Hier, Gabriel Nadeau-Dubois a dit, parlant de Québec Solidaire: «nous sommes prêts à former un gouvernement».
Une amie a rapidement réagi: «Hey boy. Les deux pieds sur terre, toi.»
Une autre a nuancé: «Au moins ils savent rêver. (…) C’est pas mal plus que les autres partis font».
Je trouve que c’est une belle occasion de suggérer une distinction entre «savoir rêver» et «être inspirant».
De mon point de vue, ce n’est pas tant de rêves qu’il manque dans la politique québécoise, mais bien de projets inspirants.
Des projets qui font rêver c’est bien, certes, mais des projets qu’on peut croire possibles, réellement, à plus ou moins court terme, c’est encore mieux. Et c’est ce qu’une majorité de gens souhaitent, et attendent, de plus en plus impatiemment.
Ce qu’il nous manque, ce sont des projets concrets, pour lesquels ont peut avoir le goût de se retrousser les manches. Des projets qu’on peut croire possibles de se réaliser au lendemain d’une élection.
Des projets qui valent qu’on se mobilise pour leur réalisation. Des projets assez stimulants pour qu’on soit motivé à aller voter, et pour qu’on ait envie d’inciter nos parents, nos amis, nos collègues à faire de même.
Des projets qui pourraient véritablement changer quelque chose.
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Un peu partout en occident, un nombre croissant de personnes jugent que la dynamique politique actuelle est une impasse. Le Québec ne fait pas exception.
Dans ce contexte, ce n’est pas celui qui propose l’idéal le plus noble qui est le plus susceptible de gagner les élections, c’est plutôt celui qui propose le changement le plus plausible.
On l’a vu avec les partisans du Brexit, avec Trump, avec Macron, et même Trudeau, d’une certaine façon. Ils ont tous bâti leur succès sur ce genre de dynamique.
Le changement proposé doit être important, concret et plausible toutefois… pas seulement une série d’ajustements aux politiques en vigueur. Autrement, les électeurs préfèrent généralement le statu quo.
Pour le moment, je ne vois aucun des partis présents à l’Assemblée nationale s’inscrire dans ce genre de dynamique en prévision de l’élection de 2018. Et de mon point de vue, c’est à ça que le Parti Québécois doit travailler, seulement à ça.
Autrement, ça aura pour effet de laisser la voie libre au Libéraux… ou à quelqu’un qui sortira éventuellement de nulle part pour saisir l’opportunité et venir bouleverser l’échiquier politique de fond en comble.
Une des difficultés en 2017 à ton propos, c’est qu’un projet inspirant qui rallie un bon nombre de gens, c’est beaucoup difficile à identifier qu’il y a 30 ans. Notre société est parmi les plus avancées au monde ce qui fait en sorte que des projets « bons pour tous » sont derrière nous. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons plus nous développer mais nous pouvons le faire dans certaines dimensions moins rassembleuses d’une majorité.
Deux exemples:
Le projet de diminuer de manière agressive notre dépendance aux énergies fossiles devrait rallier un grand nombre de citoyens. Malheureusement, une minorité croit que cela leur apportera un plus. Triste mais vrai.
Un autre projet devrait nous rallier tous, soit de prendre les dispositions afin qu’aucun légume ne soit importé. Nous avons la terre, l’eau et l’énergie pour y arriver en moins de 5 ans. Nous diminuerions nos exportations de $ et d’emplois, les GES générés par le transport et la réfrigération; nous mangerions plus frais et avec une qualité plus garantie sans oublier la plus grande disponibilité de bio. Mais qui s’excite à ce projet ? Peur de payer plus cher, difficile de saisir tangiblement ce que cela changera dans ma cour.
Pour avoir un projet rassembleur, il nous faut penser société, ce qui est plus difficile que de penser pour soi, pour sa petite famille.
Alors, nous sommes condamnés à penser à plusieurs projets auxquels plusieurs sous-groupes s’identifieront. Ce qui n’exclue en rien les deux cités plus haut.
Et dire que l’Ontario dont le prix de l’électricité est plus du double que le notre produit 2 fois plus de tomates de serre que le Québec.
