Le Québec d’après?

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J’ai souvent écrit que l’optimisme était un choix plus qu’un tempérament.

J’ai lu cette semaine, sous la plume de Abdennour Bidar, que l’optimisme était une responsabilité. Ça me semble encore plus juste dans les circonstances.

« Certains semblent persuadés (…) que dès la fin de la pandémie va venir le temps d’une communauté humaine tout entière réveillée et ressoudée par l’épreuve, et qui, littéralement transfigurée, ne vivra plus dès lors que d’écologie, d’entraide et de paix. (…)

Soit. Je partage cet optimisme. Mais je voudrais ici rappeler que l’optimisme est une responsabilité — le mot est du philosophe Alain. L’épidémie à elle seule ne pourra rien pour nous. L’épreuve à elle seule ne sera pas salvatrice. Bien au contraire, elle risque fort de nous précipiter demain dans une situation bien pire. Ce que nous observons de positif durant ce temps suspendu du confinement s’évanouira aussitôt que les “affaires” auront repris, que chacun sera à nouveau accaparé par sa vie d’avant (…)

Retrouver l’espérance c’est bien, tout faire pour qu’elle se concrétise, c’est mieux. »

La question à laquelle il convient donc de réfléchir est comment on va pouvoir tirer profit de la pandémie pour transformer positivement la société dans laquelle on vit.

Qu’est-ce que ça veut dire? Comment faire? Concrètement.

Abdennour Bidar suggère qu’il faut commencer par se transformer soi-même. Certes, c’est une dimension importante. Mais je crois qu’indépendamment de ça, il faut aussi de s’interroger, dès maintenant, sur la dimension politique de l’après-crise.

Qu’est-ce que cela nous dit sur nos prochaines priorités collectives? Sur les défis que nous aurons à relever? Sur le rythme avec lequel il sera possible de les relever? Sur les qualités qu’il faudra rechercher chez les hommes et les femmes politiques? Comme député.e.s? Comme ministre et premier ministre? Sur le fonctionnement de notre démocratie?

Concrètement.

Je me réjouis de lire, depuis quelques jours, de plus en plus de textes sur le Québec d’après. Ils vont un peu dans toutes les directions et c’est parfait comme ça. On est à l’étape du remue-méninges… il faut brasser les idées, les points de vue, les craintes et les utopies.

On peut rêver, on doit rêver — surtout si ça aide à vaincre l’isolement — mais après il faudra les réaliser ces changements. Il ne se feront ni « tout seul », ni instantanément. Ce ne sera pas romantique, ce sera politique.

Les transformations qu’on aura souhaitées ne se feront pas toujours dans le consensus non plus. Ils feront l’objet de débats, probablement vigoureux. Ils impliqueront des choix difficiles, qu’il faudra arbitrer.

Malgré les conditions difficiles dans lesquelles nous serons vraisemblablement pendant plusieurs années, il n’en tient qu’à nous pour que ce soit aussi une période d’effervescence — un moment charnière pour redéfinir notre façon de vivre ensemble pour les prochaines décennies. Ce pourrait être comme la période du New Deal de Roosevelt, dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui dans nos structures sociales, même au Québec.

Ce pourrait être une période précieuse qu’il ne faudra pas laisser passer ni laisser seulement entre les mains des puissants actuels.

Il ne faut pas être dupe: quand le comité éditorial du Financial Times évoque la nécessité de réfléchir rapidement à l’instauration d’un revenu minimal garanti ce n’est probablement pas pour reconnaître que le capitalisme néolibéral a atteint ses limites, mais bien pour espérer lui permettre de continuer à prospérer… comme avant.

Si on veut que le monde change, il va falloir être en mesure de proposer des choses à la fois audacieuses et concrètes, de les faire entendre, de s’organiser pour qu’elles suscitent l’adhésion et faire en sorte qu’elles soient portées politiquement. À tous les niveaux: milieux de travail, municipal, régional, national.

Il faudra réusir poser les bases d’un nouveau New Deal — ou d’une autre révolution tranquille, pour prendre une référence plus proche de nous. On n’avait pas de grands moyens, comme société, pour se lancer dans les changements que nous avons entrepris à la fin des années 50… mais on a eu de l’audace, de l’ambition, et on a ancré nos rêves dans des actions concrètes (nationalisation de l’électricité, constructions massives d’écoles, etc.). Il faut réécouter cette extraordinaire série d’émissions de Radio-Canada pour s’en convaincre (en particulier les épisodes 3 et 4).

Actuellement, le gouvernement du Québec pitche de l’argent ici et là pour répondre aux besoins immédiats… il va au plus urgent — et il le fait assez bien, heureusement. Mais on ne pourra pas faire ça beaucoup plus longtemps… L’État sera rapidement à court d’argent. Nous devrons (ré)apprendre à distinguer ce qui est essentiel de ce qui est important… et garder des ressources pour bâtir l’après.

Très bientôt, les organismes et les entreprises qui demanderont de l’argent pour pouvoir continuer comme avant seront moins écoutés et ceux qui auront des idées à proposer pour faire les choses autrement, essayer autre chose, le seront d’avantage.

C’est à nous de voir à ce que les propositions qui seront mises en place soient basées sur des valeurs de liberté, de justice et de solidarité — et donc d’une plus grande considération pour notre environnement.

Entre deux séances d’exercices, ou deux visiococktails, je crois il faut prendre un peu de temps pour penser à tout ça, aussi.

Mise à jour

3 réflexions sur “Le Québec d’après?

  1. Merci Clément de ces réflexions toujours pertinentes. J’aime bien l’exercice que propose Bruno Latour dans un article publié sur AOC récemment, auquel il donne accès (sans avoir à s’inscrire, comme c’est le cas sur AOC) sur son site. Un « Exercice pour préparer l’après crise sanitaire pour être sûr que tout ne reprenne pas comme avant ». Q’est-ce qu’on souhaite ne pas reprendre et pourquoi ? Qu’est-ce qu’on voudrait reprendre ou accélérer…
    http://www.bruno-latour.fr/fr/node/851.html

  2. Bonjour Clément, le paragraphe dans lequel tu fais référence au revenu minimal garanti contient une erreur de structure. J’ai pour ma part vraiment envie qu’un débat se fasse sur cette perspective où l’état reprendrait un vrai leadership sur le plan du filet social. Je voudrais bien savoir ce que tu en penses.

  3. Erreur corrigée. Mots manquants ajoutés. Merci!

    Je te reviens pour la suite de la réflexion.

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