Il se dit beaucoup de choses en marge de la tragédie du Centre culturel islamique de Québec. C’est normal, ça touche tout le monde et le choc est grand.
Ce qui est moins normal toutefois, c’est la vitesse avec laquelle on s’est mis à la recherche de coupables. En cherchant évidemment surtout le coupable «en dehors de nous-mêmes». C’est une mauvaise piste.
Ça pourrait même être un guide quand on lit un texte: est-ce que la personne qui s’exprime donne l’impression de s’exclure des causes du problème? Est-ce qu’elle sous-entend que les responsables, ce sont les autres? Est-ce qu’elle semble croire que si tout le monde agissait comme elle, tout irait tellement mieux? Si oui, il est probablement préférable mettre le texte de côté et de passer au suivant…
Parce que ce ne sont certainement pas les discours pontifiants qui vont nous sortir de là. L’environnement médiatique en est déjà saturé, depuis très longtemps, et ça n’a rien réglé — au contraire! C’est à la compréhension mutuelle qu’on devrait consacrer nos efforts. Et, pour ça, la manière dont on s’exprime et le ton qu’on adopte compte pour beaucoup.
Ce qui m’amène à partager quelques observations, très personnelles après deux jours de tempête.
Un texte nuancé sur mon blogue me prend généralement une heure ou deux à rédiger (parfois plus). Il sera généralement lu par une centaine de personnes, très rarement plus de 300, même après plusieurs jours. J’aurai quelques «j’aime» sur Facebook, sommes toutes assez peu de commentaires, et peu d’échos en dehors de mes lecteurs habituels. Le texte que j’ai publié lundi après-midi en est un exemple.
Un texte résultat d’une démarche collective, d’un partage sincère d’opinions et de tous les compromis nécessaires pour établir un consensus — comme celui qui est issu des treize premiers rendez-vous sandwich du vendredi (dont nous avons reporté la publication, initialement prévue cette semaine, pour des raisons évidentes) — peut même nécessiter des dizaines d’heures d’engagement…
En comparaison, un statut Facebook spontané, publié pour attirer l’attention sur une citation, sans mise en contexte, ne prend 10 secondes à publier et pourra susciter des dizaines de réactions et même parfois un débat où il faudra, typiquement, que j’explique le choix cette citation, que je clarifie les ambiguïtés, que je dissipe les sous-entendus, etc. Résultat: je pourrai facilement passer une heure ou deux à gérer une conversation qui va presque inévitablement dégénérer jusqu’à ce qu’on ne sache plus très bien qui pense quoi. Le statut que j’ai publié lundi soir en est un exemple.
Avec du recul, j’aurais dû prendre le temps de mettre en contexte la phrase prononcée par le maire de Québec. J’aurais dû souligner qu’il n’est lui-même pas exempt de contradictions en ce qui concerne les discours accusateurs et divisifs. J’aurais dû préciser que ce sont les rouages financiers brisés des médias auxquels je crois qu’on doit surtout porter notre attention — ce qu’il évoquait avec raison, il me semble. J’aurais dû éviter de donner l’impression de vouloir faire à mon tour des radios les boucs émissaires de la tragédie.
J’aurais dû prendre le temps d’expliquer que ce que je trouvais important dans cette phrase, c’est l’ouverture qu’elle nous offrait pour réfléchir à la responsabilité de chacun dans le climat dans lequel s’exerce la démocratie (et les droits, qui lui sont associés). Une responsabilité dont personne ne doit s’affranchir — et encore moins par cupidité.
On ne peut certainement pas nier la forte influence des radios d’opinions sur le débat public à Québec. Une influence qui n’est pas toujours positive — c’est une évidence. Mais c’est loin d’être le seul problème.
Alors, à défaut d’avoir le temps d’apporter les nuances nécessaires (comme je l’avais mieux fait quelques heures plus tôt, il me semble), j’aurais dû éviter d’offrir ce statut à «liker» en guise d’exutoire — en amplifiant malgré moi la cacophonie. Il n’y a pas de raccourcis possibles quand on souhaite inviter à la réflexion.
On ne s’en sort pas: prétendre prendre part au débat public, c’est exigeant. Ça prend du temps. Il faut donc choisir à quoi on le consacre les deux heures, par exemple, qu’on est prêt à y consacrer: à préciser sa pensée avant d’écrire ou à gérer après coup les réactions (souvent au prix de beaucoup de frustrations) parce que la communication initiale était trop spontanée ou inutilement ambigüe?
