Une question m’occupait l’esprit à mon réveil ce matin: est-ce vraiment utile de prendre des photos pour témoigner de l’état du chemin Sainte-Foy en février 2018 comme je l’ai fait cette fin de semaine [1] [2]? Sous prétexte de pouvoir y revenir dans dix, quinze ou vingt ans? Comme le fait très bien Le Soleil avec sa série d’hier à aujourd’hui, par exemple.
Parce qu’au fond, quand on y pense bien, on peut maintenant utiliser Google StreetView pour faire ça — et depuis déjà plusieurs années. Google nous donne même accès aux archives de ses photos, comme je l’avais montré dans un texte écrit pour l’École branchée il y a quelques mois.
Autant s’y faire: dans dix ans on pourra probablement référer encore plus facilement à tout ça. Et dans vingt ans on devrait même pouvoir réaliser de façon automatique de petits films de type stop motion qui permettront de rendre compte de la transformation de n’importe quel coin de rue de n’importe quelle ville.
Alors pourquoi prendre ces photos et les publier sur mon blogue?
Il y a bien sûr les souvenirs qui se manifestent à travers la démarche, que le geste du photographe est sûrement plus efficace à faire remonter à la mémoire que la simple utilisation de Google StreetView (comme François Bon me l’a d’ailleurs spontanément souligné dans un commentaires sur Facebook).
Mais à force de retourner cette question dans tous les sens au cours de la journée, et d’échanger avec des amis, c’est autre chose qui a fini par me frapper: l’automobilisation du regard — et les risques que cela amène pour notre mémoire collective.
En effet, si on se fie à Google pour pouvoir illustrer l’évolution de la ville, nous aurons pour le faire uniquement des points de vue automobiles: les immeubles tels qu’ils sont vus à partir de la route, les paysages comme on les voit en circulant. Rien qui ne soit pas accessible en auto.
C’est une idée que je trouve choquante: comme si l’automobile n’avait pas déjà assez transformé nos villes (et pas que pour le mieux!)… voilà que c’est autour d’elle que pourrait s’organiser une partie de notre mémoire collective?
Le regard que Google pose sur la ville — à partir d’une automobile — pourrait constituer une sorte de référence patrimoniale, une forme d’archives populaires?
Ce n’est certainement pas suffisant!
Et c’est là que le sens de la démarche que j’ai commencé il y a deux jours s’est rapidement précisé dans mon esprit.
Il ne s’agit pas de prendre des photos de ce que je vois, de ce que j’aime ou de ce qui m’inspire à partir de la rue (ou du trottoir) mais de m’extraire des parcours automobiles pour témoigner d’autres points de vue — qu’il faudra que je (ré)apprenne à repérer.
Il faudra que j’emprunte des ruelles trop étroites pour les autos, des sentiers, les passerelles autour desquels se s’est défini mon quartier, pénétrer dans les parcs, passer derrière les bâtiments, monter sur les buttes — et pourquoi pas sur les toits?
On parle beaucoup depuis quelques temps de l’influence indue de Facebook et de Google ont probablement sur la nature de l’information qui alimente le débat public.
Je réalise qu’on devrait peut-être parler aussi de l’influence de ces géants — de Google, dans ce cas — sur notre façon de percevoir et de comprendre notre milieu de vie.
Ma réflexion ne fait bien sûr que commencer mais je sais qu’elle va déjà influencer le parcours de mes prochaines promenades et la nature des photos que j’en rapporterai ici.