En commentant mardi dans La Presse une entrevue que Wajdi Mouawad a accordé à France Culture il y a deux ans, Patrick Lagacé à provoqué de fortes réactions.
Son collègue Marc Cassivi lui a répondu dans un texte qui (re)centrait le débat sous l’angle de l’anti-intellectualisme.
Patrick Lagacé lui à répondu à son tour — comme des centaines de lecteurs, sur le site de Cyberpresse, sur twitter et un peu partout dans la blogosphère.
Tout cela m’a donné une forte impression de déjà vu.
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Ça m’a ramené au printemps 2003, quand Le Devoir avait publié une série de textes autour du thème « le rôle des intellectuels dans les débats politiques actuels ».
J’ai relu plusieurs de ces textes ce soir, avec un grand intérêt. Ils sont toujours d’actualité — huit ans plus tard.
On y parle de l’espace politique occupé par l’ADQ dans les mêmes termes que ceux avec lesquels on parle aujourd’hui de la Coalition pour l’avenir du Québec.
On y débat de l’importance du Bloc Québécois et de la place que le NPD pourrait avoir, un jour, dans l’espace politique québécois d’une façon très étonnante dans cet après 2 mai.
On y parle du début de la guerre en Irak, alors que les médias parlent ces jours-ci de la fin de la mission canadienne en afganistan.
On y fait référence à Jocelyn Maclure, qui participait au lancement de la revue du 27 juin — et qui est aujourd’hui de l’équipe fondatrice de nouveauprojet.ca
On fait même référence Wajdi Mouawad.
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Antoine Robitaille publiait Les intellectuels au Québec — pas de débat
En somme, bien sûr qu’il y a une vie intellectuelle au Québec. Si seulement les grands médias lui donnaient la place qu’elle mérite. Or on y néglige les livres, notamment les essais. Quant aux revues, on nie carrément leur existence alors qu’il y en a plusieurs qui se maintiennent avec mérite (mentionnons L’Agora, L’Action nationale et Bulletin d’histoire politique).
Dommage, car la vie intellectuelle ne concerne pas seulement les « initiés ». Elle est — et ça semble ridicule de le rappeler — d’intérêt public, éminemment.
Hervé Fischer publiait Les intellectuels au Québec — à peine un murmure
Le rôle des intellectuels est un rôle de visionnaire, de porteur de conscience possible, capable d’analyses globales et d’engagement dans les débats publics au nom de valeurs et d’idées clairement exprimées. Car ce sont les idées qui mènent le monde, à commencer par celles de liberté, de justice et de démocratie ; ce sont les idéaux qui créent les volontés, les visions d’avenir qui mobilisent les gens. Ce ne sont pas la balance des paiements, l’endettement à long terme, la météo, l’état des routes et le prix de l’essence, aujourd’hui pas plus qu’hier, malgré l’aspiration générale au bonheur matériel.
Jean Pichette publiait Les intellectuels au Québec — dire un monde silencieux
La figure de l’intellectuel est fille de la démocratie. Elle est indissociable d’un régime de la parole qui reconnaît aux mots un pouvoir singulier: avec eux, par eux, l’ordre du monde cesse de paraître immuable. Il devient un enjeu politique: il peut être autrement. Les mots ont désormais le pouvoir d’entamer la légitimité de ce qui est. Ils acquièrent un poids qui trouve un prolongement dans la fiction, terreau nourrissant l’imaginaire d’une mise en forme différente du monde, qui n’est plus donné mais à construire. C’est dans cet espace de la parole que l’intellectuel peut agir, avec la seule force des mots, pour élargir le champ des possibles. […]
Disons les choses autrement. La prolifération des images, qui prétendent nous donner un accès direct à la réalité, est en train d’étouffer la parole, qui aurait, elle, le fâcheux défaut de déformer cette réalité. Les images s’acharnent ainsi à remplir le vide sans lequel aucune parole ne peut se faire entendre. Elles nous donnent à voir une réalité qu’elles présentent comme «objective», oubliant que la pensée, l’espoir, l’utopie font aussi partie de notre réalité.
