Une réalité!

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« L’édition numérique est maintenant devenue une réalité » — c’est le sous-titre d’un article de Frédérique Doyon, publié dans Le Devoir de ce matin. Avec même une belle visibilité à la une du journal: « Papier ou numérique? Lire, mais comment? ». Je me réjouis évidemment de lire ça!

C’est un article qui prend pour point de départ « l’indignation qu’a suscitée le virage numérique de Marie Laberge et d’Arlette Cousture ». J’ai déjà exprimé plus tôt cette semaine que je trouvais cette indignation disproportionnée. J’ajoute qu’elle est contreproductive, parce qu’en donnant une portée symbolique aux décisions de ces deux auteures, on risque de perdre la vision d’ensemble.

L’indéniable réalité est que le monde du livre est en profonde transformation, partout dans le monde — sous plusieurs influences, dont l’intérêt des grandes chaînes pour les bestsellers, mais aussi le développement du commerce électronique, le développement du livre numérique et les nouvelles formes de médiations culturelles qui se développent autour des réseaux sociaux. Avec tous les effets associés à ces forces de transformation : accès facilité à des livres en langues étrangères, modification des rôles des acteurs de la « chaîne traditionnelle du livre », changements aux équilibres économiques associés, etc.

On ne peut pas plaider l’ignorance : on le constate partout, sous des formes diverses, et avec une très grande brutalité dans certains marchés (et en particulier aux États-Unis), et avec des effets plus lents, insidieux, dans d’autres marchés — en particulier dans des endroits, comme le Québec, où le marché est fragile en permanence et où tout déséquilibre économique se fait cruellement sentir par les acteurs les plus vulnérables.

Dans ce contexte, je me réjouis évidemment que les libraires indépendants serrent les rangs et qu’ils manifestent pour démontrer leur importance dans la culture et dans l’économie québécoise — et, plus encore peut-être, dans le développement de l’identité québécoise. J’ai envie d’ajouter que la librairie est essentielle à la démocratie — pour permettre la circulation des idées et la qualité des débats.

Mais on ne peut pas nier que ça fait des années qu’on sait qu’on va passer par où on est aujourd’hui! Ça fait l’objet de je ne sais combien de milliers d’heures de discussion, de colloques, de tables de concertation, de documents plus-ou-moins-tablettés, et quoi encore? Je ne compte plus les tribunes où j’ai eu l’occasion de le dire, le nombre d’aller retour Québec-Montréal que j’ai pu faire pour aborder ces questions.

Une réglementation du prix des livres neufs fait certainement partie des moyens qu’il faut mettre en place pour nous aider à passer à travers les prochains bouleversements (j’ai déjà pris position là-dessus), mais on sait tous que ne sera certainement pas suffisant. Il est de plus en plus urgent de redoubler d’efforts pour aborder ces changements avec une attitude plus ouverte à l’innovation — en particulier pour ce qui concerne le livre numérique.

Il va falloir accepter de prendre plus des risques. Il va falloir oser travailler ensemble autrement, accepter de revoir les frontières des rôles traditionnels de chacun, sortir davantage des sentiers battus. On l’a fait un peu dans les dernières années, on n’a pas tout mal, mais faudra faire bien plus. Et investir davantage évidemment. Rejeter certains réflexes protectionnistes aussi — parce qu’il y a de ça aussi, et pas que chez les petits acteurs (faut quand même pas le nier!).

Il faut urgemment réaffirmer que le numérique n’amène pas avec lui que des menaces. Qu’il représente aussi une extraordinaire opportunité pour la culture québécoise en général et pour le livre, en particulier. « Sauvons les livres», certes! Mais pas en le protégeant du numérique. Pour « sauver les livres », il faut le/se projeter dans ce nouvel espace avec davantage d’enthousiasme (ce qui n’est pas contradictoire pas une certaine prudence).

« L’édition numérique est maintenant devenue une réalité ». Il aura fallu cinq ans entre la mise en place de l’Entrepôt numérique par De Marque, en partenariat avec l’Association nationale des Éditeurs de livres (ANEL), pour avoir le plaisir de lire ça dans un grand quotidien québécois… c’est très long, trop long… Il va décidément falloir que les prochaines étapes se franchissent plus rapidement.

6 réflexions sur “Une réalité!

  1. D’où ma réflexion à propos du geste de Marie Laberge et d’Arlette Cousture, que ce n’est pas juste un mauvais geste. Ça aura été utile pour tout le monde au Québec. Je salue leur courage d’essayer, d’oser le changement.

