À la suite de ce texte, je poursuis ma réflexion à voix haute pour brasser quelques idées, pour essayer d’esquisser des propositions concrètes qui pourraient contribuer à mettre le Québec sur la piste d’une transformation positive au sortir de la pandémie.
Aujourd’hui: la création de Bureaux du temps
Le 23 mars, le premier ministre a dit « Le Québec est sur pause » et (presque) tout s’est arrêté, subitement. Brutalement. On s’est retrouvé chacun chez-nous et on a dû apprivoiser un nouveau rythme. Pour tout: nos affaires personnelles, professionnelles, nos obligations de toutes sortes.
Plus récemment, le gouvernement a même fermé les épiceries le dimanche, comme dans l‘temps. Pour reposer les employé.e.s. Et plusieurs se sont dit: et pourquoi on ne continuerait pas comme ça quand on aura vaincu le virus?
C’est une bonne question, qui peut paraître anecdotique, mais qui devrait, je pense nous amener à pousser plus loin la réflexion. Qu’est-ce qu’on fait de notre temps? Notre temps personnel, bien sûr, mais notre temps collectif, surtout.
Parce que le temps est une ressources dont nous disposons, collectivement, et qu’on peut aménager — avec plus ou moins de contraintes. On le voit bien depuis quelques semaines. On l’apprend, à la dure.
Le temps est une ressource invisible, qu’on avait peut-être un peu oubliée, avant cette pause, mais qui peut valoir une fortune, au sens propre et au figuré. Et l’utilisation d’une ressource, ça se planifie, ça se gère, et surtout ça se discute de façon démocratique.
Voilà pourquoi je propose la création d’un bureau du temps dans toutes les municipalités du Québec — avec un soutien et une coordination nationale.
De quoi s’agit-il? Un bureau du temps serait une structure de consultation souple, permanente, composée de citoyens, d’élus et d’urbanistes, qui aurait la responsabilité de suggérer des aménagements concrets dans les horaires des fonctions et différents types d’activités de la ville dans le but de mieux profiter du temps disponible.
C’est une petite équipe qui devrait périodiquement formuler des recommandations pour qu’une meilleure gestion du temps collectif contribue à optimiser l’utilisation de l’ensemble de nos ressources collectives, comme le réseau routier et les transports publics, par exemple. Le numérique nous permet maintenant d’analyser tout ça facilement, reste à analyser, faire des choix, formuler des recommandations.
Parce qu’étaler l’heure de pointe, au fond, c’est un peu comme aplatir la courbe d’un virus, comme nous le dirait, à grands gestes, le Dr Arruda. Et puisqu’on sait qu’on peut le faire avec l’un, pourquoi pas le faire avec l’autre?
Notre mauvaise gestion du temps prive actuellement des familles de temps de qualité en laissant un paquet de monde dans le traffic de trop longues heures chaque année. Elle provoque des stress inutiles et nous coûtent des fortunes dans toutes sortes de domaines pour lesquels on doit actuellement prévoir la taille de nos équipements et engager du personnel pour répondre à des pointes de services qui ne durent que quelques heures par jour.
On doit aplatir les courbes dans l’utilisation de chacune de nos ressources collectives — routes, transports collectifs, système de santé, services publics — en distribuer l’utilisation sur longue période de temps. Si on n’a pas compris ça après la pandémie, on ne l’apprendra jamais.
En arrivant à faire ça on pourra non seulement améliorer notre qualité de vie, mais vraisemblablement aussi sauver des milliards de dollars chaque année qu’on pourra consacrer à autres choses: investir dans l’éducation, dans la santé, dans l’autonomie alimentaire, dans la lutte aux changements climatiques, dans des réductions d’impôts. Mieux gérer notre temps, c’est aussi mieux gérer notre budget.
En rappelant sans cesse à nos gouvernements — et à chacun d’entre-nous que le temps est une précieuse ressource collective, les Bureaux du temps pourraient nous aider à mieux utiliser mieux de nombreuses ressources qui sont souvent très peu utilisées 80% du temps.
Est-il nécessaire que les écoles, les cégeps, les universités, les commerces, les entreprises et les organismes publics commencent et finissent presque tous à la même heure? Y a-t-il moyen de faire autrement? Qu’est-ce qu’on gagnerait collectivement à favoriser le télétravail? À faciliter les horaires variables? À aménager le territoire de manière à éviter les déplacements inutiles?
Il me semble que ça mérite qu’on se pose la question… qu’on développe et partage une expertise pour le faire efficacement, et que chaque milieu puissent ensuite répondre en fonction de sa réalité.
