L’auteur Yvon Rivard publiait une lettre coup de poing dans Le Devoir du 10 juin.
« Ce matin, je ne perçois plus que la face sombre du destin québécois (…) Je ne vois plus qu’un pays qui s’enlise dans l’insignifiance et l’incohérence…»
«La question que je me pose depuis des années et qui resurgit violemment ce matin est la suivante: comment se fait-il que le Québec des cinquante dernières années ait développé tant de compétences dans tous les domaines (artistiques, intellectuels, économiques, etc.), ait favorisé l’émergence d’une véritable conscience sociale, écologique, féministe, et que tout cela aboutisse à tant de médiocrité politique et morale?»
Le jugement est très dur. Mais je dois admettre qu’il me rejoint, moi, l’optimiste. Et ça fait mal. Ça me rappelle un peu Le Québec me tue d’Hélène Jutras, en 1994.
Mais comment reprocher à Yvon Rivard ce sentiment quand on voit l’actualité des dernières semaines? Pire: quand on constate l’outrecuidance du premier ministre, chef du Parti Libéral, qui s’entête à vouloir nous convaincre que ça ne va pas si mal. Et même que ça va bien.
C’est complètement ridicule, et c’est la cerise sur le sundae du désastre, mais ce n’est malheureusement pas tout.
Il y a aussi une forme de négligence de tous les autres partis politiques, qui contribuent à cette ambiance en s’enlisant, jour après jour, dans des jeux partisans qui ont maintes fois démontré leur insignifiance — et qui, dans les faits, ne font qu’entretenir le statu quo.
Quand je lis dans un article placé à la une du Devoir que «la campagne d’idées de Jean-François Lisée vient brouiller les cartes [dans la course à la chefferie au Parti Québécois]», je me dis que ça résume admirablement le malaise dans lequel nous sommes plongés: le vide.
Nous sommes devant un dur constat: au Québec, les calculs partisans ont depuis trop longtemps pris le dessus sur les idéaux… dont le monde politique devrait pourtant être l’indispensable porteur. Et ce n’est certainement pas le seul fait du Parti Québécois. C’est toute notre vie démocratique qui sombre trop souvent dans la mise en scène.
Il m’apparaît important de rappeler, à cet égard, un passage du texte d’Hélène Jutras:
«Il y a, bien sûr, des gens de mon âge que la politique enthousiasme. Je ne les comprends pas. Sur le plan théorique, oui, la politique m’intéresse, mais dans la pratique, la campagne électorale me fait bâiller. J’aurais une idée pour améliorer le tout: j’interdirais à tous les candidats de parler de leur adversaire pour le critiquer. Ils ne parleraient plus du tout. Car, à quoi bon critiquer l’autre, quand on pourrait parler des idées qu’on défend plutôt que de celles qu’on désapprouve?»
C’est une remarque qui me semble tout aussi pertinente, sinon plus, vingt ans plus tard. Et ce n’est pas étranger au choix que je fais aujourd’hui de m’accrocher, de toutes mes forces, à la possibilité de faire la Politique autrement. Ça me semble nécessaire pour ne pas sombrer dans le cynisme, pour pouvoir continuer à militer, comme président du Parti Québécois pour la circonscription de Jean-Talon et pour la région de la Capitale-Nationale. Parce qu’il faut continuer. Parce que c’est plus indispensable que jamais.
Je suis convaincu que ce n’est pas en faisant seulement un peu mieux, et même de façon beaucoup plus charismatique, le même genre de politique que nous avons fait depuis quinze ans que nous arriverons à obtenir des résultats différents. Il faut absolument remettre très clairement de l’avant nos idéaux, proposer des idées qui sortent des sentiers battus et donner forme à des projets concrets. On doit réenchanter la politique.
C’est une nécessité si on veut intéresser à nouveau celles et ceux, jeunes et vieux, ici depuis toujours et arrivés depuis peu, qui se sont désintéressé de la politique au fil des ans, notamment — il faut bien l’admettre — devant l’entêtement du Parti Québécois à ressasser d’inutiles débats sur le meilleur moment pour tenir un troisième référendum (qui ne sera pourtant jamais plus qu’un moyen pour conclure une démarche de rassemblement national autour d’un projet de société particulièrement ambitieux).
Pour se sortir du bourbier collectif décrit par Yvon Rivard, il faut que nous trouvions les moyens pour redonner confiance aux citoyens dans le monde politique. Il faut leur redonner le goût de s’y intéresser, et éventuellement de s’y engager.
Sans ça, on risque fort de continuer à s’enliser dans l’insignifiance et l’incohérence.
Je suis bien d’accord mais je ne vois pas comment faire
Il n’est pas facile de redonner confiance en la politique à des gens qui l’ont perdue. Ceux-ci évitent toute lecture sur le sujet. Il nous reste quand-même le choix ou bien de se mettre à la tâche ou bien de renoncer à la démocratie. Le choix est facile à faire mais se mettre à la tâche est un défi à relever.
