient. Et même pour les purs numériques… je me méfie de la concentration de la vente dans un lieu « central ». L’essence d’Internet, ce n’est pas la centralisation, c’est la distribution, l’accès multipoint, la mise à disposition par tous les intermédiaires possibles — ce sont des écosystèmes économiques plus riches et plus diversifiés que le brick and mortar, pas moins! À cet égard, je m’en voudrais de ne pas souligner au passage la (ré)apparition de immatériel.fr — et tout particulièrement la présentation qu’en fait François Bon.

C’est vrai que cela pourrait être tentant de bypasser tous les intermédiaires entre l’éditeur et le lecteur (voire entre l’auteur et le lecteur — une fois partie!) — et c’est peut-être possible dans certains cas… mais je refuse de m’engager dans cette voie. Je préfère miser sur le fait que la diversité des acteurs qui unissent leurs forces pour permettre la rencontre d’une oeuvre et d’un lecteur. Alors oui pour réévaluer les frontières des rôles de chacun ainsi que la manière dont ils se partagent les revenus — et à chacun de trouver la manière de valoriser son expertise — mais je réfute qu’il faille baser notre raisonnement a priori sur la disparition de l’un ou l’autre des acteurs, en faisant l’hypothèse que cela bien mieux ainsi.

Cela peut sembler très abstrait comme raisonnement, mais c’est tout le contraire! C’est au quotidien, dans de petits et de grands choix, que cela se détermine. C’est ce qui explique, par exemple, le choix de De Marque de ne pas opérer un magasin de livres numériques québécois en ligne, mais de mettre plutôt à la disposition de tous les libraires qui le souhaitent un accès équivalent à un entrepôt de fichiers développé collectivement avec l’ANEL — sachant que si tous les libraires ont (potentiellement) accès aux fichiers, nous risquons moins de voir un seul acteur acquérir d’aussi outrageantes parts de marché qu’Amazon a pu le faire aux États-Unis, par exemple.

Attention: je ne plaide pas pour le statu quo! Je reconnais que les rôles doivent évoluer. Je dis seulement que ce la m’apparaît une très mauvaise piste de miser sur un appauvrissement de la chaîne du livre (je reviendrai par ailleurs éventuellement sur cette expression qui me semble désuète) — soi-disant pour simplifier le passage au numérique.

Tout cela est un peu en vrac — je m’en excuse. J’ai néanmoins préféré partager ces quelques traces que de tout garder pour moi dans l’attente d’un improbable meilleur moment pour écrire.

Heureusement, il y a aussi eu cette semaine cette entrevue avec Gilles Pellerin (audio), à Ça me dit de prendre le temps, qui démontre bien qu’il n’y a pas que les éditeurs les plus geeks qui ont une réflexion sur le numérique et sur l’avenir du livre… Merci Gilles!

4 réflexions sur “Les éditeurs ne comprennent vraiment rien (croient certains)

  1. Tu sais Clément, tout ce que j’ai posé comme question, c’est ce que les lecteurs de e-books apportaient de plus que l’expérience « livresque ». Je n’avais aucune intention de polémique comme tu le prétends dans ton commentaire sur mon blogue, mais juste envie de mieux comprendre. En me catégorisant pour cette raison dans la gang des « certains » qui croient que les éditeurs ne comprennent rien, je pense que tu franchis un pas drôlement douteux.

    Peut-être que la réalité industrielle du livre est plus complexe que ce que « certains » pensent, mais je ne crois pas que cela influence les choix des consommateurs, ni même ne leur effleure l’esprit quand ils achètent un livre (ou pas).

    Si les questions posées par CFD sont trop candides au goût de certains acteurs de l’industrie du livre, disons que les réponses fournies jusqu’ici font aussi sourire ou rager ceux qui, au bout du compte, déciderons de l’avenir de cette industrie: les clients. Et il arrive qu’ils se posent des questions, mais à voir le ton des réponses, on doutera qu’ils en poseront d’autres! :)

  2. Si j’essayais de faire un commentaire rassembleur, je dirais «qu’on en parle en mal, qu’on en parle en mal, l’important c’est qu’on en parle». ;-)

    Plus sérieusement, je pense que ces échanges récents sont un signe qu’il se passe «quelque chose» (comme si on n’avait pas assez d’autres signes…), et que visiblement c’est un sujet qui passionne. Et que globalement, tout ça est une bonne chose.

  3. oups… c’était évidemment «qu’on en parle en mal, qu’on en parle en bien» (et pas en «mal» deux fois, parce que là ça serait déprimant!)

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