
(Suite de la série: la valeur des histoires)
Difficile de croire que cet ensemble de boutons anciens a été récupéré dans une vente de garage particulièrement inusitée, en 1971, dans le village de Saint-Gustave-de-l’Avenir.
Comme le gouvernement avait décrété quelques mois plus tôt la fermeture définitive du village, les citoyens avaient organisé une grande vente de garage, à laquelle tous les résidents des villages avoisinant avaient été conviés.
Tout les Gustaviens ont fait leur part pour que la dernière fin de semaine du village soit mémorable et que tout le monde se quitte avec le sourire malgré la tristesse de devoir abandonner leurs maisons. Le propriétaire du magasin général a offert ses derniers stocks à rabais, le marguillers a vendu les dernières possessions de la paroisse, le forgeron a même spécialement frappé des médailles souvenirs vendues 1$ avant d’éteindre une dernière fois sa forge.
Souhaitant participer à l’événement, le chef de police a décidé de mettre en vente les pièces à conviction qui étaient restées inutilisées dans l’armoire du commissariat. Quelle importance, en effet?… puisque toutes les enquêtes seraient abandonnées.
C’est donc du chef de police que ma cousine a acheté les boutons.
Les boutons étaient alors piqués systématiquement sur un ensemble de tableaux de liège, à la manière d’une collection entomologique. Sous chaque bouton il y avait un petit papier décrivant une personne: « Homme, quarantaine, cheveux blonds, chapeau. » ou « Femme vingtaine, élégante, gants blancs ».
Le chef de police lui a raconté que ces tableaux avaient été trouvés dans l’atelier de la couturière du village. Il n’avait jamais pu prouver sa culpabilité, mais continuait de croire qu’elle avait mis en place un stratagème pour s’enrichir sur le dos des paroissiens.
Il prétendait que la couturière avait un complice, qui profitait de la messe pour couper discrètement les fils d’un bouton sur les manteaux des paroissiens. Le bouton tombé par terre était récupéré à la fin de l’office et identifié à son propriétaire, puis remis à la couturière.
Le propriétaire du manteau se présentait inévitablement chez la couturière dans les jours suivants. Celle-ci fouillait dans ses boutons, et ne trouvant qu’une alternative décevante pour remplacer le bouton, proposait plutôt d’en commander un identique qui pourrait être livré de Montréal ou de Québec dans les quelques jours suivants… moyennant un prix un peu plus élevé (dont elle partagerait évidemment le profit avec son complice).
Je ne sais pas trop à quelle occasion et pourquoi ma cousine a détaché les boutons des tableaux pour les mettre dans ce contenant, mais je trouve fascinant de penser que si l’hypothèse du chef de police était bonne, cet ensemble de boutons est possiblement le plus fidèle témoin de la population de Saint-Gustave-de-l’Avenir, en 1971.
Succulent!