Dans La route du Pays-Brûlé, Jonathan Livernois nous invite à réfléchir avec lui — presque à voix haute — sur la signification du mouvement souverainiste aujourd’hui. Et ce n’est pas l’enthousiasme qui domine le livre, c’est le moins que l’on puisse dire.
«Je suis un peu moins souverainiste, par les temps qui courent. Surtout depuis l’automne 2015. Le déclencheur a été d’une banalité déconcertante : une publicité électorale du Bloc québécois qui cherchait maladroitement à amalgamer un niqab et un oléoduc. »
L’auteur a été très défavorablement marqué par «le PQ de la Charte des valeurs» et les débats qui ont teinté cette courte période de notre récente histoire politique. Il est aussi très cynique quand il parle des hommes et des femmes politiques, en général.
«Qu’est-ce que le Québec, aujourd’hui ? Un espace où les inégalités augmentent aussi vite que le désabusement envers nos politiciens […] Un wannabe pays qui n’est pas capable de créer un récit commun qui a de l’allure.»
«Pourquoi [les jeunes voudraient] se bâdrer d’un pays infirme?»
C’est dur. J’ai lu là une forme de détresse. Remarquez, c’est peut-être une projection de ma part — comme un refus de céder à la même analyse, trop sombre; irréconciliable avec mon niveau d’engagement actuel.
Heureusement Jonathan Livernois n’abandonne pas complètement — on peut même se demander s’il ne cherche pas, quelque part, à provoquer le lecteur qui, comme moi, se dirait «ben voyons donc, je ne veux pas en venir là moi aussi…».
Il offre d’ailleurs quelques piste à ces lecteurs:
«[j’espère trouver] ce qui permettrait de dire : voilà, le Québec, c’est n’importe quoi depuis un bout de temps, mais ça vaut la peine qu’on se batte pour lui.»
C’est un paragraphe qui résume très efficacement, il me semble, la situation dans laquelle on se trouve — de ce qui nous fait soupirer tous les jours à la lecture des journaux — ou pire, en regardant les réseaux d’information continue.
Je suis d’accord avec Jonathan Livernois quand il propose que «l’amour du pays devrait s’enraciner dans la conscience des défis qui l’attendent.»
Je pense, moi aussi, que c’est en identifiant les défis auxquels nous sommes confrontés — comme peuple, comme nation — que nous allons retrouver l’énergie de nous battre pour se donner les moyens de les relever.
Il y a même une source d’espoir là-dedans, bien cachée dans la deuxième partie du livre.
Il faut relever les yeux, regarder l’horizon, droit devant. Et c’est à ce moment-là, seulement, qu’on redécouvre vraiment l’utilité du pays politique pour espérer réaliser nos rêves et nos aspirations.
Il ne s’agit pas tant de vendre mieux le projet d’indépendance aux jeunes (notamment), mais de (re)partir de leurs aspirations pour (re)faire la démonstration qu’il sera plus facile de les réaliser dans un Québec pays que dans un Québec province.
Ce n’est pas un problème de marketing, c’est une question de (re)partir de leurs priorités et d’être guidé par l’empathie.
«[le défi consiste à] se voir tel qu’on a été et tel qu’on pourrait être. Et apprendre à connaitre le chemin entre les deux, en discutant, en faisant des plans, en réinvestissant des lieux propices à l’éclosion de l’imaginaire.»
«Ces lieux d’invention du pays, de solidarité, sont nombreux, de la place publique à la réunion d’amis.»
Le pays prend forme partout, tous les jours.
***
Je trouve que Jonathan Livernois néglige toutefois dans sa réflexion une chose très importante: le nécessaire dialogue entre la société civile et le monde politique.
Les raisons qui font qu’il est «un peu moins souverainiste par les temps qui courent» me semblent beaucoup trop conditionnées par les discours des politiciens.
La démarche vers la souveraineté du Québec n’appartient pas aux politiciens. Notre détermination ne devraient pas fléchir simplement parce que le monde politique se trouve un moment embourbé — ou même égaré. Ça peut être une source de frustration, mais ça ne devrait certainement pas nous amener à la résignation.
