Nous attendions l’ouverture du Salon du livre dans une lumière étincelante, celle du printemps de Paris. Les portes auraient dû être ouvertes depuis une bonne vingtaine de minutes. L’impatience s’emparerait peu à peu de la majorité d’entre nous.
Elle semblait échapper à l’impatience. Plongée dans sa lecture, assise sur une valise, bottes aux pieds, sac de voyage ouvert à ses côtés.
Intrigué, je me suis éloigné du groupe pour m’en approcher un peu — déambulant, l’air de rien, pour éviter d’attirer son attention.
L’étiquette sur son sac indiquait qu’elle était arrivée le jour même à Paris, CDG, en provenance des États-Unis, par US Airways. Elle lisait un livre dont je reconnaissais la maquette sans pouvoir en lire ni le titre ni l’auteur. J’ai volontairement échappé ma cocarde près d’elle afin d’en apprendre un peu plus. J’ai pu voir qu’elle lisait Soifs, de Marie-Claire Blais.
Me redressant, cocarde à la main, j’ai croisé son regard. Elle a certainement pu voir la surprise dans le mien. J’aurais pu lui parler, mais les portes se sont ouvertes et j’ai rapidement rejoint les collègues. Elle a dû se lever, emporter son sac et sa valise puis entrer à son tour au Salon, quelques pas derrière moi. Je ne l’ai pas revue. Je ne sais pas qui elle était. Et je l’ai oubliée.
Jusqu’à hier matin.
Je venais de déposer Le Devoir du samedi sur la table de la cuisine. Un peu trop vigoureusement, peut-être, parce que le bulletin d’information des éditions du Boréal s’en est aussitôt échappé — avec en couverture le profil d’un visage féminin dont les airs me sont apparus familiers. Une très belle couverture, colorée, très efficace pour attirer l’attention.
Aussitôt ouvert, j’ai pu constater dans le petit catalogue saisonnier que cette très belle image était en fait la couverture du plus récent livre de Marie-Claire Blais, Le jeune Homme sans avenir — expressément présenté comme le sixième volet de la série romanesque Soifs…
Ce visage, ne pouvait qu’être que le sien.
Et, cela, vraiment la plus étonnante façon de croiser à nouveau son regard.