Quoi qu’il en soit, les dernières heures auront malheureusement démontré que le contexte ne se prête pas encore à une réflexion sereine au sujet de l’environnement médiatique de Québec (pour bien des raisons, qui ne tiennent d’ailleurs pas qu’aux radios accusées, mais aussi à l’attitude d’autres médias réputés plus respectables, et à d’autres facteurs). Mais il faudra y revenir.
Mise à jour (17h10): C’est aussi ce que le Maire de Québec a dit cet après-midi.
Et c’est d’ailleurs la même chose pour l’influence présumée des réseaux sociaux dans la détérioration du débat public. Il faut là aussi se méfier de qu’on nous présente comme des évidences… (suggestions de lecture à ce sujet: ce texte de Jean-Philippe Tittley, ou celui-ci, que j’ai écrit le 3 janvier dernier).
Tout ça me ramène décidément à ma résolution de début d’année: en 2017, beaucoup plus de blogue et un peu moins de Facebook.
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En terminant, je vous partage un extrait d’un texte que Benoît Tardif porte à mon attention ce matin, et qui me semble aller pas mal dans le même sens…
“We tend to view our moral values as universal [that] there are no other values but ours, and people who don’t share our values are simply immoral. Yet, in order to use moral reframing you need to recognize that the other side has different values, know what those values are, understand them well enough to be able to understand the moral perspective of the other side, and be willing to use those values as part of a political argument.”»
«Feinberg said he saw lots of liberals lobbing ad-hominem attacks, such as “you’re being un-American” or “you’re making the Statue of Liberty cry.”
“People typically do not do well when attacked,” he said, “this could simply push them to be more staunch in their position.”
If you can’t persuade your political foes, that is, you can at least try not to make the conflict worse.»
Source: The Simple Psychological Trick to Political Persuasion | The Atlantic
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Aussi, la suggestion que cet ami a formulé un peu plus tôt ce matin, sur Facebook, pour améliorer le débat public au Québec:
«Si vous me demandiez ce que je pense qu’on devrait faire pour améliorer le débat au Québec, je dirais ceci :
Premièrement, nous devons absolument arrêter de discréditer quelqu’un aussitôt qu’on n’est pas 100% d’accord avec tout ce qu’il dit.
Ensuite, plutôt que de les ridiculiser, de les marginaliser ou de carrément les démoniser, il faut qu’on essaie de comprendre pourquoi les gens ont peur. Que ce soit la peur de Donald Trump, de l’islam radical, de disparaître comme peuple, de l’indépendance du Québec ou de n’importe quelle autre, ces peurs sont bien réelles pour ceux qui les ressentent. On peut les trouver ridicules, irrationnelles ou non fondées, elles existent néanmoins et ce n’est certainement pas en traitant les gens qui les subissent de racistes, d’incultes, de déconnectés, d’idiots utiles ou d’autres quolibets plus ou moins recherchés que nous créons un espace de dialogue respectueux propice aux échanges constructifs ou que nous faisons avancer la société.
C’est la polarisation du débat qui est malsaine et que nous devons combattre. C’est ce que je nous souhaite.»
Bravo et j’en prends aussi bonne note:)! Mes réflexes émotifs ne vont pas de paires avec mes longues réflexions qui se chamboules souvent dans ma tête me rendant souvent bipolaire tellement j’avance et recule sur mes propres positions qui demandent résolument davantage de temps qu’un statut piège regrettable ou incomplet. Participer aux débats importants demande du temps et un engagement sérieux à la réflexion.
Merci Clément d’avoir pris le temps d’écrire ce texte sage et porteur d’une réelle réflexion de l’engagement dans les médias et le débat public.
Une belle réflexion, que je partage dans son ensemble.
Je me suis retenu pour intervenir dans la cacophonie qui tient lieu de discussion présentement. Trop tôt. Mieux vaut laisser la poussière tomber. Prendre le temps de ruminer. Considérer tous les angles, tous les points de vue. Voire que, si je n’ai rien d’autre à ajouter au concert, aussi bien se taire… surtout éviter d’ajouter une fausse note.
Pour garder une trace de cette réaction de Marie-José Reid:
«Et si on faisait de 2017 une année où on compte jusqu’à 10 avant de partager ou retweeter quelque chose?»
http://chroniquesdupatio.ca/2017/02/03/les-perrons-deglise/