On peut bien sûr certes espérer des moments où « la communion entre le peuple et ses leaders politiques autour d’enjeux démocratiques [peut créer] une tempête parfaite», mais ce n’est généralement pas comme ça que les choses se passent.
Les sociétés avancent parce que certaines personnes choisissent de s’engager dans les réunions d’amis, d’autres dans leur milieu de travail, d’autres dans leurs écrits ou dans l’enseignement ou la recherche, et d’autres encore sur la place publique, notamment en politique. C’est seulement de la somme de toutes ces actions qu’un mouvement finit par émerger pour permettre à la société d’évoluer — et possiblement définir les contours d’un nouveau pays.
C’est uniquement dans le dialogue entre la société civile (la cabane à sucre, les amis évoqué par l’auteur) et le monde politique que le pays se trouve défini. Pas seulement par l’un ou l’autre.
Pour cette raison, je trouve que remettre en question ses convictions souverainistes parce qu’on n’a pas apprécié le projet de Chartes des valeurs, par exemple, c’est accorder beaucoup trop d’importance aux hommes et aux femmes politiques, qui ne sont, dans les faits, qu’une partie des rouages nécessaires à la réalisation d’un projet qui les dépasse largement (et dans lequel il ne font souvent qu’un bref passage).
Et c’est ce qui explique qu’en refermant le livre, j’avais surtout envie de dire à Jonathan Livernois de relever un peu les yeux pour porter son regard sur l’horizon, droit devant, là-bas, un peu plus loin que la colline parlementaire et la tribune de la presse.
On se retrouvera là un jour, très certainement.
Merci, Clément, pour cette lecture qui me donne à réfléchir sur ce projet qui témoigne d’un état d’esprit qui n’a guère changé. Chose certaine, la course actuelle ne change pas la donne.
Ce que tu pointes du doigt, et c’est sans doute vrai, c’est ma perspective étatiste et politique, porte étroite sur la question nationale. Certes, l’ancrage est également culturel, et les nombreux passages du bouquin sur le (et mon) passé canadien-français, en témoignent assez bien, me semble-t-il. Mais tu as raison de dire que les déceptions et les remises en question d’aujourd’hui sont engendrées par les positions d’un parti auquel je tiens encore un peu à cause de la nostalgie de 1976, y trouvant une image d’encoche dans la ligne du temps. Mais pourrais-je faire autrement? La société civile, par-delà la colline parlementaire, qu’est-ce qui l’informe? Quel est son pouvoir effectif sans direction politique? Sans impulsion directe ?
L’importance de la politique et l’impossibilité, pour moi, de la détacher de la question nationale, s’expliquent, je crois, par deux raisons :
1) L’influence, sur ma pensée, de On Revolution d’Hannah Arendt. Sa perspective sur la Révolution américaine a marqué plus que je le croyais ma propre vision de la politique québécoise, qui est devenue, peut-être à tort, téléologique. Pour elle, la politique est essentiellement la gestion de l’espace commun, de cet espace-qui-est-entre-les-hommes, et ce sont les cadres légaux et étatiques d’une société – constitution et lois – qui permettent d’atteindre une certaine égalité entre ses citoyens. Le contre-exemple, pour Arendt, est la Révolution française, qui s’est lancée, pendant la Terreur, dans une quête d’authenticité qui a voulu jeter tous les masques, même celui de la personnalité juridique. Une révolution qui a voulu régler les problèmes sociaux en les projetant sur la scène politique et qui a été, au final, dévoyée. Je ne partage pas cette séparation du social et du politique, chez Arendt, mais je crois que j’en suis resté à un cadre légal, politique, et que cela m’empêche peut-être de sortir de la politique et de ses déceptions, inévitables.