  2. @clement, inutile de te dire que heureusement que de temps en temps tu es là pour rencentrer le débat. Sauvons les livres est un mouvement purement politique et aucunement pragmatique. Perso ce n’est pas que l’on réglemente le prix du livre qui me dérange – je crois que c’est nécessaire – ceux sont les arguments purement démagogiques qui sont martelés toutes les 5 minutes par les professionnels de la chaîne du livre, plus soucieux de préserver leurs (maigres) acquis que de réfléchir et surtout agir pur s’adapter à une dévolution évidente de notre façon de consommer des biens culturels dématérialisés dans une société qui veut et qui est de plus en plus connectée, en faisant croire que cela va sauver les libraires et en culpabilisant les consommateurs. Oui le livre papier est trop cher, surtout quand on sait comment les maisons d’édition québécoises sont subventionnées jusqu’à cou. C’est pas les maisons d’édition qu’il faut subventionner, ce sont les auteurs, autrement dit les créateurs. Bref, c’est un autre débat.

  3. +1 pour le commentaire de Jean-François. Cela fait en effet une quinzaine d’années que je suis ta réflexion sur le numérique, Clément, de L’Infobourg (éducation) à De Marque (édition). Cela fait 15 ans que tout a été envisagé, imaginé, expliqué… mais que l’inertie propre aux systèmes complexes empêche celui de l’industrie éditoriale d’opérer convenablement et efficacement sa mutation.

    En temps que simple lecteur, je refuse que celle-ci s’opère au détriment de mes droits acquis.

    * Le livre physique m’a toujours laissé le choix de l’environnement dans lequel je le dévore: bibliothèque, transport en commun, chambre à coucher, peu importe. Il n’y a aucune raison que cela change et que je me laisse imposer un environnement quelconque — iPad, Kindle, Kobo, iOS, Android ou autre — plutôt qu’un autre.
    * Le livre physique m’a toujours laissé le choix du magasin où je l’achète, que ce soit chez Archambault, Renaud-Bray, Costco ou ma librairie de quartier. Je refuse que cela soit différent dans l’univers numérique. Le livre est et doit rester librement accessible à tout libraire, donc à tout lecteur. Je veux être en mesure de l’acheter chez Kobobooks.com autant que sur Amazon, iTunes. Archambault.ca, NumerikLire.net, voire même le petit site de ma librairie de quartier.
    * Le livre physique a un prix mais je peux ensuite le lire où je veux, quand je veux. Je peux aussi le prêter à ma famille ou à mes amis. Je peux aussi le revendre sur le marché de l’usagé. Je refuse que cela change dans l’univers numérique, à moins que l’on me le loue et ce, bien sûr, à une fraction du prix.

    Je veux donc voir apparaître rapidement des services intelligents de transfert provisoire de ce livre numérique acheté au prix fort vers le compte de lecture de ma fille, de ma blonde ou de mon ami. Au terme de la lecture, je pourrai le récupérer afin de le relire ou de le prêter à quelqu’un d’autre.

    Je veux aussi qu’on me laisse le droit, voire que l’on me donne les outils me permettant de revendre mon livre à un prix raisonnable pour tout le monde — pour moi, pour l’acheteur, pour l’éditeur et pour l’auteur aussi, car avec un peu d’imagination, il n’est pas difficile d’imaginer un système de revente qui profitera également aux auteurs. Ceux-ci pourrait percevoir une fraction du prix de revente, oui, pourquoi pas?

    Au temps de Gutenberg, ce n’était pas forcément très simple d’imaginer une économie de masse du livre physique, comprenant des auteurs, des traducteurs, des éditeurs, des avocats, des usines de pâte à papier, des imprimeries, des réseaux de distribution incluant des commerçants, des chaînes spécialisées et des supermarchés. Cela a pris du temps, mais cela s’est fait.

    La révolution du livre numérique n’est pas si différente. Elle entraînera l’apparition de nouveaux usages, de nouvelles richesses, de nouvelles formes de civilisation, mais elle ne doit pas se faire au prix d’une régression des usages et d’une privation des libertés. Les auteurs doivent continuer à inventer et à s’épanouir. Les lecteurs aussi.

  4. Je ne veux pas voir disparaître les livres, rien contre le numérique, mais je vais continuer à acheter des livres! J’aime les livres depuis toujours, pour les acheter, les prêter et les garder, car ils sont précieux. Lorque j’ai élevé mes filles, elles avaient une grande bibliothèque, remplie de livres, de toutes sortes. Aujourd’hui, j’ai un petit fils qui adore aussi les livres, car ce sont les plus précieux cadeaux à offrir aux enfants. Ma mère a lu jusqu’à sa mort, 94 ans, et c’était toujours un pur bonheur de la voir dévorer les livres qu’on lui offrait! Je ne peux me résigner à mettre de côté les livres! Regarder un livre avec un enfant, le voir tourner les pages, le voir s’émerveiller devant les images, et surtout, lorsqu’il a lui même choisi le livre qu’il veut regarder avec moi, c’est ça le bonheur! Ce moment que l’on prend pour savourer un livre, tourner les pages, le partager, rien ne pourra jamais remplacer cela!

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