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Je fais l’hypothèse qu’au sortir de cette longue période d’isolement nous poserons un regard bien différent sur le temps dont nous disposons. Ce serait dommage de l’oublier trop vite en replongeant dans nos routines… et en laissant à nouveau le temps nous filer entre les doigts... comme si on ne pouvait rien y faire.
La création rapide de bureaux du temps, dans toutes les municipalités, serait un moyen simple et peu coûteux d’éviter de retomber dans ce piège. À plus forte raison parce qu’on sait qu’on aura aussi d’importants défis économiques à relever et que le temps, c’est de l’argent.
Sans compter que l’idée n’est pas nouvelle. En Italie, c’est une réalité depuis plus de vingt ans. Au Québec, ça fait presque aussi longtemps qu’il en est périodiquement question. C’est apparement même passé à un cheveux d’être intégré dans la loi sur la conciliation travail-famille (j’y ai déjà fait référence ici, ici et là).
Pour toutes ces raisons, il me semble que le moment est tout indiqué pour créer ces Bureaux du temps et en faire un levier important de la transformation de nos milieux de vie en fonction de ce que nous aurons appris de cette pandémie.
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Après la crise du verglas, les inondations et la catastrophe ferroviaire de Lac-Mégantic on s’est assuré que les municipalités aient toutes de bons plans d’urgence.
Après cette longue période d’arrêt on devrait, de la même façon, s’assurer que toutes les municipalités disposent d’un bureau du temps.
Parce le temps, c’est ce qu’on a de plus précieux. On le sait mieux que jamais.
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Aussi: Idées pour l’après — 1 : la nationalisation des infrasuctures d’accès à Internet
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Mise à jour: Le site Web du Bureau des temps de la ville de Rennes illustre très bien le type de réflexions auxquelles cela peut donner lieu — et les effets bénéfiques qui en découlent.
Vos suggestions oublient certains faits: les institutions et les commerces sont déjà utilisés à plein. Fermer les commerces les dimanches causerait le doublement de l’achalandage les samedis; ce n’est pas tout le monde qui a le temps d’aller magasiner en semaine, que ce soit de jour ou de soir. Alors qu’on discutait de ce sujet, il y a quelques années, certaines militantes mentionnaient que l’ouverture des magasins le dimanche était un enjeu féministe. Les universités et les cégeps offrent déjà des cours souvent de 8 h à 18 h, voire le soir pour certains. Voudriez-vous qu’ils ouvrent à 5 h? Qu’ils ferment à 22 h? On discute depuis longtemps de faire commencer l’école plus tard, surtout l’école secondaire, mais ça implique que le tout se termine plus tard, et que les enfants rentrent chez eux en pleine nuit l’hiver. De toute manière, dans plusieurs régions du Québec, ce sont les compagnies d’autobus qui imposent les horaires scolaires, le plus souvent avec trois ramassages le matin et trois reconduites le soir: tout le monde ne commence déjà pas en même temps.
Et les gens aiment dormir la nuit et avoir une soirée de détente après le travail. Déjà que les bureaux ouvrent à 8 h sept ou huit mois sur douze (mais que les horloges disent mensongèrement qu’il est 9 h).
Ce n’est pas tout le monde qui peut télétravailler, ou qui aime ça, et nos contacts humains ne sont-ils pas déjà trop virtuels, très souvent? Et l’attrait de la troisième couronne va rester même après le confinement.
Évidemment, une solution serait de décaler les rythmes sociaux et d’abolir les fins de semaine, mais je ne crois pas que ce soit ce que vous souhaitez.
@Sylvain Auclair: Je trouve que vous allez un peu vite aux conclusions.
Ma proposition plaide seulement pour la mise en en place, dans chaque milieu de vie, d’un espace démocratique de discussion au sujet de la manière dont on peut mieux tirer profit de notre temps collectif. Est-ce qu’il y a des contraintes? Certainement! Est-ce qu’elles sont parfois fortes, jusqu’à paraître insolubles, je ne le nie pas. Mais qu’il soit inutile d’en parler? Je ne le crois pas. J’ai plus confiance dans l’intelligence collective que ça. C’est même justement parce que c’est difficile qu’il faut le faire.
Le défi au sortir de cette crise sera de développer notre capacité à réfléchir hors des sentiers battus — dans un grand nombre de domaines. Le principal obstacle à relever sera de mettre de côté (au moins temporairement, le temps de réfléchir) ce que nous avons trouvé évident et inévitable au cours des dernières années.
Je pense que l’existence de bureaux du temps nous aidera à faire cette réflexion.