2) Ma volonté d’éviter le piège de l’apolitisme des idées, tendance lourde de l’histoire des idées au Québec. On sait trop comment la mystique a marqué les esprits, comment la politique était nécessairement décevante pour les idéologues du début du siècle, par exemple, parce que corrompue, parce que jamais à la hauteur des idéaux. Dominante de la pensée canadienne-française, disait Michel Brunet, l’antiétatisme a fait le jeu d’un nationalisme culturel, de l’acceptation de pouvoirs limités sur la destinée du Québec. On sait que le mépris de la politique par les Canadiens français, idée relayée par Trudeau, Vadeboncoeur, Fernand Ouellet, Frank Scott et combien d’autres pendant les années 1950, est fausse, ce qui ne l’empêche pas de persister. J’ai voulu éviter le piège. Mais, à tout prendre, je me condamne à la déception. Je pense au chanoine Groulx, à la suite de la première victoire de Duplessis en 1936, ayant l’impression que plusieurs ont été roulés dans la farine, que l’homme décevra, inévitablement. En 1944, il dit ceci, que je médite, comme quoi on trouve de tout chez cet homme:
« Les politiciens? Si l’on songe que les 3/4 des politiciens canadiens-français sont ou des ratés pour qui la politique est profession alimentaire, ou des arrivistes étroitement partisans, on aperçoit un peu quelle doctrine politique ils enseignent à leurs électeurs. Pourtant, nous aurions tant besoin d’une grande politique, d’un souffle, d’un stimulant qui soulèverait la nation. (…) Nous avons attendu une délivrance, un coup de vent chaud, généreux, vivifiant, qui n’est jamais venu. Que faire? Se terrer dans la tour d’ivoire? Séjour, habitation tenable pour les oisifs, les fatigués avant d’avoir travaillé, les égoïstes d’âme trop étroite pour y loger la foi et l’espoir. L’autre jour, au cours d’une promenade dans le bois des alentours, je fus témoin d’une scène magnifique. Une nuée de corbeaux croassants tourbillonnaient autour d’un orme gigantesque. Ils donnaient la chasse à un épervier. Le magnifique oiseau s’était perché au sommet de l’arbre. Autour de lui la tempête des croassements et des battements d’ailes faisait rage. Les corbeaux décrivaient au-dessus de sa tête des vols et des becs menaçants, fous de colère. L’oiseau, impassible, droit sur ses ergots, la tête dédaigneuse, ne bougeait point, aussi étranger apparemment à l’ouragan que s’il se fût trouvé seul. De temps à autre, comme pour marquer sa victorieuse emprise sur soi-même, ou narguer ses assaillants, il éructait son cri rauque, aigu, et remuait tranquillement le bout de ses ailes. Quel symbole! »
Je retiens cette idée de « victorieuse emprise sur soi-même »…
Merci, Clément.
Au plaisir,
Jonathan.
Bonjour Clément,
Toujours très intéressant et inspirant de te lire!
J’aimerais bien avoir cette facilité que tu as à si bien écrire!
Dans la continuité de tes réflexions et de celle de M. Livernois, j’écoutais aujourd’hui une entrevue de Roméo Bouchard à l’émission Éconophile à CKRL que je t’invite à écouter si tu as le temps (http://c1f2.podcast.ustream.ca/a/128352.mp3) . M. Bouchard traite, entre autres, de la forte emprise des banques sur notre système de gouvernance actuel. Cette entrevue fait aussi référence à son nouveau livre qui vient de paraître « Survivre à l’offensive des riches » (Écosociété). M. Bouchard parle aussi beaucoup de constituante et de nouveaux modèles de gouvernance, comme Gabriel Nadeau-Dubois, qui, pour moi, m’inspirent beaucoup et me donnent beaucoup d’espoir face à ces nouveaux courants idéologiques. Ce n’est assurément pas pour demain matin, mais je suis confiant que la nouvelle génération emboîtera le pas pour mettre au rencart notre modèle actuel passéiste, dirigé par, ce que je considère souvent, par des « politiciens dinosaures », autocratiques….! J’ai aussi retrouvé un article de M. Bouchard dans le devoir que je t’invite à lire: http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/471608/plint-chaud-la-constance-de-l-indigne
Bonne écoute, bonne lecture et je t’encourage de continuer de nous inspirer et nous nourrir par le billet de ton blogue!
Salutations,
Normand