Au plaisir.
Richard
@Richard: je ne crois pas que la formulation d’un projet commun est forcément plus difficile aujourd’hui qu’il y a trente ans. Les défis ne sont pas les mêmes, certes, mais je ne crois pas qu’on est arrivé au bout des intérêts communs et qu’il faudrait se rabattre sur une somme d’intérêts particuliers.
Je ne pense pas que ce soit ça le problème. Je pense surtout qu’on manque de perspective sur les grands enjeux auxquels notre société est / sera confronté. Et que ça, c’est forcément un préalable à pour que le plus grand nombre puisse s’associer à un projet, s’en trouver inspiré.
Je crois qu’on a surtout un défi de vision doublé d’un défi de pédagogie.
Bonjour Clément, Je comprends qu’il serait préférable d’avoir plus de perceptive sur les grands enjeux. Mais qui manque de perspective? Nos politiciens ou nous, comme citoyens.
J’ai beau me forcer à chaque jour pour rencontrer des gens avec qui je peux parler d’enjeux, j’ai beau fréquenté un % élevé de moins de 40 ans, quand j’ai eu 2 fois 30 minutes d’échanges par semaine sur ce que tu appelles de grands enjeux, c’est le gros top.
Les gens ont une bulle à eux de plus en plus et il faut les atteindre dans ce qui à de l’impact sur leur bulle.
En d’autres mots, je suis d’accord avec toi, mais réalise que tu fais partie d’un petit groupe qui forme 5% au plus de la population.
De toute façon, si j’ai tord, parle moi d’un projet commun auquel je voudrai souscrire et dont je ferai la promotion.
@Richard: Oh, soyons bien clair: je partage ton désarroi devant la difficulté de formuler un projet commun. Ce que je dis, c’est surtout qu’il ne faut pas renoncer à le faire.
Ce que je dis, c’est que je pense que ce serait une erreur de renoncer devant cette difficulté en acceptant de se rabattre sur des projets qui sollicitent l’adhésion des gens par petits groupes — ce qui nous maintiendrait ans une logique politique basée sur le clientélisme, comme ce que nous vivons depuis une quinzaine d’années.
Les projets qui rassemblent ne sont généralement pas les plus compliqués, mais il ne peuvent pas être «un sujet parmi tant d’autres». Un projet rassembleur doit être central au discours, être structurant, être expliqué, répété, décliné de toutes sortes de façons — faire l’objet d’un leadership constant, tous les jours. Il doit avoir le statut de «raison d’être» de l’action politique de celles et ceux qui le porte. Ils sont rares aujourd’hui au Québec les politiciens pour lesquels on peut dire « lui/elle est en politique parce que…» ou «…pour réaliser ceci…». Et je te rassure, je ne juge pas, je constate (et je me regarde aussi dans le miroir).
Par ailleurs, je pense que bien des «projets rassembleurs» seraient possibles. Le problème est probablement plutôt d’en choisir un et d’assumer ce que ça implique ensuite: de focus et d’obsession. Un projet rassembleur doit être plaidé avec vigueur, il ne doit pas souffrir d’une dispersion constante de l’attention dans mille et une propositions divergentes. J’en imagine des possible autour de l’environnement. De l’alimentation. De l’éducation (assurément!). De l’énergie. De l’intelligence artificielle. Du renouvellement des pratiques démocratiques. Mais pour les formuler, il va falloir y consacrer une passion, une énergie et une pédagogie bien plus grande que ce qu’on a fait jusqu’à présent. Je ne sais pas s’il reste assez de temps pour faire ça d’ici octobre 2018. Je l’espère.
À défaut de prendre à bras le corps un projet porteur de ce type, je pense que c’est un projet «négatif» qui va finir par devenir le projet rassembleur… Comme en France, où Macron a essentiellement mobilisé autour de l’idée sortir les vieux partis, devenus les boucs émissaires des difficiltés de la France contemporaine. Faire table rase, ce peut être un projet rassembleur. Tristement.
Et parfois je me dis que les partis politiques québécois ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de créer les conditions parfaites pour un coup de moppe de ce genre à court ou moyen terme.