Jean-Jacques Simard publiait — Désarroi chez les intellectuels — le silence des agneaux
C’est la légitimité d’un certain modèle de l’intellectuel qui est en déclin: ce personnage qui, ayant établi son autorité dans un domaine éthéré de la culture seconde (arts, lettres, sciences), fait irruption sur la place publique, se «mêle de ce qui ne le regarde pas», s’engage dans les affaires générales, prend position, se fait conscience critique de la cité commune, pourfendeur du mensonge et de l’injustice, porteur de transcendance, allumeur d’avenir et défenseur d’éternité.
Louis Cornellier publiait Les intellectuels au Québec — intellectuel québécois… en attendant
Peut-on, au Québec, en 2003, être un intellectuel au delà ou au mépris du débat sur la question nationale? Franchement, je ne le crois pas. L’enjeu est trop central, trop fondamental, la tradition à cet égard trop prégnante pour que l’on puisse s’y soustraire. Être un intellectuel, c’est avoir une vision du monde qui dépasse les compartiments du réel et ressentir l’impérieux devoir moral de la défendre.
Et Jocelyn Létourneau publiait Intellectuels silencieux
Au sein d’une société, l’intellectuel est celui qui ne cesse de parler, d’écrire, de débattre et de discuter publiquement. L’intellectuel n’est surtout pas silencieux. Le cas échéant, et paradoxalement, ses silences sont créés par ses paroles, découlent de ses écrits. C’est qu’en énonçant le monde, l’intellectuel fixe l’agenda de ce qui est débattu, voire de ce qui est «débattable». […]
L’intellectuel est celui qui peut focaliser ou (dé)tourner les regards vers des topiques convenus ou à la mode alors même que sa raison d’être, en tant que penseur, est de libérer les regards, de les désenclaver de certaines postures
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J’avais pour ma part soumis une « lettre du lecteur » au Devoir, qui n’a jamais été publiée : le rôle des intellectuels.
En relisant mon texte, je m’étonne un peu de n’y avoir fait référence qu’aux textes d’Antoine Robitaille et d’Hervé Fischer — et je trouve que j’avais un peu « étirée » l’interprétation que je faisais de leurs propos.
Je reste néanmoins confortable avec la conclusion de mon texte, qui me rapprochait du texte d’Hervé Fischer d’une part, et de celui de Jocelyn Létourneau, d’autre part.
Cette conclusion me rapproche aussi un peu de la position de Patrick Lagacé aujourd’hui — j’en suis le premier surpris! — quand il dit en conclusion de son texte d’aujourd’hui, citant Parizeau — j’en suis doublement surpris! :
Comme disait Parizeau aux « jeunes » députés qui lui ont récemment écrit la lettre que l’on sait : personne ne va vous donner votre place, prenez-la…
La mémoire est la profondeur de l’existence humaine, disait Hannah Arendt – et c’est fort intéressant d’ainsi voir remonter à la surface tous ces écrits Clément.
En janvier 2006, j’avais participé à une table ronde sur la transmission des valeurs, organisée par la Société des Écrivains de la Mauricie. À l’époque, au travers de mes propos j’avais noté ceci :
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Cf http://carnets.opossum.ca/patriceletourneau/archives/2006/01/ou_sommesnous.html
Il faut croire qu’il y a peut-être certains invariables au travers de ce qui change continuellement. ;-)
Patrice
Merci Clément, belle mise en perspective!
@Patrice: Merci pour ce texte, que je me souvenais d’avoir lu, et qui s’inscrit remarquablement dans le sillage de la discussion en cours (qui s’est en apparence presque éteinte aussi vite qu’elle était apparue après le texte de Patrick Lagacé — je ne sais pas s’il faut s’en réjouir).
À lire, sur le même sujet, le texte de Catherine Voyer-Léger:
http://www.cvoyerleger.com/2011/07/bombardier.html