À la suite de ce texte, je poursuis ma réflexion à voix haute pour brasser quelques idées, pour essayer d’esquisser des propositions concrètes qui pourraient contribuer à mettre le Québec sur la piste d’une transformation positive au sortir de la pandémie.
Aujourd’hui: plus de démocratie, pas moins!
Les dernières semaines nous ont bien montré que notre société reste fragile. Un virus suffit pour tout bouleverser.
Cela nous a aussi donné l’occasion de (re)prendre conscience de l’importance de nos institutions, et tout particulièrement de notre filet social: assurance maladie, assurance chômage, etc. Une meilleure conscience de l’importance d’avoir un État qui fonctionne aussi: capable d’agir efficacement, de coordonner les actions partout sur le territoire, et de distribuer rapidement l’aide financière promise, etc.
Tout ça, on le doit à notre démocratie. Il est essentiel de garder ça à l’esprit.
Parallèlement, il y a de nombreuses entreprises qui nous font déjà miroiter des façons beaucoup moins démocratiques pour faire face à la crise: appropriation des données personnelles de nos téléphones, filature des citoyens susceptibles d’être porteurs du virus, utilisation précipitée de l’intelligence artificielle pour guider les décisions — sans réflexions éthiques suffisantes, débats publics et acceptabilité sociale préalables. Ces entreprises nous proposent (encore) de troquer un peu de liberté en échange de la promesse (sans aucune garantie) d’un peu plus de sécurité.
Je propose que nous prenions rapidement, et clairement, la voie inverse en misant plutôt sur un renforcement de notre démocratie — en la rendant encore plus dynamique.
On pourrait par exemple commencer par transformer le rôle directeur général des élections. Après tout, la démocratie ce n’est pas seulement des élections une fois tous les quatre ans. Remplaçons le par un poste plus large de Responsable de la démocratie.
La (ou le) Responsable de la démocratie, qui relèverait toujours directement de l’Assemblée nationale, devrait avoir comme mandat de mettre en place une plateforme de communication entre les citoyen.ne.s et les élu.e.s — de tous les niveaux de représentations: en commençant par les élu.e.s municipaux et les élu.e.s à l’Assemblée nationale.
Cette plateforme (web et application pour téléphones numériques) viserait d’abord et avant tout à optimiser les échanges entre les élu.e.s et les citoyen.ne.s qu’ils représentent. Dans les deux directions. De façon simple et adaptée à la réalité de tous les citoyens (âge, langue parlée, handicaps, etc.).
Cette plateforme devrait permettre aux élu.e.s de communiquer simplement avec l’ensemble des citoyens. Et pas seulement pour leur diffuser de l’information, mais pour être en mesure de les questionner, solliciter leurs suggestions, etc., le plus régulièrement possible.
Elle devrait, de la même façon, permettre aux citoyen.ne.s de communiquer facilement avec les personnes qui les représentent, de leur propre initiative, ou pour répondre à des questions ou des sollicitations de leurs part.
La Responsable de la démocratie aurait pour rôle de stimuler l’intensité de ces échanges, de faire connaître les pratiques exemplaires, de rappeler aux élu.e.s leur responsabilité de garder un contact dynamique et constant avec les citoyen.ne.s qu’ils et elles représentent.
Cette plateforme devrait éventuellement aussi permettre aussi la tenue d’un vote électronique officiel. Parce qu’on sait maintenant que ça pourrait devenir nécessaire. Imaginez si on avait été en élection ce printemps… Voyez les dangers qui guettent les États-Unis en pleine année électorale…
Il apparaît plus évident que jamais qu’il faut dès maintenant se préparer à pouvoir assurer un fonctionnement adéquat de la démocratie dans toutes les circonstances.
Bien sûr que cette proposition soulève des questions: sur le fonctionnement d’une telle plateforme, sur la responsabilité de ses opérations (qui devrait elle-même forcément aussi faire l’objet d’une étroite surveillance démocratique), la confidentialité des échanges, sur l’équité pour les personnes qui n’ont pas un accès adéquat à Internet. Je le sais. Je la mets quand même sur la table dès maintenant — pour qu’on puisse en débattre sans tarder. D’autant qu’il existe des solutions pour répondre à tous ces enjeux.
Il me semble essentiel de faire dès maintenant le choix de sortir de la crise par la confiance. En investissant dans notre démocratie, de manière à la rendre plus dynamique et plus efficace, plutôt que par l’abandon, en confiant une partie de notre vie collective aux bons soins de Big Brother.
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Photo: Enigma, une oeuvre de Cozic, vue au MNBAQ en janvier 2020.
Tout à fait d’accord avec tes propos Clément. Aujourd’hui, il n’y a plus de raison pour que l’on puisse échanger avec nos élus seulement une fois par 4 ans.
J’ai récemment commencé à travailler sur l’autodétermination informationnelle. Ça devrait sonner des cloches pour toi mon cher Clément! : https://twitter.com/iconoclaste/status/1245398018393767937 À suivre.
@richard — il existe évidemment bien des façons aujourd’hui de communiquer avec nos élu.e.s sur une base régulière, mais je pense qu’il faut rendre cela plus courant, et pour cela, plus simple et plus « normal ». Parce qu’actuellement ce sont souvent les mêmes personnes qui le font, par les médias sociaux notamment — et on peut douter qu’ils sont représentatifs de l’ensemble des citoyens. On doit travailler à faire de cela une manifestation plus saine de la démocratie. Je suis sûr qu’on peut y arriver si on en fait une priorité.
@youyouca — le texte est très intéressant et c’est un sujet important. La réflexion éthique au tour de ça est fondamentale et me semble devoir précéder les déploiements (autrement que pour du prototypage, comme le cas que tu évoques). Le contexte d’une crise comme celle que l’on traverse m’apparaît plus que périlleux pour s’avancer dans cette voie. Qu’en penses-tu?
Le contexte ne sera jamais bon pour ce genre de percée majeure. Par contre, si un état souverain sérieux proposait le recours à un passeport de données robuste contrôlé par son détenteur pour établir son droit de vote, ça pourrait être intéressant et créer un véritable précédent. uPort ou Solid semblent travailler dans cette voie. Je dois fouiller ces pistes davantage. Pour les élections de novembre aux USA, il va falloir que Silicon Valley trouve quelque chose, sinon j’en connais un qui risque d’être tenté de reporter l’élection (sans compter qu’il aurait peut-être le soutien de la NRA pour y arriver).