J’ai été très étonné par l’ampleur des réactions qu’a suscité un tweet que j’ai fait ce matin, que j’avais souhaité très constructif, mais qui a suscité des réactions très vives — de façon publique et privée. Des réactions que je n’ai d’abord pas comprises, et maintenant peut-être un peu mieux. Mon tweet se lisait ainsi:
« D’accord avec @Ant_Robitaille sur le fond. Une suggestion toutefois: pourquoi ne pas faire exceptionnellement place à quelques journalistes scientifiques à la Tribune de la presse? »
Avec ce tweet, je souhaitais surtout réagir positivement à ce texte d’Antoine Robitaille, dans lequel il souligne notamment l’importance du travail des journalistes dans une période comme celle que nous traversons.
Antoine Robitaille a raison de rappeler que c’est un travail qui est souvent difficile et quelques fois carrément ingrat, comme lorsqu’ils questionnent des dirigeants dont le travail est exceptionnellement apprécié — comme c’est le cas maintenant.
Je sais que depuis quelques jours, certains journalistes se font reprocher leurs questions, se font accuser de nuire, ou on leur demande tout simplement de se taire. C’est une erreur.
On a plus que jamais besoin des journalistes et de leurs questions — même si elles nous paraissent parfois inconvenantes (surtout quand elles nous paraissent inconvenantes, d’ailleurs).
Je ne voulais surtout alimenter cette dynamique malsaine ou miner la crédibilité des journalistes avec mon tweet. Au contraire! D’autant que j’ai vraiment un immense respect pour les journalistes en général et pour celles et ceux de la Tribune de la presse, en particulier.
Je voulais seulement proposer une façon de faire en sorte que le travail des journalistes soit encore meilleur, encore plus pertinent et plus efficace pour nourrir les débats démocratiques qui sont nécessaires même en temps de crise — surtout en temps de crise.
Ma proposition de faire une place à des journalistes scientifiques à la Tribune de la presse ne visait pas à miner la crédibilité des journalistes parlementaires, mais à renforcer la capacité d’interroger, sous de nouveaux angles, le gouvernement et les autorités de la Santé publique. Parce que le point de presse de 13h est pratiquement devenu le seul moment pour poser des questions publiquement aux autorités.
Peut-être que ma proposition n’était pas la bonne. Peut-être qu’au lieu de suggérer qu’on donne la parole à des journalistes scientifiques à la Tribune de la presse, j’aurais dû proposer qu’il y ait d’autres moments pour poser d’autres types de questions aux autorités?
Je ne voulais surtout pas mettre en opposition le travail des journalistes parlementaires et celui des journalistes scientifiques — plutôt le contraire. Je voulais faire en sorte qu’ils se complètent encore plus efficacement dans l’intérêt public.
***
Au terme de la journée:
Je continue de penser que les journalistes scientifiques devraient avoir une plus grande place dans la couverture médiatique des événements actuels;
Je crois le travail des journalistes doit pouvoir, lui aussi, faire l’objet de critiques et de suggestions;
Mais je suis encore plus sûr qu’il est important de valoriser le travail des journalistes.
Il faut se rappeler tous les jours que leurs questions contribuent aussi à ce qu’on trouve collectivement le chemin le plus efficace pour aplatir la courbe et se sortir le plus rapidement possible de tout ça.
On en a bien besoin!
Je crois que ce pouvoir, le journalisme, mérite d’être questionné comme les autres.
Surtout que depuis une décennie, leur industrie les a initiés à différentes pratiques :
– S’interviewé entre eux
– Rapporté les questions de certains cas d’exception par opposition à une représentation de la situation globale
– Minimiser les recherches, bondir sur le sujet d’un(e) collègue
– Ne pas creuser les dossiers et s’attarder à des indicateurs non représentatifs
Un bel exemple dernièrement, fut la série de questions sur le nombre de cas détectés du CORONAVIRUS. Jour après jour, il a fallu leur expliquer que la comparaison entre les provinces était non à propos car les stratégies de test étaient différentes de province en province.
Il y a toujours cette habitude de tenter de faire ressortir le coté sombre, sans réaliser, que d’une certaine façon, ils désinforment souvent la population.
Je m’explique. La finalité recherchée par les nombreuses décisions gouvernementales était d’empêcher que notre système de santé ne tombe. Et ce pour plusieurs raisons :
– Les conséquences auraient engendré le décès de plusieurs personnes sans accès aux soins hospitaliers
– Les professionnels de la santé auraient pu être affectés dans un % important.