Nous qualifions d’utopique ce que nous n’avons pas le courage de mettre en œuvre. M.L.
Je partage tes vues, Clément. Le calcul politique est certes essentiel, mais lorsqu’on ne perçoit plus que cela, il y a de quoi éteindre l’enthousiasme. J’admets avoir considérablement déchanté depuis le départ de monsieur Péladeau, dont la superbe intelligence, la détermination et les idéaux n’étaient pas occultés par la stratégie, étant plutôt à son service. Cela faisait longtemps qu’on n’avait vu semblable énergie à la tête du Parti québécois. Or, en ce moment, aucun des candidats à la chefferie de suscite chez moi de véritable intérêt, ni n’éveille une envie de travailler à ses côté. Je vois, j’entends, je lis des phrases creuses qui pourraient être prononcées par n’importe quel candidat. Même quand je désire aller plus loin et m’éloigner du prisme déformant des médias, par exemple en visitant les sites de campagne des candidats, je ne ressens qu’un vague ennui.
Détrompe-toi, il s’agit de bien autre chose que d’un attentisme «messianique» ; mais le projet de pays requiert une tête forte, une attitude qui génère l’adhésion… et je ne décèle rien de tel, en ce moment, dans le panorama actuel de la course à la chefferie du PQ. Je poursuis ma réflexion.
Belle réflexion Clément !
Délimiter le projet collectif de l’indépendance (politique) du Québec est essentiel (type de vie démocratique, constitution, etc.). Pourquoi faire l’indépendance et comment elle serait faite (et ce vers quoi elle devrait aboutir politiquement) sont essentiels. Face à cela, le moment d’un moyen (référendum) pour y accéder est second, c’est vrai. Cependant, si chez les péquistes il y a ressassement de débats sur le meilleur moment d’un troisième référendum, il y a peut-être une raison profonde à cela. Raison sans doute présente depuis la dissolution du RIN, mais sans doute accentuée (dans notre contexte) du fait que depuis 1995, le PQ n’a à peu près pas fait la promotion de l’indépendance du Québec. Depuis le départ de Monsieur Parizeau en 1995, la question de l’indépendance au PQ apparait le plus souvent que comme une ligne vague sans volonté tangible de concrétisation. Après plus de 15 ans d’ambivalence stratégique au PQ, des gens peuvent être cyniques face au sérieux du PQ qu’ils pourraient voir comme une coalition de prise en otage d’indépendantistes sans travailler activement à faire l’indépendance ni la promouvoir. Je fais d’ailleurs l’hypothèse que c’est le cynisme engendré par ces plus de 15 ans de silence qui peut rendre suspicieux et, en contrepartie, tendre à interroger le sérieux pour l’indépendance au travers de la question de l’échéancier du moyen.
Imaginons une course à la chefferie de Québec solidaire où les aspirants diraient que l’égalité homme/femme est capitale pour leur formation, mais qu’ils ne feront rien à ce sujet dans un premier mandat parce que les gens ne seraient pas encore prêts – et qu’en entendant, ils offriront des étuis à crayons pour les familles. Imaginons une course à la chefferie du Parti Vert où les aspirants diraient qu’ils vont reporter à un deuxième mandat les mesures pour l’environnement afin de maximiser leurs chances de prendre le pouvoir et remplacer celui en place. Ce serait ridicule. Mais pourquoi le PQ, lui, donne souvent l’impression que son article 1 n’est pas vraiment son article prioritaire ?
Pour réenchanter la politique, il me semble à tout le moins qu’il faut certes d’abord et avant tout des idées assumées, en n’ayant pas peur de voir les choses différemment. En n’ayant pas peur de formuler des projets collectifs – et d’assumer l’importance du collectif pour faire société. Mais pour combattre le cynisme et la méfiance à l’égard des paroles de politiciens, il me semble aussi que doit s’afficher clairement le courage de mettre en œuvre les idéaux présentés. Et pour mobiliser l’adhésion, ce courage de mettre en œuvre les idéaux présentés ne peut pas être qu’une question d’art oratoire ou de vœux sincères, il doit se concrétiser dans une annonce ferme des chantiers/étapes pour réaliser les travaux, les idéaux.
Le référendum n’est qu’un moyen, mais les moyens ne sont pas anodins pour mettre en œuvre concrètement les idéaux – lorsque l’on veut vraiment les concrétiser. Monsieur Parizeau répétait souvent que la Révolution tranquille avait été portée par une poignée de personnes, par une dizaine de chansonniers, de fonctionnaires et quelques ministres. De manière analogue au poète Stéphane Mallarmé qui rappelait au peintre Edgard Degas que « ce n’est point avec des idées […] que l’on fait des vers. C’est avec des mots. », les idéaux sociaux se concrétisent au travers des moyens (et aléas) de leur mise en œuvre.
Espérons de la part de toutes les candidatures à cette course à la chefferie l’engagement dans des débats de fond.