Chaque année, les jours qui précèdent le 11 septembre m’offrent l’occasion de réfléchir à l’invraisemblable expérience que j’ai vécue en 2001. J’ai déjà eu l’occasion d’y faire référence ici à quelques reprises: en 2001 (publié ici en 2005), en 2006, et en 2010.
Cette année, c’est à l’invitation de Michel Dumais que je me suis interrogé sur ce que ma présence à New York le 11 septembre 2001 avait pu changer dans ma vie.
Voici le résultat de ma réflexion.
* * *
Au coeur de l’histoire
J’étais là tout à fait par hasard.
J’accompagnais ma conjointe qui était à New York pour son travail.
J’aurais aussi bien pu être à Québec, à Terrebonne, ou ailleurs, mais j’étais là.
J’étais là quand le ciel nous est tombé sur la tête et que nous avons dû courir devant ce grand nuage de poussière dans lequel s’envolaient toutes nos certitudes.
Nous avons immédiatement eu l’étrange impression d’être au coeur de l’Histoire — d’être dans la télévision, là où les regards de tout le monde se tournent.
Mais avec le temps, même les événements les plus invraisemblables finissent par trouver leur place dans le grand livre de notre vie et le 11 septembre 2001 est peu à peu devenu, lui aussi, un événement parmi tant d’autres.
Malgré cela, en revoyant les images de la télévision et en me remémorant notre fuite, je suis encore tenté de raconter (encore!) ce que nous avons vécu. Cela a si souvent fait de nous les vedettes de la soirée — des gens qui ont vu, des survivants. So what? Je n’en ai plus envie.
Je réalise maintenant qu’il ne faut pas donner trop d’importance à ce qui appartient au hasard ou aux co-incidences. J’étais là, mais cela aurait pu être un autre. Cela aurait aussi pu être vous.
J’étais là, avec le sentiment d’être au coeur de l’histoire et pourtant, je n’étais pas plus dans l’histoire ce jour-là que chacun des autres jours de ma vie. C’est tous les jours que nous sommes au coeur de l’histoire. C’est tous les jours que nous contribuons par nos choix et par nos gestes à définir ce que sera le monde de demain.
J’ai l’impression qu’on perd un peu de notre humanité quand on accorde trop d’importance à des événements particuliers, jusqu’à croire que l’Histoire c’est ça. Et c’est vrai même pour le 11 septembre 2001. On risque ainsi de se rendre esclaves non pas de l’histoire en tant que telle, mais de ceux et celles qui prétendent la faire pour nous sans nous dire qu’il faut pour cela que nous leur cédions une partie de notre liberté.
J’ai vécu quelque chose d’exceptionnel à New York ce jour-là, c’est indéniable. C’est à ce moment que j’ai véritablement compris que rien n’est impossible. Mais j’ai du même coup réalisé que si rien n’est impossible, cela veut aussi dire que tout peut être possible. Et c’est cette conviction que j’ai envie de transmettre à mes enfants — bien plus que la peur que nous avons ressentie les jours où nous étions là, par hasard. Je n’ai pas besoin de partager cette peur avec eux. C’est inutile. J’ai besoin de parler avec eux de l’importance de façonner leur propre vision du monde, de développer leur capacité à entrer en contact avec l’Autre et celle de se projeter dans l’avenir.
Je refuse que le 11 septembre serve tous les ans d’occasion pour (ré)susciter la peur et entretenir dans la population l’idée que l’histoire c’est quelque chose qu’on doit subir, qui se passe en dehors de nous et dont il faudrait se protéger. Si ma présence au pied des tours jumelles a changé ma vie, c’est surtout en me rendant allergique à cette manipulation de nos esprits.
Depuis que j’ai couru pour sauver ma peau, je ressens plus intensément le devoir de faire ce que je peux, chaque jour, pour que mon entourage ait une vision plus positive de l’avenir, comme quelque chose qu’on a le pouvoir de définir ensemble, guidé par la solidarité plutôt que par la peur.
L’Histoire, c’est ce qu’on veut bien en faire.
Le texte a d’abord été publié dans Le Trait d’Union, dont Michel Dumais est le directeur de l’information.
merci de ton partage, mon cher ami.
Bon texte, complètement et absolument juste. Merci de ce témoignage.
merci de ce rappel, Clément, et toujours cette étrange impression, à te lire : l’impossibilité de raconter, que le temps n’en est pas venu… me souviens par exemple, dans ton récit oral, tout ce qui tenait à vos coups de téléphone, et aussi cet élément très impressionnant que tu nous disais : l’absence de tout souvenir auditif, scène muette, hors son
et pensée pour la fille aînée, qui découvrait ce soir-là, par ses parents, le récit d’un événement à elle inconnu (ce ne sera pas le cas aujourd’hui)
« C’est tous les jours que nous sommes au coeur de l’histoire. C’est tous les jours que nous contribuons par nos choix et par nos gestes à définir ce que sera le monde de demain. »
Cher Clément, ces phrases – magiques – devraient être dites et redites chaque matin et chaque soir qui passent afin qu’elles se gravent à jamais dans tous les cœurs.
Je me rappelle encore Clément le jour où tu m’as raconté cette histoire et de certains détails qui t’ont frappés en la racontant. Tu as alors été plus qu’humain.
Alors je comprends ce que tu veux dire dans ton message mais quand tu dis ‘J’ai l’impression qu’on perd un peu de notre humanité quand on accorde trop d’importance à des événements particuliers’, je pense qu’au contraire, c’est précisément à ce moment-là qu’on en gagne, de l’humanité. C’est à dire en la partageant.
En tout cas tu en gagné à mes yeux ce jour-là.
Ton texte, comme beaucoup d’autres que tu écris, tire le lecteur vers le haut, le propulse vers l’avant. Toujours avec cette idee, qu’on est au volant de sa vie et qu’on peut la mener en pensant a ce qu’on peut améliorer pour soi et pour ceux qui vivent tout autour. Merci encore.
Merci Francine.