– Il aurait fallu plusieurs mois pour parvenir à rebâtir le système, ce qui aurait eu des conséquences importantes sur tous les types de problèmes de santé.
– Nous y consacrons au Québec quand même un peu plus de 50% du budget annuel.
Malheureusement, cet aspect n’a fait l’objet de très peu de questions. Suivant le modèle des journalistes sportifs, on s’est intéressé à toutes sortes de statistiques par opposition au % d’occupation de nos chambres en soin intensifs.
Un bel exemple que de plus en plus, il est difficile de trouver des analyses qui s’intéressent au fond, à l’important et non aux potins/rumeurs/quand dira-t-on.
La profession a besoin d’une remise en question, son industrie aussi et probablement que les informés ont une part de responsabilité dans cette diminution du professionnalisme de la profession.
Je suis d’accord avec vous. Un journaliste scientifique élèverait le débat.
J’ai beaucoup de respect pour les journalistes qui doivent traiter d’une foule de sujets en tentant de faire la lumière sur la vérité ou — le plus souvent — mettre en lumière les problèmes.
Je crois deviner que les journalistes présents aux conférences de presse quotidiennes de treize heures sont des membres de la presse parlementaire. Sûrement sont-ils très versés dans les jeux politiques et les questions relatives à l’administration publique, mais, statistiquement, leurs connaissances en science ne sont sans doute pas plus poussées que celles de la moyenne des ours — pourquoi en serait-il autrement ?
Disons qu’on envoyait un journaliste sportif au Festival de Cannes. On pourrait par hasard tomber sur une personne passionnée de cinéma, mais on se trouverait plus probablement avec quelqu’un qui, en conférence de presse, pose des questions un peu hors propos.
Je ne suis moi-même ni épidémiologiste ni médecin. Mes compétences en mathématique m’ont cependant permis de déceler (surtout dans les trois premières semaines, disons) un certain décalage entre la nature des problèmes énoncés et le sujet de certaines questions. Ça m’a fait un peu tiquer.
En particulier, j’ai eu l’impression que certains de ces journalistes ne comprenaient pas que le nombre de cas déclarés par les autorités n’est pas une mesure ayant les mêmes propriétés qu’un sondage d’opinion (un outil qui leur est sans doute familier).
Prenons la question « Puisqu’il y a moins de cas au Québec qu’en Ontario, qu’est-ce qui cloche dans votre gestion de la crise ? » La première fois qu’elle a été posée, cette question était légitime. Mais la quatrième ou cinquième fois, on avait manifestement affaire à un journaliste qui ralentissait le groupe. Car, oui, il existe des « questions niaiseuses ». Quand on a seulement une ou deux cartouches dans son fusil, on a intérêt à bien viser.
(Le nombre de cas déclarés dépend notamment du nombre de tests effectués et du protocole de sélection des personnes testées. Il ne s’agit ni d’un échantillon aléatoire ni d’un dénombrement exhaustif des personnes porteuses du virus.)
On a prêté bien des qualités à Horacio Arruda. J’aimerais souligner sa grande patience et son approche pédagogique. Il n’a pas hésité, jour après jour, à répondre de différentes manières à ces questions répétées par des journalistes qui semblaient ne pas avoir compris ses propos des journées précédentes. J’écris cela sans malice : je peux très bien concevoir que ces journalistes rompus à l’art de poser plusieurs fois la même question à un politicien pour tenter de « faire sortir la vérité » ne posent pas nécessairement les questions les plus pertinentes à un scientifique sur des sujets spécialisés.
Bref, les journalistes font un excellent travail. Je suis le premier à me réjouir qu’ils critiquent le gouvernement. Le problème n’est pas là. Les journalistes politiques devraient avoir l’humilité d’accepter qu’ils ne sont pas experts en tout. Et la présence d’un journaliste scientifique qui poserait des questions pointues et difficiles mettrait une pression encore plus grande sur le gouvernement et les autorités de santé publique.
Dire cela n’a rien d’antidémocratique.
D’accord avec machinaecrire: l’idée me paraît juste, d’où l’importance des journalistes scientifiques (et autres métiers interdisciplinaires avec une combinaison gagnante).
En retour, Dr Arruda fait lui-même preuve d’excellentes qualités de communication.
Erratum: Dans mon commentaire plus haut, on aurait évidemment dû lire: «Puisqu’il y a *plus* de cas au Québec qu’en Ontario…»
Il ne faut pas oublier que nous avons aussi une responsabilité dans la nature des informations auxquelles on choisi d’accorder notre attention — pour nourrir nos réflexions.
Décidément pas simple tout ça…